mcenroe
disenfranchised

Trop occupé à produire, mixer et masteriser les disques de ses talentueux associés du label canadien Peanuts & Corn (John Smith, Pip Skid, Gruif the Druid, Fermented Reptile…), mcenroe n'avait pas encore eu le temps de se poser pour nous confectionner ce que tout le monde attendait : son premier album solo. Les adeptes se retrouvaient à écouter en boucle les EP's du bonhomme "The Ethics" et "The Convenience", ses prestations au sein de Park-Life Setting ou encore l'album instrumental "Billy's Vision" en espérant que l'homme à tout faire de P&C prendrait la sage décision de mettre ses autres projets en attente pour mettre en boîte ce LP annoncé depuis bien des années. Intelligemment, mcenroe s'est donc isolé quelques temps chez lui à Vancouver pour répondre à cette attente en assemblant de A à Z (en dehors de quelques scratches confiés à Hunnicutt) ce "disenfranchised "avec lequel il débarque enfin en cette année 2003.

Fruit d'un perfectionnisme certain, mcenroe signe ici un album très complet et varié au niveau lyrical. Clairement un des sommets de ces derniers mois. Livrant ses remarques et ses états d'âme sans se soucier de la "bienséance" hip-hoppienne et en abordant tous les sujets qui lui semblent dignes d'intérêt, mcenroe continue de livrer un rap profondément honnête, personnel et inclassable. Parfois, les sujets sont sérieux : mcenroe nous invite à réfléchir sur les nombreuses intrusions faites dans notre vie privée de nos jours ('documentary'), sur les rêves préfabriquées que le système nous sert pour mieux faire passer la pilule dune vie de travail ('sleepwalking'), sur l'étrange statut de notre civilisation esclave des médias mais esclavagiste d'une bonne partie du monde ('for service in english, press one'), sur les règles de l'entreprise ('convenience now redux') ou encore sur la véracité des vignettes idéalisées que nous avons du passé. Parfois, les sujets sont plus légers et prêtent à sourire. Comme sur 'What Will I Wear?' où, sur une ligne de contrebasse jazz du meilleur cru, mcenroe s'interroge sur la tenue à revêtir pour le tournage de son premier clip (hypothétique) : look yuppie, old-school, thug, bling-bling, basket… Ou encore sur 'let's pawn the bracelet' (qui voit mcenroe prendre la route pour Vegas sur un coup de tête) et sur 'the realest' (où mc tourne en dérision l'obsession d'authenticité du milieu hip-hop en nous racontant sa VRAIE vie, loin d'être ultra mouvementée ou glamour)…

Partout, mcenroe se dévoile par bribes et livre des rimes personnelles. Sur quelques titres plus que d'autres néanmoins. A l'instar de 'got away with one' et sa guitare mélancolique qui nous content les accrochages entre mcenroe et son grand ennemi du lycée. mcenroe parvient à mélanger intelligemment sérieux et détente, glissant au passage quelques remarques acides mais rarement aigries. mcenroe est un gars normal, avec ses défauts, ses qualités, ses envies et ses craintes. Il ne s'en cache pas, ne revêt aucune carapace rapologique et on ne peut que l'apprécier pour cela. Cette humilité, cette honnêteté ainsi que son talent d'écriture font passer un timbre de voix et un flow peu marquants. Car son phrasé posé et naturel manque objectivement de personnalité par moments… mcenroe le sait ('can't get there from here') et s'en fout. D'ailleurs, il ne s'interdit pas de chantonner quelques passages lorsque l'envie lui prend. C'est aussi ça son charme. Il fait avant tout sa musique pour lui-même et de ce fait une intimité se crée au fil de l'album.

Elle est relayée par des instrumentaux classieux bâtis avec subtilité à l'aide d'un cratedigging avisé. Les collages de samples sont comme toujours inspirés et souvent enjolivés de quelques cuts et surtout de quelques notes de guitares de la main de mcenroe. Toutes les compositions de mcenroe semblent d'ailleurs tourner ici autour d'une alliance basse-guitare servant de liant au LP. L'ensemble est assez laid-back et met en avant le savoir-faire déjà maintes fois démontré de mcenroe dans le domaine de la production. Toute la maîtrise du monsieur est résumée dans le sublime 'wandering eye'. Pour cette mise en perspective de l'évolution des goûts musicaux de mcenroe depuis sa naissance, ce dernier a assemblé un petit chef d'œuvre d'instrumental où sa science des arrangements et son sens du timing frappent. Les modifications de l'instru par touches délicates sont parfaitement amenées et gardent l'oreille en éveil. Mais le talent est partout : dans le sample vocal discret de 'the next day', la ligne de basse addictive de 'convenience now redux', le son hypnotique de 'for service in english, press one', le break de vibraphone de 'can't get there from here', la harpe de 'sleepwalking'…

Comme vous pouvez le voir, "disenfranchised" est une œuvre aboutie, travaillée, réellement authentique, équilibrée et très constante… Peut-être trop justement. C'est l'unique reproche que l'on pourrait formuler à l'encontre de ce premier album (autrement brillant) de mcenroe. Les arrangements minutieux enlèvent en effet de la spontanéité à l'ensemble et le LP tend parfois à s'enfermer (surtout dans son ventre) dans un train-train midtempo confortable mais trop balisé ou uniforme. Cependant, il est clair que "disenfranchised" reste un album de haute-qualité. A tous les niveaux, il confirme le bien que l'on pouvait penser de ce canadien pas comme les autres et il démontre que mcenroe, homme à tout faire, est capable de concevoir seul un LP complet et personnel où toutes les pièces s'assemblent pour former un tableau détaillé de leur auteur… Un accomplissement rarissime dans l'état actuel des choses et qui suffira à faire voler en éclat nos (petites) réticences.

Cobalt
Juillet 2003
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Label: Peanuts & Corn
Production: mcenroe
Année: Mai 2003

01. documentary
02. can't get there from here
03. got away with one
04. what will I wear?
05. sleepwalking
06. for service in english, press one
07. convenience now redux
08. let's pawn the bracelet (and head for vegas)
09. something to complain about
10. working in the factory
11. the realest
12. wandering eye
13. disenfranchised
14. the next day

Best Cuts: 'Wandering Eye', 'Can't Get There From Here', 'The Next Day'.

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