Pendant que certains s'évertuent à creuser toujours plus profond dans les sous-sols caverneux de scènes en devenir ou au sein des connexions neuronales complexes de l'esprit humain, d'autres ont choisi l'exploration sous-marine comme méthodologie pour approcher les derniers pans d'espace encore soumis au diktat des légendes et autres mystères insondables. Bathyscaphe équipé, Aamir propose aux curieux un détour par des zones inconnues baptisées pour l'occasion "Underwater Regions".
Evoluant depuis huit ans en collectif, les Escape Artists ont récemment choisi d'entamer quelques nouvelles routes parallèles comme pour démultiplier leur approche musicale et rattraper le temps perdu à errer entre deux pressages sonores. Car il aura fallu attendre 2007 pour capter à nouveau un faible signal en provenance du Sud de la Californie, leur terre d'origine, au travers d'un 12'' mené de front en compagnie des néerlandais de InDepth puis d'un nouveau Sons of Mammal et d'un picture disc au format court "Mass W/O Mass" lancé dans le grand bain par Ooohh! Thats Heavy Recordings ; micro-structure californienne à qui l'on doit une collaboration avec les Français de chez (vulgar) pour la récente sortie de l'excellent picture disc de Lab Waste. De nouveau le pied à l'étrier, c'est une cascade de projets jetés sur la table de travail par le combo californien.
En solitaire, Xczircles s'octroie le premier coup de semonce avec "The Purge" l'année passée, rassemblement encyclopédique des différents travaux instrumentaux du producteur des E.A. Alors que le prochain LP du groupe semble bien parti pour voir le jour cette année, Aamir s'autorise à son tour une escapade solo pour une descente dans des tréfonds visiblement encore en friche, mettant enfin sa propre créativité au service d'ambitions musicales personnelles. Une solitude toute relative car c'est rejoint dans sa descente vers les tréfonds marins par un cortège de producteurs éclectiques que l'on retrouve le rappeur californien.
Seize morceaux et treize pattes musicales différentes. La méthode a depuis longtemps été éprouvée par d'autres pour des résultats plus ou moins heureux selon les cas. Il va sans dire que l'hétérogénéité des sources sonores engage plus que de raison la responsabilité de l'hôte ; seul à même de guider chacun dans une même direction sans se perdre en chemin ou se laisser guider par des courants marins divergents. La tâche est éprouvante, mais peut-être source d'une richesse et d'une diversité musicale certaine pour celui qui se donne la peine d'agir comme un phare dans la nuit. Loin de se laisser submerger par des visions que l'on peut imaginer contradictoires par moments, Aamir revêt un morceau du costume de chef d'orchestre pour dicter à chacun la teneur générale de la croisière en eaux troubles.
Sans surprises, l'ambiance générale est à la mélancolie et à la confession personnelle, aux désillusions et aux espoirs naïfs souvent déçus. Aamir cultive ici un penchant souvent entrevu chez lui et chez ses comparses des Escape Artists. Une propension certaine à explorer les thématiques de l'âme, du mystique et de l'insondable noirceur de l'esprit humain. Que ce soit au travers des coulées sonores envoutantes d'un sitar sur 'Day & Night' et sa production planante assurée de main de maître par DJ Extend ou cette déclaration qu'est 'You & Me' griffonnée sur une production du canadien Maki.
En dépit des influences disparates qui agitent la visite de ces ruines englouties où tout semble se mouvoir avec la lenteur de la vie sous-marine, le monde bâti s'avère être d'une étonnante homogénéité sans pour autant sombrer dans la facilité de redites asphyxiantes. L'exercice hautement improbable du
posse cut s'en trouve même plutôt réussi sur un 'City Of Lights' porté avant tout par les prestations vocales de 2Mex, Aamir, Bigg Jus, Xczircles et K-The-I??? encerclés et soutenus par une batterie de cuivres et de refrains chantés par Geneva B. Se dégage de cette prestation un sentiment général qui ne demande qu'à être appliqué comme un moto à l'ensemble des morceaux ici présents : une impression d'unité partielle où chacun semble trouver sa place dans l'architecture mouvante de ce "Underwater Regions".
Rejetant la performance personnelle et l'effort singulier, Aamir a cherché à tendre vers une immersion collective dans un même ensemble à la géographie éminemment floue. Sûrement pensait-il que s'il est aisé de trouver seul la lumière, le défi majeur convient de parvenir à la partager avec son entourage pour éclairer chacun. Cette démarche accouche d'un album à la personnalité affirmée au sein duquel Aamir parvient à s'enticher des efforts musicaux de chacun des invités pour les faire siens et rendre naturelle la collaboration (écouter Aamir se mouvoir sur 'Teach Me' suffit à s'en convaincre).
Avant d'appareiller pour des mondes inconnus, Aamir s'est avéré plutôt inspiré et il en résulte l'une des bonnes surprises de ce début d'année. Rassemblant un équipage disparate aux compétences personnelles éclatées, c'est non sans quelques menus ratés ('Scarlet Red' entre autres) que l'auditeur se laisse guider dans ce labyrinthe aux fresques murales d'une richesse monochromatique soutenue par les aspirations enténébrées du maître à bord : donner à entendre cette mise à nu au travers d'un hublot sous-marin aux propriétés déformantes.
Newton Mars 2008