C'est l'histoire d'un disque qui aurait dû sortir voilà 2 ans, alors que le nom de Disflex.6 commençait à être sur toutes les lèvres des amateurs de westcoast underground. Un disque qui aurait dû voir le jour dans la foulée du mémorable "Hot Season" et du maxi de Laz Jack. C'est aussi l'histoire d'un label, Lex, qui après un démarrage en trombe ne prend plus de risques. Un label qui ne sait plus faire de bons disques et qui ne sut pas reconnaître qu'il avait là entre les mains un sacré client. C'est l'histoire de ce "Robot Dreams" qui aurait pu tomber dans les limbes de l'oubli mais que Jason The Argonaut et Lazerus Jackson étaient décidés à sortir, sous la pression de leurs adeptes. Alors, devant l'immobilisme de Lex et les promesses non tenues, les têtes de file des Sunset Leagues sont montées au créneau. En quelques mois, elles ont donc réuni leurs petites économies pour enfin mettre sur le marché, même de manière confidentielle, ce mini-album par leurs propres moyens. Merci D6.
Car, disons-le de but en blanc, ce "Robot Dreams" méritait bien plus d'égard que le dédain affiché par Lex pendant plus de 3 ans. Enregistré pour l'essentiel lors d'un week-end prolongé de la fin 2001 et trituré depuis par Jason et Elon.Is, ce projet imbibé de science-fiction trouve ses racines dans le recueil de nouvelles d'Asimov "Le Robot Qui Rêvait". Et si on ne trouve pas trace de Susan Calvin dans les mots de Disflex.6, les robots sont bien omniprésents. A travers les voix de Lazerus et Jason, ils s'interrogent comme LVX-1 sur la vie et son sens, refusent de se plier aux règles et se prennent pour des humains… Ils entrevoient la fin des temps ou dissertent des manipulations qui se trament dans l'ombre, de la difficulté à trouver sa place dans l'univers, de ces échecs que l'on traîne comme des casseroles invisibles, de cette enfance insouciante qui arrive à son terme avant même qu'on ait pu en profiter…
"You make progress early and get older in a hurry". Portée par une flûte traversière cinématographique, c'est dans 'The Circus' que la frontière entre l'exercice de style et l'autobiographie est la plus ténue. Derrière les visages d'acier et les câbles d'alimentation, on entrevoit alors quelques blessures assassines diablement humaines.
Mais dans ce monde, comme dans le nôtre, il n'y a pas que des robots aux pensées mélancoliques et aux atours humanisés. Les drones bien formatés qui squattent le haut des charts contemporains constituent à ce titre des proies de choix pour les deux compères de D6, qui regardent ces pantins démembrés d'un œil cynique. Du coup, le duo imagine une palanquée de scénarios pour mettre à sac l'usine qui les fabrique à la chaîne ('Bomb The Factory' et sa basse addictive). Une occasion de relâcher un peu la pression et de laisser aux flows prendre toute leur ampleur. Sorte de croisement réussi entre les timbres de voix nasillards et irrésistibles d'un Tes et d'un Slim Shady (ancienne version), Laz est à nouveau impérial, tranchant comme une lame, slalomant sur le beat comme un spécialiste de la descente. Plus posé, moins technique, moins flamboyant, Jason reste le complément idéal de cette association épicée.
"You, manufactured MC's, can't fuck with these", comme dirait Laz. La pause est jouissive. Mais le spleen et les interrogations existentielles reviennent vite à la charge.
"I chase the dreams or are they really hunting me down?"…
Pour habiller les mots bleus et les images surréalistes qui émanent des rimes des 2 Californiens, l'argonaute opte comme souvent pour des décors au diapason; minimalistes, digitaux, parcourus par des éléments incontrôlés, par des voix aux échos métalliques et par une atmosphère froide, mystérieuse... La cohérence du projet lui permet de briller sous son meilleur jour. Avec ses bleeps aléatoires, ses petites mélodies intrigantes, ses basses caverneuses, ses nappes galactiques, ses beats implacables, Jay continue de nous proposer un son unique, à la fois aérien et souterrain. Adepte des évolutions subtiles et des changements de décor momentanés, l'artificier de "Keyboard To Life" arrange méthodiquement ses éléments pour mieux les désarticuler dans des finals chaotiques. Tour à tour ténébreuses ou industrielles, hallucinées ou faussement enjouées, ses compositions gardent le rendu étrange qui a toujours fait l'attrait des meilleures sorties Sunset Leagues. Etrange comme ces quelques notes de triangles qui surnagent des abîmes fantastiques de 'Dream Sequence'. Ou comme les claviers vibrants du lunaire 'Star Log'. A mi-chemin entre l'enfer et le paradis, Jason égrène ses ingrédients et ses notes de claviers comme le marchand de sable semant sa potion de grains pour nous plonger dans un long rêve éveillé. Un rêve spatial dans lequel on se plonge sans retenue.
On aimerait tant croire Laz quand il lâche avec conviction:
"6 will get the revolution like the rings around Saturn". Mais après le rendez-vous manqué avec Lex et au vu de "Guts III" ou du dernier PBS, on se dit que les plus belles années de D6 sont sûrement derrière nous. Quelque part entre "Where The Sidewalk Ends" et ce superbe "Robot Dreams" justement. Malgré leur discographie pléthorique, Lazerus Jackson et Jason resteront sûrement à jamais des outsiders ayant eu la malchance de monter dans le mauvais wagon. Un groupe californien injustement sous-estimé. Pourtant, "Robot Dreams" méritait mieux, une petite émeute au moins. Maintenant qu'il atteint enfin les bacs, il serait donc vraiment dommage de passer à côté.
"Cock your space guns"… et faites-vous justice.
Cobalt Juin 2005