Touche-à-tout talentueux, multi-instrumentiste confirmé, Count Bass D ne laisse plus passer une sortie sans saisir l'occasion de faire parler son talent et son envie d'explorer plus avant l'univers musical qui l'entoure. Comment peut-il en être autrement lorsque l'ambition dévorante prend le pas sur la raison et l'humilité au moment de la création du prélude à une carrière en décalage, comme en atteste déjà l'excellent "Pre-Life Crisis" en 95, trop en avance sur son temps, structuré autour d'une pluralité d'instruments live quasiment tous joués par Dwight Farrell lui-même?
Un parcours aux cycles inhabituels : après un premier LP solo chez Sony à tout juste 19 ans (!), Count disparaît de la circulation pendant 4 ans, le temps de se prendre en main pour boucler le contre-pied artistique que constitua ''Art For Sale'' en 99 puis effectuer un rapprochement avec Day By Day et autres Metal Face Records pour propulser en 2002 l'inoubliable ''Dwight Spitz''. Depuis, plus d'année de disette pour le Count. Dwight ne quitte plus les bacs des disquaires, quelle que soit sa situation financière. Une activité grandissante tout comme sa renommée. Ces dernières années le voient de plus en plus être salué dans nombre de cercles plus ou moins confidentiels comme l'un des producteurs/rappeurs les plus talentueux à l'heure actuelle. A raison.
Son premier album, jugé invendable à l'époque par Sony, rappelle le large éventail de sous-genres que Count Bass D aura exploré au fil des années. Un grand écart plus tard, ses dernières expérimentations à la MPC via l'album gratuit ''Robbed Without A Pistol'' (offert aux internautes il y a quelques semaines) en attestent aussi. C'est justement armé de sa MPC et de son imagination sans bornes que Count Bass D refait surface avec le très attendu ''L7'', son quatrième LP solo annoncé depuis de nombreux mois déjà. Artiste itinérant, c'est une première sortie uniquement digitale pour le Count via 1320 Records, netlabel créé et géré par les Californiens de Sound Tribe Sector 9.
Depuis 2007, ''L7'' est sur les tablettes de Dwight Farrell : un album pour lequel il compose et produit à tout va jusqu'à mettre au jour une cohérence stylistique qui convient à ce qu'il cherche à montrer. En tout et pour tout, voici donc 12 morceaux architecturés à grands coups de MPC dans le beat, Count Bass D combinant les samples et autres micro-éléments sonores pour former ces plages en majeure partie instrumentales (comme c'est souvent le cas avec lui depuis le début de sa série "Some Music"). On y retrouve les influences habituelles du producteur mais, cette fois-ci, utilisées à des fins quelque peu différentes : si la présence au micro de cet originaire de Nashville s'avère ici plus disparate, c'est pour éprouver ses boucles à la périlleuse figure de l'album (quasi) instrumental.
Un exercice en trompe-l'œil : si le Count consent à une certaine mise en retrait, la voix reste un élément sur lequel il travaille avec précision (non sans quelques apparitions au micro ici et là). La seconde partie de 'Back Pay' vient confirmer cette recherche d'une harmonie musicale entre la masse sonore et ce bout de voix recyclé des dizaines de fois. De même, on retrouve à plusieurs reprises ces chants et autres refrains révélateurs des influences premières de Dwight ('(Don't) Run Out On Me'). Grand admirateur de Take 6, Count Bass D laisse parler cette soul aux accents R'n'B voluptueux le long des veines qui parcourent les 30 minutes de l'album.
''L7'' est avant tout un travail conséquent sur les ambiances sonores. Count Bass D y développe des tapis de sons protéiformes au style si particulier, à mi-chemin entre un classicisme dans les sources sonores utilisées et une réelle modernité dans leur agencement et la création des ambiances. Un mélange qui peut être rebutant au premier abord tant tout semble riche à l'excès. C'est le cas sur 'Y.B.A. Square' où dès l'introduction du morceau se chevauchent une bonne dizaine de sources sonores : trompette, piano, batterie, percussions, ce texte dicté calmement par le Count... Tout est superposé pour créer un brouhaha et abolir toute forme mélodique apparente. C'est un groove étrange, qui semble ne jamais vraiment partir qui finit par se révéler entêtant pour peu qu'on tende l'oreille.
Mais Count Bass D a pris soin de placer quelques repères susceptibles de capter l'attention de l'auditeur réfractaire aux essais sonores décalés. C'est ce refrain chanté répété sur 'Can We Hang Out Tonight' accolé à une guitare pétillante alors qu'en fond de décor éclatent les multiples éléments sonores alignés les uns sur les autres par le Count. Un aller-retour
"flowistique" de Dwight pour rappeler les passages les plus traditionnels de la discographie conséquente du producteur/rappeur. Le classicisme de son style, Count Bass D ne l'ignore pas et n'oublie pas de le mettre en avant : l'environnement
"soulful" à l'extrême de 'Neon Soul' transpire la lasciveté musicale lorsque Dwight se mue en crooneur à la diction envoûtante.
A peine peut-on émettre ici ce reproche que l'on retrouve comme un fil rouge le long de la carrière du Count : une brièveté de certains morceaux que l'on aurait apprécié entendre tourner un peu plus longtemps. C'est pourtant le cas sur une poignée des 12 pistes de l'album. Notamment ce 'I Need Your Love' à la voix filtrée,
"cutée", soutenue par ces synthés en guise de filet de secours pour laisser le funambule Count Bass D déambuler tranquillement sur la rythmique entraînante. Tout juste 1 minute 30 pour une boucle dont il semble qu'on ne parviendrait pas à se lasser tant elle combine habilement un savoir-faire de la production à la MPC et ces univers qui parlent avant tout à l'âme avant de s'adresser au cerveau.
''L7'' porte la marque du style particulier de Count Bass D. Cette identité musicale que peu d'artistes parviennent à développer et exprimer de la plus claire des façons. Ceux qui ont découvert le Count via ''Dwight Spitz'' regretteront à la marge cette tendance développée depuis ''Begborrowsteel'' en 2005 : la brièveté des apparitions vocales du maître d'œuvre qui offre globalement une majorité d'apparitions plus ou moins dispensables. Mais ''L7'' creuse ce sillon d'une recherche musicale avec, pour simple équipement, une MPC et une collection de disques. Finalement, le regret le plus évident reste cette absence de l'album dans les bacs.
En dépit du manque d'un écrin physique à cette musique, ce nouvel album présente un travail de qualité qui pousse un peu plus loin ce qu'entreprend Dwight Farrell depuis ''Begborrowsteel'', album avec lequel ''L7'' présente en fin de compte beaucoup de similitudes. La copie est propre et sans réelle rature, peaufinée pour évacuer le superficiel, mais dépourvue d'un passage mémorable qui distinguerait significativement cet album de ses prédécesseurs. Les deux disques tournent autour de la demi-heure et vont piocher dans les mêmes terreaux. ''L7'' est simplement l'étape suivante, celle où Count Bass D laisse parler davantage encore sa créativité et son extravagance stylistique pour un résultat qui ne penche pas vraiment du côté d'un plus quant à son accessibilité pour tous.
S'il n'est pas certain que l'album sortira du lot étant donné son mode de distribution somme toute assez limité, ''L7'' est un nouveau pari dans la carrière de Count Bass D. Mais l'homme est coutumier du fait. Mieux encore : il les relève régulièrement avec panache et brio. Gageons qu'il ne s'arrêtera pas en si bon chemin.
Newton Novembre 2008
L'album est disponible aux formats MP3 et FLAC sur la boutique en ligne de
1320 Records.
Depuis peu, une version CD est aussi en vente sur quelques sites de VPC; notamment l'excellent
UGHH.