Shape Of Broad Minds
Craft Of The Lost Art

Déraciné dés la naissance, Jneiro Jarel ne pouvait être autre que celui qu'il est aujourd'hui: un musicien perméable à de multiples influences musicales se répercutant judicieusement dans sa musique. Natif de Brooklyn, il n'en découvrira les recoins et les racines rapologiques enfouies loin dans la terre que bien plus tard. Ballotté de ville en ville dés l'âge de 5 ans, du Maryland au Texas (Houston plus précisément) en passant par l'Arizona, il ne connaîtra pas l'effervescence new-yorkaise des nineties. En lieu et place, il se retrouve plongé dés le plus jeune âge dans cette scène Dirty South embryonnaire d'où s'extirpera, une poignée d'années envolées, l'emblématique Screwed Up Click d'un certain DJ Screw. Pour l'heure, quelques premiers émois musicaux le poussent, la vingtaine approchant, à se plonger sérieusement dans ce pour quoi il semble être doué. Dans l'unique optique d'élargir ses influences musicales, il décide alors de quitter la "Space City" qui l'aura influencé à bien des égards. Il y a deux ans, son premier LP "Three Piece Puzzle", un album de grande qualité dévoilant déjà un talent accrocheur chez son géniteur, rassemblait alors les 'Big Bounce Theory', 'Crashing Comets', 'N.A.S.A.' ou encore le très spatial 'Breathin''. Un manifeste clair d'une partie de ce qui l'a construit, un morceau de ce puzzle qui forme la vie de J.J.

De retour à New-York au tout début du nouveau millénaire, sa courte carrière ne pouvait qu'être déjà assombrie par l'éclipse Anti-Pop Consortium. Le groupe new-yorkais trustait alors les forces vives de l'underground et semblait faire converger vers lui tous les regards et les espoirs d'un public en attente de la révolution musicale que semblait alors ouvrir cette année 2000. Dans son coin, Jneiro enregistrait "Side Note A", un bref CD de 6 morceaux rassemblés avec d'autres titres de la période 1997-2001 pour un mix baptisé "Timeless" édité en 2004. On y trouvait alors les premières apparitions de Rocque Wun et du Dr. Who Dat? via un éloquent 'Brooklyn Mood', manifeste en forme d'hommage au quartier natal... Prenant goût au travestissement, le voyage "Beat Journey" du Dr. Who Dat? nous était ensuite conté par les productions riches et profondes d'un Jneiro Jarel concentré. Sorti sur le label anglais Lex Records, passionnant à bien des égards mais passé un peu inaperçu lors de sa sortie en plein coeur de l'été 2006, une véritable plongée dans les différentes étapes musicales de cet album totalement instrumental de Jneiro Jarel nous offrait la découverte d'un univers riche élaboré à coups de samplers; tenant autant du hip-hop que des rythmes sud-américains ou des sonorités soul chaleureuses et lancinantes.

Il n'en fallait pas plus pour ouvrir la voie de manière royale au prochain chapitre. Formant le groupe Shape Of Broad Minds, J.J se charge alors de nous guider en trois dimensions. Au travers de son passé, d'abord, en rassemblant ses différents alias sous le même toit. Le voici ainsi rejoint par la voix suave de Rocque Wun et les productions de Dr. Who Dat? ou encore Panama Black. Les alias du cerveau de l'opération rejoints par Jawwaad; rappeur-partenaire des frasques musicales de Jneiro Jarel depuis le maxi "Big Bounce Theory" sorti en 2004. Au travers de son esprit, ensuite. Car ce "Craft Of The Lost Art", véritable patchwork coloré qu'il tente ici de dompter et de condenser en 23 morceaux, est une plongée dans les nombreuses strates musicales rassemblées et assemblées par Jneiro Jarel au fil de ses pérégrinations. Au travers de son futur, in fine, étant donné que Jneiro Jarel est désormais capable de s'entourer des meilleurs (ici, le tenu pour plus mort que vif MF Doom, Count Bass D ou encore Lil' Sci) et d'évoluer sur un label d'une envergure certaine. Un pas en avant, plus que significatif dans la carrière d'un musicien.

Si 'Light Years Away' semble nous projeter déjà à des années-lumière du Présent avec ses voix célestes évoquant l'insondable infinité de l'Espace et de ses mystères, "Craft Of The Lost Art" ne s'érige pas en tant que véritable manifeste d'anticipation. Jneiro Jarel a rassemblé pour l'auditeur sa dream team dans un seul but: réaffirmer les arcanes de cet art qu'il juge perdu, revenir aux fondamentaux actuels du rap. A ses yeux, la seule manière viable de les maîtriser pour les dépasser. Comment faire autrement qu'en appeler à Doom pour l'entêtant 'Let's Go'? Une cascade de synthés pour écrin, les flows de JJ et du Metal Face pour un message clair: "si vous restez sur place, nous continuons d'avancer". Le talent de Jneiro Jarel, celui que l'on trouvait déjà sur ses précédentes sorties, c'est cette habileté rare à passer d'un univers à l'autre. Sa musique est copieuse certes, mais toujours en quantité suffisante, jamais trop verbeuse et ne s'oubliant pas dans quelques impasses prosaïques et dispensables.

Pour autant, il ne rechigne que très rarement à la tâche. De même que pour "Three Piece Puzzle", cet album est rempli à ras-bord et semble prêt à exploser dans toutes les directions. A l'image du bestial 'Gorilla Mash', véritable show musical où se multiplient présentation des protagonistes doublées de nombreuses explosions musicales. A l'image aussi de ce 'Buddafly Away' où JJ nous raconterait qu'il aimerait tant se voir offrir une escapade aérienne loin d'ici; un thème véritablement dominant chez lui. Et toujours ces synthés proéminents qui offrent une densité importante à la musique. L'espace d'un instant, en fermant les yeux, nous voici transportés dans un univers onirique duquel il semble bien difficile de revenir. Ainsi, toujours cette obsession de s'enfuir, de voir ailleurs mais aussi de résister face à l'adversité, de se battre pour faire ses preuves. Peut-être le vibrant symbole de cette enfance vagabonde au côté d'une mère mutée d'une base militaire à l'autre à travers les Etats-Unis.

Et à travers cette expérience de la vie, Jneiro Jarel a su se muer en une véritable éponge afin d'aspirer les caractéristiques des musiques que son long voyage lui a permis de rencontrer. On reconnaît aisément les convulsions rythmiques du Dirty South, les nombreuses influences jazzistiques (Thelonious Monk invoqué sur 'Lullabanger' comme le fût son tube 'Monk's Mood' par ce 'Brooklyn Mood' sus-cité; 'Bopper Blocker', 'It Ain't Dead' ou encore le très jazzy 'They Don't Know'), les percussions en provenance directe d'Amérique Latine... Toutes ses expériences personnelles sont ici transmutées en autant d'ingrédients musicaux mélangés pour former une masse nouvelle. L'essence du rap, cette ultime pièce du puzzle présente sur l'album de manière plus que significative. Introduisant l'année passée le Dr. Who Dat? et son univers musical personnel, Jneiro Jarel et ses différents alias sont désormais de retour derrière le micro; accompagné par ce plaisir pour l'auditeur de constater que les expériences musicales de J.J. n'ont pas entamé son envie prolixe de rimer et de se faufiler, pour l'exemple, dans l'atmosphère spongieuse à souhait d'un 'Electric Blue'.

De part son ouverture d'esprit, Jneiro Jarel a été de taille à fournir une musique éloignée des standards habituels. Véritable hallucination cosmico-musico-personnelle, "Craft Of The Lost Art" offre un aperçu plus qu'alléchant des facultés des Shape Of Broad Minds. Celles de toujours rebondir dans une direction imprévisible. Certains reprocheront, à n'en pas douter, cet aspect de fresque colorée à l'excès, porteuse d'un foisonnement difficile à digérer. Ils seront sûrement dans le vrai. Pour apprécier pleinement cet album, on dira alors qu'il faut simplement aimer la vie dans tout ce qu'elle peut avoir d'excessif, parfois isolée ('Solo [Underwater]') ou copieuse ('So Much [Chaos]') mais toujours féconde et souvent capricieuse et stupéfiante. Ce manifeste musical est une biographie à l'échelle d'un album qu'il faut accepter de prendre de plein fouet, un disque où il convient de pénétrer avec lenteur pour en découvrir encore et toujours les recoins les moins exposés, comprendre la profondeur de tout ce qui est offert.

Honnêtes avec lui-même, Omar Gilyard dévoile ici tout ce qu'il y a de plus personnel en lui. Par cette pochette, "Craft of the Lost Art" propose aux plus curieux de pénétrer dans le cerveau et l'esprit de Jneiro Jarel, du Dr. Who Dat?, de Rocque Wun, de Jawwaad et de Panama Black ou bien de tous ceux-là à la fois. Si certains semblaient encore se demander où étaient passés les arcanes d'une musique de qualité cette année-là, ils semblent bien se nicher dans les méandres complexes et tortueux déployés par les Shape Of Broad Minds, bien à l'abri derrière cette masse informe et chatoyante à l'excés qui, au moindre toucher, procurera aux êtres les plus attentifs une surprenante immersion au sein du bouillonnement abyssal de leur propre existence.

Newton
Octobre 2007
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Label: Lex Records
Production: Jneiro Jarel
Année: Août 2007

01. Gorilla Mash
02. Light Years Away
03. Let's Go (feat. MF Doom)
04. Changes
05. Nahuma [Interlude] (feat. Nahuma Holiday)
06. Opr8r
07. Buddafly Away
08. Unnamed
09. It Lives On (feat. Count Bass D)
10. So Much [Chaos] (feat. Lil' Sci aka John Robinson)
11. Buzz Around Town
12. They Don't Know (feat. Stacy Epps)
13. Bopper Blocker
14. Electric Blue
15. Mermaid
16. It Ain't Dead!!
17. Beast From Da East
18. Lullabanger [Thelonious Dedication]
19. Viberian Sun
20. There 4 Me
21. Stiff Robots And Drunken Horses
22. Solo [Underwater] (feat. Deborah Jordan)
23. 12c (feat. Aahtue)

Best Cuts: 'Buddafly Away', 'So Much [Chaos]', 'Lullabanger [Thelonious Dedication]'

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