Pourquoi reparler de Count Bass D et de ce disque sorti l'an dernier? Sûrement parce que seul l'indispensable "Dwight Spitz" avait jusqu'à présent été chroniqué par nos soins. Alors que Dwight Farell, le rappeur producteur basé à Nashville et ami de MF Doom possède aujourd'hui une discographie conséquente et variée : 4 albums, 2 excellentes mixtapes (la dernière intitulée "Some Music Part 2" est sortie en 2006), 2 maxis, quelques collaborations remarquées. Avec "Begborrowsteel", on s'intéresse ici au successeur désigné de "Dwight Spitz"... Alléchant.
Dès l'excellente intro 'Bullets Hit Brains' on est rassuré. On retrouve ici les ingrédients qui avaient fait de "Dwight Spitz" l'un des tous meilleurs albums de 2002. Ça part très fort avec une ligne d'orgue exécutée par Count himself. L'homme délivre ensuite son phrasé posé et inimitable ('Doxology'). Plutôt réputé pour ses qualités de producteur, il démontre ici son talent au micro, surclassant par moment nombres de MC.
Comme sur quasiment tous les derniers projets de Dwight, les musiques présentes sur "Begborrowsteel" brillent par leur qualité. En faisant toujours preuve d'éclectisme, Count prouve qu'il excelle dans l'art de trouver l'enchaînement idéal entre ses morceaux. Avec une prédominance pour les ambiances funky, il n'hésite pas à injecter des bribes de jazz, de rock, de soul, des extraits de films ou tout autre matériel audio dans sa musique. 'Nina & Weldon' démarre ainsi avec une interview radiophonique rare de Nina Simone.
Outre ses qualités de beatmaker, Count Bass D est également réputé pour son sens de l'humour décapant. Ca tombe bien, "Begborrowsteel" regorge de moments carrément drôles. Pour nous faire rire, Count joue à merveille de sa maîtrise du collage : 'The Mingus Sextet' et sa mélodie funky et sautillante entrecoupée par le son des orgasmes de l'une de ses conquêtes ; 'De Fausses Impressions', avec son dialogue introductif sur les filles blanches qui tombent amoureuses des artistes noirs, 'Low Batteries', où Count dépitche progressivement sa voix (un effet qui a pour but d' ironiser sur l'âge "avancé" du rappeur)...
Mais Count se montre aussi plus sérieux. Sur 'Drug Abusage', il attire les consciences des kids sur les dangers de la drogue. Ce message positif est martelé sur l'énorme 'Kumbuka Watu Penda Pesa (Part 2)', sans contexte le tube du disque. Sur un sublime sample de harpe vraiment planante, Count à la limite du slam et du rap, montre comme jamais son talent au micro. L'alternance de parties rappées et scratchées (
"Remember that the niggaz like dope") crée une ambiance méditative qui sert intelligemment le propos.
Autre gros morceau de l'album : 'Dollar Bill' où Count utilise un sample de Toots & The Maytals (extrait de 'Sweet And Dandy') et se le réapproprie littéralement. On notera au passage l'excellent rendu des scratches. 'Body By Jake' vaut lui aussi le détour. Un poil dépitché (y compris la voix) c'est le morceau le plus "lourd" du disque avec sa guitare électrique, son beat west coast et sa flûte frétillante.
La seconde partie de l'album est beaucoup plus extravagante. Sur 'Down Easy' le single de "Begborrowsteel", Count chante faux, mais ça fonctionne, dans un esprit proche de l'esprit de l'album "Art For Sale". 'Down Easy' est une déclaration d'amour décalée qui sonne très r'n'b et qu'il faut écouter sur la plage pendant les vacances d'été. 'New Edition Karaoke' est encore plus excentrique, voyant Count se lancer dans des vocalises hallucinées pour un résultat déconcertant. Le sample incroyablement kitch qu'il utilise montre que Count ne se fixe aucune limite sur le plan de la composition. Un bon point. Sur 'N° 3 Pencil', il lorgne même sans complexe vers les territoires de son ami MF Doom avec ses trompettes synthétiques et son riff de basse slappée. Le déjanté 'Canerow Waltz' est une véritable démonstration de scratchs et témoigne de l'excellent niveau du Monsieur derrière les platines.
Au bout du compte, le seul réel problème de cet album, c'est surtout qu'il est court, très court. Seuls cinq morceaux dépassent les deux minutes. Sur le plan vocal, Count assure mais on aimerait le voir rapper davantage. Du coup, "Begborrowsteel" n'atteint pas les sommets de "Dwight Spitz". Il manque ici un morceau aussi fort qu''Antéméridien' ou 'Sanctuary'. Par son caractère plus expérimental et pour ses quelques perles disséminées ça et là, par la bonne humeur qu'il inspire aussi, ce nouvel opus confirme cependant tout le bien qu'on pense du producteur MC de Nashville.
Kid Charlemagne Mars 2006