Pilier de The League (anciennement English League), producteur et emcee majeur du collectif Shape Shifters, membre actif du sous-ensemble des Chain Smokers… Avec ses multiples casquettes, LifeRexall a déjà au compteur plusieurs faits d'armes distingués qui en font une figure importante du tentaculaire underground californien. Cette année encore, son implication dans "The Track Team", le second album réussi de The League, ainsi que l'annonce de ses collaborations à venir avec 2Mex ou les Visionaries ont confirmé la nature protéiforme de son talent. Pourtant, si l'on excepte les 50 minutes instrumentales de "A New Life For Old Souls", l'intéressé n'avait encore jamais pris le temps de formuler son album à lui. Mais la demande se faisant croissante, LifeRexall a récemment décidé de s'y atteler. Arrivé à maturité, il a donc sorti un instant la tête des travaux de groupes pour pouvoir nous présenter aujourd'hui cet attendu "Frequency Response".
Soucieux de bien maîtriser tous les aspects de ce premier projet, LifeRexall s'est chargé de quasiment toute la production, ne lâchant les manettes qu'à trois reprises. Tout au long du LP, il opte pour une formulation à base de sampling alliant minimalisme et richesse mélodique. La recette aboutit souvent à de beaux instrumentaux... tout en sachant rentrer dans le lard quand il le faut (à l'instar des 2 minutes nerveuses d'un 'Jumpstart' qui nous fait entrer de plein pied dans l'album). Ne cherchez pas ici de sons futuristes, de structures ouvertement complexes ou de ruptures de rythme intempestives. Maniant sa MPC avec malice, LifeRexall laisse transparaître comme on s'y attendait des influences plus new-yorkaises et classiques que la majorité de ses collègues. Si ses partis pris surprendront peut-être quelques peu certains adeptes des Shapes, ils sont somme toute cohérents avec ce que Life nous avait laissé entendre jusqu'ici. En conséquence, même ceux qui n'ont pas accroché aux travaux audacieux de Circus ou d'Existereo pourraient trouver leur bonheur avec LifeRexall. Sur des motifs de basses enveloppants et des rythmiques implacables, celui qu'on surnomme aussi MilkShake alterne les ambiances avec bonheur : claviers mélancoliques et violons lancinants sur le très personnel 'Motivation'; progression de violons dynamiques rehaussés par un human beatboxing percutant sur le hitesque 'Uprising' (qui dans un monde parfait aurait d'ores et déjà une place de choix sur toutes les mixtapes)… Quelques pauses instrumentales au parfum soul/jazz indéniable permettent enfin à LifeRexall de montrer l'étendue de son savoir-faire; à l'instar du long 'Interlude' avec son piano chaloupée, sa guitare funky discrète, ses touches de cuivres et surtout sa boucle de flûte imparable. A l'écoute, on comprend mieux pourquoi nombre de emcees de la côte ouest sont en train d'acquérir ses services ces derniers mois.
Quelque soit le rythme qu'il ait choisi, LifeRexall se pose en tout cas avec un naturel déconcertant. Son flow animé mais fluide rend compte d'une maîtrise acquise à la sueur du front dans les réputés open-mics californiens. Quand il s'entoure en prime de ses compères des Chainsmokers (Akuma et Die) sur la guitare hispanisante hypnotique de 'Rock Rhymes' pour nous dire tout son attachement au hip-hop, on a dès lors le droit à un défilé de phrasés renversant que le flow en souffrance de Die Young éclabousse de sa classe naturelle. Mais tout n'est pas qu'histoire de flows et d'inventivité lyricale sur "Frequency Response". LifeRexall a voulu montrer toute l'étendue de ses talents et, s'ils sont bien entendu là, les egotrips à la gloire des Shifters ne sont pas aussi présents qu'on voudrait bien nous le faire croire depuis 'Go Soulow' (ici disponible dans une version remixée). Il suffit d'écouter 'Cold Touch' pour s'en rendre compte. Sur un piano impérial, LifeRexall y dépeint avec finesse une Amérique peu reluisante qui vit dans la peur, alimentée par des médias vecteurs d'ignorance, entre campagnes de guerres préventives, corruption et culte de la surveillance. A côté de ça, 'Motivation' et surtout l'excellent 'Sunflowerz' permettent d'entrevoir une facette plus intime de LifeRexall. Confié aux mains expertes de Deeskee (message subliminal : achetez "Blacklight Sessions"), le très personnel 'Sunflowerz' donne l'occasion à LR de remonter le temps pour nous parler sans sentimalisme de sa mère. Avec une basse balancée et quelques notes de vibraphone impressionnistes, Deeskee assemble un instru caressant qui va comme un gant à ces confessions honnêtes et qui fait de 'Sunflowerz' un des sommets de "Frequency Response". Pourtant, aux yeux de beaucoup, le morceau de bravoure sera probablement 'Surround Sound Table'. Réunissant un line-up de rêve sur une boucle de harpe de toute beauté, le titre s'avère en effet un des posse-cuts les plus réussis de récente mémoire. La production simple mais irrésistible, le flow en cascade de 2Mex, le style inimitable d'Existereo (visiblement au top pour longtemps depuis le très bon "Dirty Deeds & Dead Flowers"), les mélopées free de Bus Driver : tout concourt pour faire de 'Surround Sound Table' un vrai hold-up.
Au final, on pourrait reprocher à LifeRexall d'avoir un peu manqué d'ambition (on le sait en effet capable d'encore mieux) et de s'être cantonné à un registre assez classique… Mais il reste que "Frequency Response" ne souffre d'aucun défaut majeur et s'avère être un disque qu'on repose souvent sur la platine. Du coup, LifeRexall signe un album qui pourrait pour la première fois fédérer autour de lui les fans des Shape Shifters mais aussi les détracteurs les plus féroces de l'extravagant collectif. Evoluant dans des contrées moins avant-gardistes que la majorité des projets de ses camarades tout en maintenant le niveau de qualité, LifeRexall parvient à dessiner un premier LP solide aux contours accessibles qui ne manquera pas de faire monter sa côte et celle de son crew. Il conclut ainsi de belle manière une année 2003 fructueuse pour les Shapeshifters.
Cobalt Décembre 2003