Sinistre

Acteur de quelques-uns des épisodes les plus enthousiasmants de l'Histoire du rap hexagonal aux côtés de ses compères de la Malédiction du Nord ("En Attendant", "Les Raisons de la Colère"…), Sinistre prend aujourd'hui d'assaut l'année 2004 avec "Zone Sinistrée". "Vermine des Sous-Sols", artiste engagé, parrain de l'horrorcore français, africain attaché à ses racines, fer de lance de Junkadelic Zikmu: Sinistre est un peu tout ça. Quelques semaines après la sortie de son premier LP en solo, rencontre avec ce rappeur aux multiples facettes, pas comme les autres…



Hip-Hop Core : Pourrais-tu revenir un peu sur ce qui t'a amené à prendre le micro et à t'intéresser au rap en particulier?



Sinistre : J'ai commencé à écrire mes premières chansons en Afrique. J'avais 12 ans et je faisais de la musique africaine… L'intérêt et l'amour que je portais à la musique étaient mes principales motivations. Arrivé en France, j'ai découvert qu'on pouvait rapper en Français et véhiculer un message communautaire... C'est à ce moment là que j'ai commencé à écrire des textes de rap. Je pense que ce qui m'a attiré dans le rap, en premier lieu, c'était le côté "musique à texte"... Je me suis tout de suite identifié à ça...



HHC : On t'a souvent vu en solo et, si je me souviens bien, ton album est annoncé depuis 1999. Pourquoi a-t-il mis tant de temps à voir le jour?



S : Je n'ai aucun impératif ; pas de contraintes. Je ne devais pas sortir un "certain" disque à une "certaine" date. J'ai donc pris le temps de voyager, de faire des rencontres, d'enrichir mon bagage culturel. Puis, j'ai constitué un répertoire. Apres plusieurs sessions, j'ai finalisé "Zone Sinistrée". Pour moi, c'est le 8 ème Jour.... Le 7 ème , j'ai fait comme D... J'ai levé le pied.



HHC : Tu es signé sur Junkadelic Zikmu. C'était une évidence pour toi de signer avec Junkaz Lou?



S : Junkaz et moi partageons la même vision du rap et de la musique en général. Nous sommes dans la même position. Nous avons le même point de vue et le même objectif. On se complète et on marche ensemble depuis de nombreuses années. C'est la force de l'union. Après, Dieu seul connaît la suite... Et puis, j'aime bosser avec Junkaz Lou car il me laisse carte blanche. Il me laisse donner libre cours à ma créativité, à mon imagination.



HHC : Concentrons-nous un peu sur ton album "Zone Sinistrée", tu t'es entouré de plusieurs producteurs. Pourquoi?



S : Junkaz et moi avons élaboré le squelette de l'album mais je voulais quand même avoir d'autres producteurs pour donner différentes couleurs. Mon choix s'est porté sur des concepteurs peu ou pas connus. Je voulais le meilleur d'eux-mêmes, pour qu'ils se révèlent au public; parce que je pense qu'ils le méritent.



HHC : Même si on a une certaine unité, l'album propose des ambiances et des couleurs très variées. Pourquoi voulais-tu proposer une telle diversité?



S : C'est mon premier album solo, le premier d'une longue série... Je voulais montrer tout ce que je suis capable de faire en ce moment. Avec des concepts différents, plusieurs couleurs... Les prochains albums développeront chaque fois un des axes de "Zone Sinistrée"... Mais on aura l'occasion d'en reparler plus tard....



HHC : Pour quelle raison 'Le Pacte' n'est pas sur le LP au final? Il avait pourtant fait l'unanimité.



S : En fait, 'Le Pacte' était dès le départ un morceau inédit, uniquement destiné au maxi.



HHC : 'Angelika' est un titre vraiment sombre. C'est un conte pour le moins désespéré. Qu'est-ce qui t'a donné envie de raconter cette histoire?



S : Je voulais parler du Sida de manière à ne laisser personne indifférent. La stratégie, c'est : je te parle d'Angelika, tu l'adoptes, mais à la fin il arrive une galère à laquelle tu ne t'attendais pas et donc tu compatis.



HHC : On retrouve à nouveau Mystik à tes côtés sur 'On Clôt l'débat'.



S : On se connaît de longue date. On a partagé beaucoup de choses ensemble. L'avoir sur "Zone Sinistrée" était un réel plaisir.



HHC : Comment s'est passée la collaboration avec Marc Live pour 'C'est pas l'paradis' et pour le titre de son album sur lequel tu poses?



S : Marc était à Paris pour faire son album. On enregistrait dans le même studio. Les choses se sont faites naturellement. Il a posé un son dans "Zone Sinistrée" et j'ai rappé dans son album. On a ressenti la nécessité et l'intérêt de bosser ensemble dans cette période. J'apprécie sa musique, son rap aussi… et c'est réciproque.



HHC : Revenons un peu en arrière dans ta carrière. Comment as-tu rencontré tes collègues de la Malédiction du Nord?



S : J'avais un groupe avec mon pote KUNTA appelé "Onde de Choc". On était à la recherche de sons et on a atterri chez Done. Un peu plus tard, on a formé un posse "Six Pack" avec Mwidi, Ramso, etc. C'est juste après qu'est venue l'idée de former le groupe Malédiction Du Nord en fait.



HHC : Comment vous êtes-vous retrouvés sur la compilation "Hip Hop Vibes" en 1996?



S : Lord Killer, qui à l'époque avait produit le projet "Hip Hop Vibes", nous avait repéré lors d'un concert. Il est tout simplement venu nous voir après le show et il nous a proposé d'apparaître sur sa compilation.



HHC : Qu'est-ce qui vous a donné envie au début de votre carrière de débarquer avec un univers glauque et macabre proche de l'horrorcore?



S : La Malédiction du Nord est composée de rappeurs aux personnalités différentes. Il était nécessaire de la mettre en scène de manière théâtrale. C'est à dire au 2ème, voire 3ème degré. Nos connaissances en matière de religion et de films d'horreur (rires) étaient assez riches ; nous permettant de nous baser sur un concept gore et cru, provocant à souhait. Et puis, c'était et c'est toujours notre manière à nous de chroniquer la rue et sa saleté, en parlant de malédiction, de démons et d'enfer. Beaucoup nous ont suivi dans cette voie, mais jamais égalés ! (rires)



HHC : Au fil du temps, vous vous êtes clairement éloignés de cette image pour aller vers un rap plus "quotidien" et engagé. Etait-ce une évolution concertée?



S : 'Juste bon pour le sacrifice' était notre premier morceau. Nous sommes ensuite passés aux longs formats. Il était donc nécessaire d'exploiter toutes les facettes de la Malédiction : le côté gore, le côté street, le côté social...



HHC : Avec un peu de recul, comment est-ce que tu considères les projets que vous avez pu sortir comme "En Attendant" ou "Les Raisons de la Colère"?



S : Avec du recul, je me rends compte que ces deux opus ont bien vieillis et qu'ils constituent, par leur existence même, une raison pour nous de revenir (à n'importe quel moment) avec un nouveau disque... Ces deux albums sont les fondations solides de nos carrières respectives. C'est avec eux qu'on a fait nos preuves et la Malédiction plane toujours, donc...



HHC : Quelles sont pour toi les différences entre Sinistre en solo et Sinistre de la Malédiction du Nord?



S : Si je devais faire un dessin, Malédiction serait un arbre dont Sinistre serait une branche. La forme est différente mais le fond (la racine) est la même. En solo, il faut écrire des morceaux solos ; c'est à dire partager son expérience personnelle, en plusieurs couplets. Cela demande un effort particulier. C'est pour moi un terrain de jeux, d'expérimentations. En solo, je suis un mercenaire, je ne suis pas là où on m'attend. Malédiction, c'est une armée...



HHC : Peux-tu un peu nous parler des projets que tu as fait à une époque avec White & Spirit? Etait-ce le côté engagé qui t'attirait dans des projets comme '16'30 Contre la Censure' ou "Cercle Rouge"?



S : Pour moi, RAP = ENGAGEMENT (quel qu'il soit). Mais ma collaboration avec White & Spirit n'était pas simplement due au fait qu'il s'agissait d'un projet engagé. C'était avant tout un apport humain et professionnel. On a beaucoup de respect les uns pour les autres...



HHC : Qu'est-il advenu du label indépendant Phat Cratz avec lequel tu as percé? Cette structure associative a été pionnière dans le domaine de l'indépendance en France.



S : Phat Cratz n'existe plus. Une partie des membres du label s'est organisée pour créer Junkadelic Zikmu, label qui aujourd'hui est fort des erreurs commises et des leçons apprises.



HHC : Est-ce qu'il t'arrive de regretter l'effervescence de l'underground français de la seconde moitié des années 90 dont tu as fait partie et qui a écrit aux yeux de beaucoup les plus belles pages de l'histoire du rap français?



S : Je considère cette époque comme l'âge d'or du Rap Français. Avec l'arrivée d'une nouvelle vague enragée, affamée et par conséquent créative. Le succès commercial du rap a changé la donne - surtout pour ceux qui sont arrivés après... Avant, le R.A.P c'était "Rien A Perdre" aujourd'hui j'ai malheureusement l'impression que c'est "Rien A Proposer"...



HHC : Pourtant, on a l'impression qu'un renouveau se dessine justement en ce moment. Qu'en penses-tu?



S : "La faim fait sortir le loup des bois".



HHC : Revenons-en à "Zone Sinistrée". En bonus track sur le LP, on retrouve 'Na Yoki' avec Youssoupha et Mike Génie, un titre aux sonorités pour le moins africaines. Peux-tu nous parler un peu de ça?



S : J'ai travaillé avec Mike et Youssoupha sur un projet qu'on a réalisé pour l'Afrique, "Banakin". Ce projet fait partie de mon histoire. Il fallait que je fasse découvrir cet aspect de moi sur "Zone Sinistrée".



HHC : En parlant d'Afrique, tu n'as débarqué en France qu'en 1989. Quel souvenir gardes-tu de ton enfance passée au Congo?



S : En fait, j'étais trop jeune pour comprendre la situation de l'Afrique par rapport au reste du monde donc je n'ai que de bons souvenirs. Tout ce qui fait une enfance, heureuse et innocente.



HHC : Sur "Zone Sinistrée", tu lâches à un moment, en évoquant la situation africaine actuelle: "Après le casque colonial, le casque bleu". Que penses-tu de l'état du continent africain?



S : Ces dernières années, il y a eu une vague de démocratisation, surtout en Afrique Centrale. Mais des problèmes sociaux et économiques persistent et les chefs d'états ne sont que des pions à la solde des gouvernements occidentaux. Penses-tu que cela profite aux Africains ?



HHC : Pas vraiment… Après avoir écouté 'De Babylone à Sion', j'ai envie de te demander: penses-tu que Sion est encore loin? Quelle est la mission que tu t'es fixé d'ailleurs?



S : Le mieux serait que Babylone devienne Sion. Il faudrait que chacun donne du sien. Les jeunes aujourd'hui ont d'autres préoccupations; ils sont distraits. En tout cas, la mission que je me suis fixé, c'est d'apporter ma pierre à l'édifice, de remettre en cause les choses établies…



HHC : Quel est le futur de Sinistre et de la Malédiction du Nord?



S : Des disques, des disques, des disques.



HHC : Un dernier message pour les lecteurs d'Hip-Hop Core?



S : Ne laissez jamais quelqu'un "lire" à votre place...



Interview de Cobalt
Mars 2004

PS: Remerciements à Sinistre et à Nator de Junkadelic Zikmu.

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