Echappés des soirées "Rap meets poetry", les artificiers High Priest, Sayiid et Beans ont, en deux œuvres long format (le mystérieux "Isolationnist" qu'ils échafaudent avec DJ Vadim et l'obscur "Tragic Epilogue") imposé à un auditoire exigeant leur hip hop post-moderne, dérangeant et distordu.

Après une série de sorties confidentielles via leur structure Antipop Recordings, un deal de courte durée avec Black Hoodz (division de Wordsound) et l'aventure 75ark, le trio (chaperonné par papa Earl Blaize) offre aux backpackers nippons ce "Shopping Carts Crashing", en 2001. Ceux qui avaient cru déchiffrer le son APC en disséquant le sombre et minimal "Tragic Epilogue" (2000) seront vite désarçonnés par la texture des productions ici servies.

Fidèle à son credo ("disturbing the equilibrium"), le laboratoire Antipop s'est essayé à de nouvelles expériences soniques. Du beat vrombissant de 'M' au synthétique 'Throat Cultures', le consortium new-yorkais s'amuse à détourner les conventions. Il offre le meilleur certificat d'un éclectisme revendiqué et une énième preuve de son audace, de sa propension à surprendre. Le hit 'Angular' est d'une remarquable efficacité et atteste une fois de plus des talents de MC des intervenants. 'M' célèbre l'alchimie parfaite entre la verve des orateurs et le rugissement des machines à son, l'intermède bruitiste et vocodée 'Technocracy' - prélude à l'aventure Warp - est un concentré d'expérimentation audacieuse tandis que le faussement minimaliste 'Basix' semble tout droit sorti du LP précédent. Un collage sonore fait de klaxons et d'aboiements ('New York') et le surprenant riff de guitare électrique de 'Lazarus Pit' nous préparent à l'excellent 'Verses' partagé avec Apany B Fly (qui croisait déjà le fer avec les mêmes soldats sur 'Disorientation', en 1997), unique invitée de l'album.

Aucun temps mort, aucune longueur. Chaque piste de ce "Shopping Carts Crashing" est un condensé frénétique d'impétuosité, mené par 3 interprètes résolument jusqu'au-boutistes et compétents. La fluidité et la souplesse de Beans, le spoken-word de High Priest et la force de frappe de Sayiid fusionnent et célèbrent une complémentarité convaincante. Lyricalement, le travail fourni est largement à la hauteur de l'héritage poétique et des qualités d'écriture que tout un chacun concède aux protagonistes.

Au fil des bombardements discographiques, le rap d'Antipop s'est façonné et construit autour d'une logique de destruction. S'éloignant toujours un peu plus des contraintes et autres barrières musicales et arrachant systématiquement les étiquettes réductrices que les observateurs essayaient de lui coller, le quatuor a marqué d'une empreinte indélébile la musique de ces dix dernières années. "Shopping Carts Crashing" sonne comme un aboutissement et s'impose comme la pièce centrale d'une discographie sans véritable bémol.

Kreme
Juillet 2003