APC n'est plus, vive APC. Quelques mois seulement après l'annonce (démentie ?) de la séparation du groupe, deux de ses membres (en l'occurrence High Priest et Beans) nous offrent une récidive des plus audacieuses. C'est en effet associés au pianiste jazz Matthew Shipp (à qui l'on doit l'excellent "Equilibrium", sorti cette année) et à une formation de 4 autres musiciens - parmi lesquels l'incontournable bassiste William Parker et le trompettiste Daniel Carter - que les bonshommes viennent ajouter une ligne à un curriculum déjà chargé ["Tragic Epilogue", "Shopping Carts Crashing", "The Ends Against The Middle", "Arrythmia"... et les EPs "Diagonal Rhymes Garganchula" 1 et 2].

Le solo de Beans, fraîchement largué, n'a pas su contenter un auditoire à l'exigence légitime et le dernier LP du groupe ("Arrythmia" en 2002) est loin du niveau de ses prédécesseurs ; autant dire que ce "Antipop Consortium vs. Matthew Shipp" est investie d'une lourde tâche, celle de séduire un public habitué à des exploits discographiques récurrents mais déçu par les derniers faits d'armes du groupe. Malgré l'absence du tracklisting de Msayiid, sans doute le membre le plus intéressant de la formation APC, l'œuvre que nous propose cette combinaison inédite se présente plutôt bien : Matthew Shipp, chef de file du label Thirsty Ear (Dj Spooky, Brian Eno, Marc Almond…), est devenu en très peu de temps un artiste essentiel suggérant un jazz audacieux souvent emprunt de sonorités électroniques ; Anti-Pop Consortium, groupe phare et emblématique, explorant incessamment de nouveaux horizons et auteur de disques fondateurs tels que "Tragic Epilogue" ou "Shopping Carts Crashing", a su s'imposer au delà de l'auditorium hiphop "classique"… La rencontre de ces deux univers - pas si différents qu'ils n'y paraissent - donne donc logiquement droit aux plus sérieuses attentes.

Le résultat sera évidemment fusionnel et résolument intéressant. L'entrée en matière ('Places I've Never Been') séduira l'auditeur le plus perplexe et le moins habitué aux escapades de Matthew Shipp dont le piano est omniprésent. 'Staph', remarquable deuxième piste, résume à merveille la réunion des deux atmosphères tant le mélange est adroit, mais c'est dès le 3ème morceau, laissant une place plus importante au mcing (absent de l'introduction et sporadique sur 'Staph'), que la rencontre prend tout son sens. Un très bon morceau d'Antipop que ce 'Slow Horn', Beans étant impérial et la composition du jazz quintet mené par Shipp adéquate au possible (une basse envoûtante chapotant le tout)
"This is that powerful music".... c'est tout à fait ça.

Les surprenantes distorsions et la mélodie de 'SVP' - s'en allant crescendo - sont adroitement escortées de sonorités électronisantes et font de cette intermède de 5 minutes un des moments forts de l'album. Le rap efficace de 'Real Is Surreal' rappelle les meilleurs moments d'"Arrythmia".

Tout au long des 10 pistes que proposent le disque, la section rythmique emmenée par Parker (basse) et E.Browns (batterie) livrent un travail remarquable (décisif sur 'A Knot In Your Bop'), en second plan toutefois, par rapport au piano - parfois comme sous anabolisants - de Matthew Shipp (notamment sur 'Free Hop' dont l'intitulé qualifie à merveille la tonalité et l'impression laissée). Les apparitions, presque épisodiques, des MCs ponctuent idéalement le travail de composition fourni, les boites a rythme de Beans et Priest sont toujours aussi bien réglées et les rares cuts introduits ici et là achèvent ce séduisant tableau.

Au final, "Antipop Consortium vs. Matthew Shipp" est ce qu'on peut appeler une aventure réussie qui donnera à l'auditeur néophyte l'envie soudaine de découvrir les activités de M. Shipp et Thirsty Ear. L'absence du génial Msayiid se fait néanmoins sentir et on se réjouit déjà à l'idée de sa collaboration annoncée avec MF Doom ; en tout cas, aucune longueur et aucun moment passable sur cette nouvelle pierre estampillée Antipop.

Kreme
Mars 2003