Depuis sa fracassante entrée en scène avec son "Prelude" massif, C-Rayz Walz s'est imposé comme un emcee sortant de l'ordinaire. Doté d'un flow expressif, élastique et multi-formes (on se rappelle encore des imitations renversantes de 'Great Voices'), l'ex-voyou du Bronx a installé son tentaculaire crew Stronghold dans le paysage underground new-yorkais en l'espace de quelques titres coups de poing. Versatile et farouchement indépendante, la carrière de l'original Suncycle Emcee est cependant des plus dures à suivre. Signé successivement sur une multitude de labels (les plus récents étant Detonator et Subverse) pour de courtes périodes, le leader de Stronghold n'a pas encore réussi à réitérer le tour de force de son premier essai et court depuis quelques années après des producteurs dignes de son rap hors-norme. C'est pourquoi, l'an passé, la nouvelle de sa signature inattendue sur Definitive Jux nous avait rempli d'espoir… Il faut dire qu'à l'époque, le label était encore considéré comme intouchable.
Mais après un opus de Murs en demi-teinte et des opus affligeants (pour ne pas dire pitoyables) de SA Smash et Party Fun Action Committee, la donne a maintenant clairement changé et Def Jux s'égare de plus en plus dans tous les travers que ses fondateurs semblaient critiquer avec tant de vigueur il y a encore quelques années. "Ravipops", le nouvel opus de C-Rayz Walz, est donc parachuté dans les bacs avec 2 missions de taille : montrer que C-Rayz peut exploser au grand jour avec une fondation solide et surtout sauver Def Jux en remettant le label dans le droit chemin. Stakes is high… On pose donc l'album sur la platine avec anxiété.
En lieu et place des El-P, RJD2 ou Blockhead que l'on attendait (ou plutôt espérait), on se retrouve confrontée à une sélection de producteurs moins renommés… mais surtout moins aventureux dans le fond et la forme. Le fidèle et efficace Plain Pat n'est même présent que le temps d'un titre. Cet état de fait et cet éclatement des sources sonores tue dans l'œuf toute chance de réelle cohérence musicale ou de fil conducteur à l'ensemble. Cependant, cela ne veut pas dire que l'on n'a pas le droit à de bons moments. Belief, déjà reperé sur "The End of The Beginning" de Murs se montre assez efficace lors de ses prestations (si l'on omet l'inaudible '3 Card Molly'). 'The Essence' est même une authentique bombe qui donne tout loisir à C-Rayz Walz de briller. Son flow d'alcoolique à la recherche de punchlines toujours plus mémorables (
"so good off the top, my hairlines growing back"), de métaphores hilarantes et d'images toujours plus décalées (
"I'm Gandhi, with a bulletproof vest") fait mouche ici mais aussi sur 'Thug Melody'. Quelques autres productions marquent des points : le nostalgique '86' où le suncycle emcee se remémore le Golden Age avec un pincement au cœur sur un lit de piano sur mesure; la flûte envoûtante du sauvage 'Elephant Guns'; le 'Yeah' saccadé de Malik Allah et sa boucle de guitare sèche ou même l'évolutif 'Camouflage' de DJ Black Panther (dernière recrue de Third Earth).
Mais malheureusement, la qualité globale de la production est bien en-dessous de nos attentes. Même dans les bons moments, elle s'avère souvent trop classique, sans la touche d'imagination et l'audace que l'on attendait d'un disque estampillé Def Jux. Il suffit de voir 4th Pyramid transformer la dream team new-yorkaise la plus excitante de ce nouveau millénaire (Breezly Brewin, MF Doom, Vast Aire, Breez Evahflowin', J-Treds, Thirstin Howl III, Wordsworth…) en un séminaire mollasson à grand coup d'instru chiantissime sur 'The Line-Up' pour cerner les dysfonctionnements de "Ravipops". Le cœur du LP est ainsi constitué d'un ensemble de titres plats, médiocres et tristement banals ('Protect My Family', 'We Live'…) ponctués de quelques horreurs. A l'instar du vomitif 'Battle Me' qui génère des contractions stomacales incontrolables et constitue une des pires daubes de l'année mais aussi d'un 'Guns And Butter' très mal assorti ou d'un 'Seal Killa' proprement naze. Même s'il essaie de varier les thèmes et de ne pas rester constamment bloqué en battle mode pour faire honneur à son fils Ravi ('3 Card Molly', 'Protect My Family'), C-Rayz ne parvient pas à se dépétrer de la piètre qualité des instrumentaux qu'il a choisi. C-Rayz Walz se retrouve donc atteint une énième fois du même syndrome qui a déjà frappé tant de emcees : un mauvais goût caractérisé dans le choix des instrumentaux.
Le parti pris d'une multitude de producteurs et l'absence des stars de la maison Def Jux font aussi que C-Rayz Walz s'éparpille trop et ne parvient pas vraiment à donner de substance à son album. Même si C-Rayz y met clairement toute son âme et ses tripes, "Ravipops" est hétérogène et profondément inégal et le manque de réelles bombes empêche la pilule de passer… Au final, sans être un ratage complet, "Ravipops" ne parvient pas à marquer les esprits et apparaît comme tout juste moyen. Il manque donc clairement sa cible et ne parvient pas à empêcher Def Jux de poursuivre sa descente rapide (irrémédiable ?) vers les oubliettes du rap indépendant lambda… Quel gâchis! A l'écoûte de l'excellent 'Dead Buffalos' où C-Rayz se pose sur une production idéale de Plain Pat et évoque de manière imagé le calvaire des Indiens d'Amérique à la naissance des Etats-Unis, on se dit que C-Rayz aurait été plus inspiré de rester avec son ancien acolyte sur toute la durée de cet opus… Malheureusement ce n'est pas le cas. On ne peut que le déplorer.
Cobalt Août 2003