mcenroe & Birdapres
Nothing Is Cool

Ca devait arriver. A force de se croiser dans les rues de Vancouver, de faire du digging ensemble et de partager un bon nombre d'idées, il fallait bien qu'un jour mcenroe et Birdapres décident de se lancer dans un projet commun de grande envergure. Après quelques collaborations au coup par coup et une poignée de titres pour la compilation "Fall 2003" de Peanuts & Corn (dont 'Party People' et 'Supposed' ici présents), les 2 canadiens ont logiquement pris la décision d'unir leurs talents à la rime et à la production le temps d'un album en bonne et due forme. Pour faire les choses bien, ils ne se sont pas pressés, enregistrant quelques morceaux par-ci par-là entre l'été 2003 et le mois d'août 2004, jusqu'à ce qu'ils aient assemblé suffisamment de morceaux à leur goût pour nous servir ce "Nothing Is Cool" au titre parlant. Si rien ne semble donc trouver grâce aux yeux de mcenroe et Birdapres, on peut compter sur eux pour être perfectionnistes jusqu'au bout des ongles quant ils se mettent au travail. On se précipite donc sur ce premier LP commun sans trop d'appréhension mais avec un haut niveau d'exigences…

Premier constat: sous l'influence de Birdapres, les productions de mcenroe se teintent d'une coloration plus dynamique et de clins d'œil old school plus appuyés qu'à l'accoutumée. Avec sa guitare chicano, sa grosse basse et son beat uptempo à l'irrésistible parfum de TR-808 survoltée, 'Party People' est un hit diablement efficace plutôt inattendu de la part du camp P&C. Un bon point. Alignant les bons mots et se lançant dans d'énergiques passes d'armes microphoniques, Roddy Rod et Bird s'y montrent d'ailleurs sous un jour plus joueur que jamais. Sur la basse chaloupée du funky '5000 Watts', le duo a même déjà pensé à ses futurs concerts en ramenant ses plus gros speakers pour faire vibrer les murs et se tailler un hymne sur mesure… Pour autant, comme sur le récent "Break Bread EP", mcenroe garde sa patte distinctive faite de midtempos sophistiqués et soigneusement arrangés. "No pyrotechnics or cheap theatrics". Juste un son chaud, stratifié, minimaliste mais raffiné et saupoudré de quelques touches exotiques. Les compositions évoluent délicatement. Les breaks de batterie sont irréprochables; les lignes de basse sont toujours bien choisies et les scratches précis de Hunnicutt entrent dans la danse dès que le besoin s'en fait sentir. Bref, la musicalité des compositions laisse souvent pantois et tout est fait dans les règles de l'art Peanuts & Corn. Sur le sublime 'Break Merchant', mcenroe nous raconte d'ailleurs en détail (mais sans dévoiler ses secrets – Omerta oblige) sa quête insatiable du break ultime au prix le plus bas et son long travail de découpage et de camouflage des boucles qui passent entre ses mains. En hommage à cette tradition d'excellence, la production de 'Break Merchant' est exemplaire: une boucle d'orgue délicieusement rétro soulignée par une rythmique enveloppante, une flûte médiévale et quelques claviers caressants. Quasiment chaque morceau de "Nothing Is Cool" contient d'ailleurs un élément marquant: la voix angélique du mélancolique 'Grumpy Old Men', le break ensoleillé de 'Nothing Is Cool', le vibraphone intrigant du minimaliste 'A Little Bitter', les vapeurs orientales de 'Wanted To Cooperate', les violons tsiganes de 'Broke Beat'…

Si la production reste donc la force la plus évidente de mcenroe, son flow n'est pas en reste. Il faut dire que le soutien de poids de Birdapres y est pour quelque chose. Ces deux-là se sont vraiment bien trouvés. Outre leur goût commun pour un vocabulaire recherché au service d'un rap du quotidien, ils partagent en effet un penchant évident pour la misanthropie. "We sit on the park bench as long time outcasts". Ames sœurs au caractère bougon revendiqué, ils prennent un malin plaisir à fustiger tous les éléments perturbateurs qui passent dans leur champ d'action ('F*@k You 2K3', 'Bad Actorb'). C'est la tolérance zéro. Tous ceux qui ont quelque chose à se reprocher en prennent pour leur grade: les wack MC's, les promoteurs véreux, les jaloux, les pompeurs de tout bord, les mauvais payeurs, les pirates du net, les victimes de la mode, les opportunistes, les révisionnistes du hip-hop, les gosses de riche qui se créent des problèmes pour s'acheter une "street credibility", les financiers ultra-libéraux, les journalistes à la critique facile, le sénat américain et bien entendu l'inénarrable W. Même Tim Duncan est cloué au pilori "for being so boring". Pour enfoncer le clou, les 2 résidents de Vancouver profitent de la guitare sèche décalée de 'The Worst Person' pour nous dresser le portrait type du gros con, que ce soit votre voisin écoutant les Bee Gees à fond à six heures du mat' ou bien ce sale type qui continue à parler après le début du film… Le tableau est criant de vérité.

Mais derrière ces masques d'éternels insatisfaits qui prêtent souvent à sourire, mcenroe et Birdapres tissent en filigrane une critique habile et argumentée de cette société actuelle où l'ignorance est reine, où la médiocrité paie plus que le talent brut ("Those that bited are the creators in the eyes of the short-sighted") et où l'argent prend sournoisement le pas sur l'humain en écrasant toute contestation possible ("Not the code of the streets, this is harder to crack / Protest too loud and get shot in the back"). Les non-initiés pourraient bien passer à côté des double sens contenus derrière chacune des complaintes du duo. Il suffit pourtant de tendre l'oreille à 'Family Business' pour voir le degré de maîtrise auxquels les 2 compères sont arrivés dans le double langage. Sous la parodie mafieuse mise en avant à grand renfort de mandoline et de violons dramatiques, on entend clairement la remise en question des pratiques opaques des milieux financiers ("These stock-options is smeared with blood"). S'ils arborent un petit sourire plein d'ironie, mcenroe et Birdapres restent donc tous les 2 en croisade contre la bêtise et les mensonges. "They sold us a beautiful façade, carefully constructed but tragically flawed".

Au diapason de cette complémentarité évidente, les timbres de voix des 2 compères s'équilibrent parfaitement. La voix rugueuse et nonchalante de Birdapres et son phrasé complexe s'accordent bien avec la voix fluette et un peu nasale de mcenroe. En grande forme, Birdapres profite de cette union pour se rappeler à notre bon souvenir. Il faut dire qu'en dehors de quelques featurings chez P&C et d'une poignée de projets solo confidentiels, le bougre s'était fait plutôt discret depuis la sortie de son "Alleged Legends" avec Moves en 2001. A l'entendre ici, il n'a rien perdu de sa verve et il fait jeu égal avec le maître exilé de l'underground de Winnipeg… Les flows sont plus fluides, confiants et offensifs que jamais et tous ceux qui avaient l'audace de mettre en doute les capacités microphoniques de mcenroe essuieront ici un revers de taille. Comme il le dit lui-même, "I never claimed to have the cadence of Biggie; still / I keep my flows tight and my lyrics are really ill". Du coup, on ne trouve pas grand chose à redire sur cette collaboration née sous une bonne étoile. Certains pourront regretter que l'introspection soit mise au placard et que l'ambiance soit moins désenchantée et mélancolique qu'elle avait pu l'être par le passé sur les solos de mcenroe. D'autres pourront trouver (à juste titre) que 'South Slope' et 'Supposed' manquent d'un petit quelque chose… Mais aucun grief grave ne pourra être retenu à l'encontre de "Nothing Is Cool".

A bien y regarder, "Nothing Is Cool" est même tout simplement le meilleur album estampillé Peanuts & Corn depuis "disenfranchised". Perfectionnant sa formule en douceur et avec humilité, mcenroe continue à se construire une discographie imposante. Même accompagné de Birdapres, le credo reste le même: faire passer des observations sérieuses en les entourant d'une bonne dose de cynisme, d'humour et de productions impeccables. Le résultat parle de lui-même. Profondément honnête, varié, plein de second degré mais aussi de substance, "Nothing Is Cool" respire le talent. Alors que mcenroe sortira "disenfranchised 2" dès le mois prochain et que le solo de Birdapres verra le jour en juillet, cette collaboration qui coule de source est bien plus qu'un apéritif de luxe. Autant dire que la misanthropie a rarement été aussi cool. Et puis, pensez à mcenroe: "I gotta press vinyl and the prices are steep". Alors, achetez ce disque.

Cobalt
Janvier 2005
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Label: Peanuts & Corn
Production: mcenroe & Birdapres
Année: Novembre 2004

01. 5000 Watts
02. Break Merchant
03. Grumpy Old Men
04. Nothing Is Cool
05. Broke Beat
06. Party People
07. Bad Actorb
08. Family Business
09. The Worst Person
10. A Little Bitter (feat. John Smith)
11. South Slope (feat. Stace Prints)
12. Wanted To Cooperate
13. Supposed
14. F*@k You 2K3

Best Cuts: 'Break Merchant'; 'The Worst Person'; 'Party People'

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