Après nous avoir longuement parlé de sa passion de la musique et de ses collaborations avec Subtitle et Xololanxinxo, Anti-MC a bien voulu revenir avec nous sur les spécificités de sa collaboration au long cours avec Radioinactive, sur son futur discographique en solo, sur sa vision de cet underground californien plus vivace que jamais et aussi, une fois n'est pas coutume, sur les années Log Cabin et sur les raisons de la séparation du groupe mythique. La langue bien pendue et la blague dans la poche, Matthew est définitivement un producteur au franc-parler attachant… English version
Hip-Hop Core: Peux-tu nous donner quelques nouvelles de la série de EP's que tu devais sortir sur Mush? On n'a pas eu beaucoup d'infos depuis la sortie de "Run"…
Anti-MC: Tu sais, même si j'avais déjà produit la majorité des titres de "Pyramidi", j'étais encore quasiment inconnu quand on a fait "Free Kamal". Comme Kamal (Radioinactive) allait avoir beaucoup d'articles dans la presse avec cet album, on s'est dit qu'il serait bon de sortir 3 EP's de moi. De sorte que les 2 premiers soient dans les bacs avant la sortie de "Free Kamal" et que le troisième sorte juste dans la foulée… Mais en fait, ça ne s'est pas passé comme ça. La date de sortie de "Free Kamal" n'arrêtait pas d'être repoussée, on était à la bourre, et du coup j'ai dû totalement arrêter de travailler sur mon disque pour finir l'album de Kamal. Ca me saoulait. Kamal est venu en France faire son tour avec TTC et je me suis retrouvé tout seul pour faire une grosse partie du travail de fond, à peaufiner l'artwork, à relire les lyrics qui allaient être imprimés pour vérifier qu'il n'y avait pas d'erreur, etc… C'est pour ça qu'il y a quelques fautes d'orthographe dans le livret de l'album. Je devais faire tout ça en priorité, donc j'ai mis mon album en stand-by. Du coup, la série d'EP's n'est pas sortie comme c'était prévu au départ. Mais les gens de Revolver (notre distributeur) aimaient vraiment ma musique donc ils m'ont soutenu et m'ont dit qu'ils voulaient vraiment que cette série voie le jour. Donc ça va se faire. Ils voulaient même ressortir le premier EP, comme le premier pressage s'était vendu en à peine deux mois. D'ici le début de l'année prochaine, l'album devrait être dans les bacs.
L'album "It's Free But It's Not Cheap" sortira sur Mush mais ça a pris plus longtemps que prévu, à cause de "Free Kamal"… En plus, j'ai fait une tournée avec Boom-Bip en 2003 et on était venu ici pour une dizaine de jours. J'ai fait des tournées promotionnelles tout seul pour "Free Kamal", avec les pistes vocales de Kamal sur un CD, parce que Kamal était en tournée avec les Shapeshifters. Donc toutes ces choses et mon travail sur "Free Kamal" se sont additionnés et m'ont empêché de travailler sur mon propre disque. D'une certaine façon, c'est un mal pour un bien parce que j'ai accumulé de l'expérience depuis. Mon disque sera bien plus solide. Si je l'avais terminé il y a 2 ans, ce serait un projet un peu bâtard, qui sonnerait beaucoup comme "Free Kamal". Désormais, l'album aura vraiment un son bien à lui.
HHC: A ce sujet, à quoi doit-on s'attendre?
A: C'est très uptempo, plein d'énergie. Je l'ai retravaillé pour qu'il cogne plus fort et qu'il sonne plus space. Il est plus fou, plus uptempo qu'au départ! Une bonne partie des titres de l'album tourne autour de 120 ou 115 bpm donc ça va être marrant. J'ai utilisé beaucoup de guitares, par couches superposées. Ca va sonner bien plus pro que mes précédents trucs.
HHC: Qu'est-ce qui t'a donné envie de chanter sur certaines de tes productions? Pourquoi ne pas avoir plutôt pris le micro pour rapper comme à l'époque du Neosapien de Log Cabin?
A: Parce que je n'ai vraiment plus envie de rapper! Encore plus maintenant qu'il y a dix ans. Il y a trop de rappeurs et je ne pense pas que je puisse entrer en compétition avec les meilleurs d'entre eux. Je peux encore arriver à rapper comme j'aime mais je pense que désormais, à 27 ans, je suis trop vieux pour me remettre au rap. Et puis, comme je te l'ai dit, dans ces shows, il y'a genre 90% de mecs, aucune fille… Ca ne m'intéresse pas! (rires) J'aime bien l'énergie que dégage un bon groupe de rock en concert. Quand tu vois un très bon concert de rap, c'est aussi très impressionnant. Même si beaucoup de gens leur crachent dessus, je peux te dire que c'était vraiment quelque chose de tourner avec Themselves. Regarder Dose travailler le public et tout déchirer chaque soir, c'est aussi impressionnant que de voir un bon groupe de rock. Mais si tu vas voir un mauvais concert de rap par contre, wow, c'est vraiment à chier! Voir un mec s'emmêler les pinceaux avec son lecteur CD et freestyler pendant la moitié de la chanson parce qu'il a oublié ses lyrics, c'est assez affligeant. Cependant, je pense que je vais refaire des disques de rap. Je bosse avec Rhetoric (qui était sur 'Somethingness' sur le "Temporary Forever" de Busdriver). Et j'aime bien le rap taillé pour les clubs. J'adore entendre 'Quiet Storm' de Mobb Deep en soirée. J'aime le dance-hall aussi. D'ailleurs, je vais sûrement monter une boîte de nuit en revenant à Los Angeles. Mais pour ce qui est de me remettre à rapper, non, je ne pense pas que le marché a besoin d'un autre rappeur.
HHC: Mais ça ne te frustre pas de ne pas pouvoir faire connaître tes idées ou tes points de vue à ton public?
A: Oh, ça ne me gêne pas. Souvent, comme sur "Free Kamal", je suis en mesure de dicter la direction qu'un titre prend. En tant que producteur, je peux facilement dire: "pour ce beat, je pense qu'on devrait faire un texte comme-ci ou comme ça"… Quand on a commencé à écrire pour 'Before The Thought' sur "Pyramidi", Radioinactive voulait faire son truc habituel genre "succession d'idées à la vitesse de la lumière", et je lui ai dit: "non, je pense qu'on devrait faire quelque chose de plus lent pour être en accord avec le rythme des percussions". Il venait de rompre avec sa petite amie à l'époque et j'étais aussi dans la même situation donc c'est devenu cette sorte de ballade sur les amours difficiles. Je suis souvent capable d'orienter une chanson dans telle ou telle direction. Et si je n'y arrive pas, alors, je retourne les tables et je sors de la salle en gueulant "je ne peux pas travailler dans ces conditions!" (rires) Mais je ne suis jamais frustré, j'arrive toujours à trouver un exutoire.
HHC: Comparativement à ton travail solo, est-ce que tu travailles d'une manière différente avec Radioinactive?
A: Oui, c'est très différent. La grande majorité de mon travail avec Kamal est planifiée, c'est comme ça que Kamal fonctionne le mieux et c'est plus simple de travailler comme ça, vu qu'il a son boulot à côté du rap. Moi, je n'ai pas de travail en dehors de la musique. Je suis tout le temps chez moi à faire de la musique. J'ai la chance de venir d'une famille où je peux faire ça. Donc je bosse 24 heures par jour sur la musique. Je me lève, je vais dans mon studio, je joue de la guitare, je fais quelques accords et j'enregistre et j'enregistre des titres. Je fais tout ce que je veux avec ma musique. Avec Kamal, il y a certaines limites, il rappe très bien mais en tant que chanteur sa voix est un peu limitée. Mais il y a des trucs qu'il fait que beaucoup de rappers ne peuvent pas faire, donc j'y trouve mon compte. Par exemple, je peux faire des beats très uptempo parce qu'il peut rapper super vite. Je peux aussi laisser des espaces dans mes instrus parce qu'il est capable de les remplir. C'est vraiment différent. C'est unique de travailler avec lui. En plus, il est toujours prêt à relever des défis. Si je fais un beat en 3/4 et 5/4, il peut rapper dessus. Il est toujours prêt à tenter de nouvelles choses. C'est ce qui m'a toujours plu avec lui, il sera toujours à te dire "vas-y, fais-moi un beat, n'importe quoi. Si ça me plait, je rapperai dessus". C'était génial. Moi, je suis beaucoup plus difficile avec ma musique.
HHC: Qu'est-ce qui rend votre association si particulière à ton avis?
A: Je le connais depuis longtemps. Ca fait 12 ans maintenant. On a eu des engueulades, on est resté brouillé pendant de longues périodes, et puis on redevenait potes, puis on s'embrouillait à nouveau et puis on redevenait copains… C'est vraiment lui qui m'a mis le pied à l'étrier. Quand il a eu son contrat avec Mush, il m'a directement dit que ce serait moi qui produirais sa musique. La plupart des rappeurs de L.A. sont égocentriques et ne pensent qu'à eux… C'est pour ça qu'il y a tellement de producteurs que tu as entendu sur un disque et qui ont disparu de la circulation par la suite… Ils ont été lâchés par leurs rappeurs. Kamal n'a jamais fait ça. Comme tous les rappers, il a son ego et il y a toujours quelques problèmes mais il n'y a rien de malveillant dans ses actions, c'est un gars bien. J'aime ça. Il m'a laissé assez d'espace et de liberté pour que je sois créatif et que je fasse ce dont j'avais envie. Parce que comme je l'ai dit il est prêt à rapper sur tous les beats qui lui plaisent. On s'est vraiment fait plaisir. Il avait envie d'être produit, accompagné par quelqu'un. Avec certains rappers, quand tu leur dis d'essayer tel ou tel truc, ils te disent d'aller te faire foutre. Kamal n'est pas comme ça. C'était beaucoup plus facile de bosser avec lui. Je lui ai déjà dit que dans l'absolu je ne suis pas le plus grand fan de sa musique et de ce qu'il fait, mais je suis vraiment accro à sa créativité et à sa capacité à laisser libre cours aux choses. C'est quelque chose que je respecte vraiment énormément chez lui.
HHC: Quel était ton état d'esprit à l'époque de "Fo' Tractor" et "Pyramidi"?
A: Je me prenais vraiment pour un Noir. J'étais hardcore à fond. Je lisais des bouquins de Marcus Garvey et des trucs genre "fuck les blancs!" C'est la raison pour laquelle la majorité des sons de "Pyramidi" ne sont pas vraiment world, mais plutôt africains, indiens ou bien jazz. Parce que c'était mon truc. J'avais une vision totalement déformée de moi-même. Je n'étais qu'un gosse. J'avais 19 ou 20 ans quand on a fait "Fo'Tractor" et "Pyramidi" et j'essayais encore de me définir, de savoir qui j'étais. J'étais comme un gamin perdu dans les bois. Je me suis lancé dans le rap et rapidement il y a eu tous ces mecs du Good Life Café, dont j'avais des cassettes dans ma piaule, qui sont venus chez moi. C'était assez fou. Kamal a eu son contrat et on s'est dit: "on va vendre 50 000 disques, on sera les nouveaux Who!" Ca ne s'est pas exactement passé comme ça, mais c'était cool! (rires) C'était une super époque; cette époque magique où plein de gens de Los Angeles venaient à la maison de mes parents et où on enregistrait de la musique non-stop. C'était comme ça tous les jours. Pour te dire, au départ, il devait même y avoir un "Fo'Tractor 2", parce que sur "Fo'Tractor" il n'y avait que la moitié des titres qu'on avait fait. C'était super, mec. Donc pour répondre à ta question, à cette époque, j'étais heureux! (rires)
HHC: En général, quand tu commences à travailler sur un album, est-ce que tu as une idée précise de la direction dans laquelle tu veux aller ou est-ce que tu laisses les choses prendre forme par elles-mêmes?
A: J'envisage vraiment mes disques comme un tout. Par exemple, je suis assez nerveux parce que j'ai l'impression que le titre que j'ai fait avec Les McCann 'Run' ne s'insère pas bien dans le disque. Je trouve qu'il sonne daté et qu'on dirait un truc jazzy-groovy de 1998… Même si certaines personnes trouvent que ça sonne totalement neuf. J'en apprends un peu plus chaque jour sur la façon d'assembler un disque. Je pense que c'est ce qui manque à plein de gens dans le hip-hop. Tu n'as pas envie d'avoir 18 titres qui sonnent exactement pareil sur ton album et en même temps tu n'as pas envie d'avoir 10 chansons qui n'ont rien à voir entre elles… Il y a un juste milieu, 12 titres, 45 ou 50 minutes, un disque solide avec un son bien à lui. Le truc qui m'avait énervé en lisant une chronique de "Free Kamal", c'est que le mec disait que l'album n'avait pas de cohérence sonore. Alors que je trouve qu'il y en a vraiment une. Tous les beats ne sonnent pas exactement pareil mais le disque a une même vibe, un message, une énergie qui le parcourent. Je trouvais vraiment que le rythme de cet album était bon. On avait vraiment pris le temps de réfléchir à ces 12 chansons, de leur trouver leur place dans l'album… Au fur et à mesure que j'avance, j'en apprends plus sur cet aspect des choses, surtout avec mon album "It's Free But It's Not Cheap". Ca va même au-delà, quand tu parles de vision globale du projet, je pense désormais au fait que je dois trouver un groupe qui me convient pour ma tournée, je réfléchis à la tournure que mon set doit prendre. Il faut bien comprendre que chaque disque est une étape bien particulière dans ta carrière.
HHC: Comment es-tu entré en contact avec les gens de Mush au départ?
A: Par le biais de Kamal. Dose One était en quelque sorte A&R pour Mush. Et quand Robert de Mush habitait encore à Cincinatti et Chicago, il traînait avec Dose et Boom-Bip. Robert sortait de la house sur un label appelé "3 to 5" et il voulait sorti du hip-hop downtempo, du genre de Neutrino ou Boom-Bip. C'est pour ça qu'il a monté Mush. Au fil du temps, il a commencé à envisager Mush comme un label de hip-hop avant-gardiste et ils ont commencé à scruter les 4 coins des USA pour voir avec qui ils avaient envie de bosser. Le nom de Kamal leur est venu à l'esprit quand ils s'attardaient sur les artistes californiens, parce qu'ils avaient "Fo'Tractor" et pas mal de trucs des Shapeshifters. Ils trouvaient qu'il sortait vraiment du lot dans les Shapes. Et donc, un jour, Kamal est venu chez moi avec sa copine et il m'a dit: "hey, un label m'a appelé aujourd'hui pour me dire qu'ils voulaient me signer. Ils vont nous donner 200 $ pour faire un titre et 2000$ pour tout un album". J'étais là à dire: "Putain, on a réussi!" (rires) J'étais à 2 doigts d'aller m'acheter un manoir à Beverly Hills! Enfin, on a enregistré "Pyramidi", sans avoir aucune idée de quand il allait sortir. On l'a envoyé à Robert à la fin de 1999 et on a commencé à se dire: "Est-ce qu'on vient pas de se faire baiser?", parce que l'album n'est sorti qu'en juin 2001. Robert vivait à Chicago et on n'avait aucun moyen de mettre la main dessus, on pouvait tout juste le contacter par courrier. Alors, on lui envoyait plein de lettres où on lui disait: "Putain! Quand est-ce que notre disque va sortir?!" (rires) Mais quand l'album est enfin sorti, on était au septième ciel. Quand on a tourné la vidéo de "Pyramidi", Robert est venu avec les mecs de cLOUDDEAD et en fait le courant est tout de suite super bien passé entre nous deux. Il a déménagé à L.A. par la suite, on est devenu potes et il s'est vraiment intéressé à ma musique. Donc, maintenant, je fais un peu de boulot pour Mush et il veut sortir mon album, donc tout est cool. Kamal m'a vraiment bien aidé avec cette connexion.
HHC: Tu peux nous en dire un peu plus sur le temps que tu as passé en tournée avec l'équipe de cLOUDDEAD justement?
A: On se couchait tôt et on se levait tôt! A l'époque, j'avais une copine, Adam (Dose) et Jeff aussi, Alias était déjà marié et Dax est gay. Donc c'était une tournée sans filles. Tu sais, je suis un peu une personnalité alpha, je veux faire les choses bien, proprement. Mais c'est un peu la même chose pour la fête. Quand je fais la fête, c'est genre: "Aligne les! Au boulot!" Alors qu'Adam est encore plus pro que moi et il était là à dire: "non, on n'a pas le temps pour ça, on doit conduire demain". Comme Adam ne pouvait pas conduire à l'époque, Jeff, Alias, Dax et moi devions nous taper toute la conduite, tout autour des Etats-Unis, on se pliait à sa volonté. Mais n'empêche que cette tournée était super! Même si je n'aimais pas du tout le disque, j'adorais ces putains de concerts de cLOUDDEAD. C'était génial. C'est ça qui nous a fait prendre conscience, Kamal et moi, que nous devions avoir un vrai show. C'est encore plus impressionnant avec Themselves, parce qu'en remplaçant Dave et Jordan à la MPC par Jeff (qui est le maître de cette machine) et en ajoutant Dax aux claviers, ils dégagent vraiment une énorme énergie sur scène! C'était la folie chaque soir. Adam sait vraiment comment travailler un public et impliquer tout le monde dans son set. C'était super de le voir à l'œuvre. D'un point de vue du business, c'était le tour le moins prise de tête que j'ai jamais fait, parce que tout était carré, réglé comme du papier à musique. On savait où l'hôtel était, à quelle heure on devait se coucher, à quelle heure on devait se lever…
Sur la tournée que je fais avec Boom-Bip en ce moment, l'objectif est totalement différent. Je fais abuser de mon corps plus que jamais auparavant. Je dors deux ou trois heures par nuit, je picole tous les soirs, je rencontre des filles… S'il y a deux filles dans le show, j'essaie de parler avec l'une d'elles. En Angleterre, les meufs te matent à fond. C'est cool parce qu'elles sont assez mignonnes, mais c'est moins cool quand tu prends en compte le fait que leurs petits copains sont des Anglais bourrés qui n'hésiteront pas à t'en décoller une (rires). A Lyon, j'ai rencontré une fille qui était géniale… Mais j'ai dû me lever à 3 heures du matin pour monter dans le van et me casser donc ça m'a fait chier. On a été voir Beans ensemble et je me suis dit qu'elle était vraiment cool. Mais bon, j'ai rempli ma mission: j'ai bien bu, j'ai dormi deux heures et j'étais dans le van le lendemain, prêt à partir.
HHC: Qu'est-ce qui t'a poussé à commencer la série de mix-CD's "Bitter Breaks" où tu assembles des tracks de rare grooves et différentes boucles?
A: J'adore les disques de breakbeats, c'est cool. Comme Robert croit vraiment en mes capacités maintenant, il s'est dit que ce serait un bon moyen de me faire de la promo. Ils avaient bien travaillé les breakbeats de Boom-Bip et Blockhead et ils avaient envie de signer Jel pour un projet du même type mais il n'était pas vraiment intéressé… Du coup, je leur ai dit: "Je suis une putain! Signez-moi!" Je n'ai pas la moindre intégrité artistique, écris ça en gros caractères dans ton article! (rires) Donc j'ai fait mon truc et ils en étaient très contents. Ils l'ont sorti et le prochain volume sera sûrement prêt d'ici un an. J'ai vraiment envie de bâtir quelque chose autour de la sortie de "It's Free But It's Not Cheap", pour bien promouvoir cet album. Je suis en train de réunir un groupe de super beaux mecs et on va tailler la route pour une grande tournée, sûrement pendant une année, donc les gars, surveillez vos copines quand on viendra dans votre ville! (rires) Sinon, je vais aussi travailler sur un disque de breakbeats intitulé "Brutality Breaks" avec un de mes potes, Cali de Los Angeles. Il dirige le label Record Collection qui a sorti les Walkmen ou Goldie Lookin' Chains (du pays de Galles). Ce sera de la musique de mecs, du punk de skater, les parties les plus bourrines. Rien que ça!
HHC: Pour en revenir à "Free Kamal", beaucoup de gens avaient été surpris par la qualité sonore très pro de l'album. Qu'est-ce qui vous avez donné envie de laisser tomber le son lo-fi qui jouait pour beaucoup dans le charme de vos premiers projets communs?
A: L'envie de vendre plus de disques? (rires) Non, comme Kamal te l'avait dit la fois où tu l'as interviewé, la qualité sonore de "Pyramidi" était principalement liée au fait que le micro avec lequel on enregistrait était monté à l'envers. Donc déjà, le fait qu'on ait utilisé le micro dans le bon sens explique en partie le changement de son entre les albums! (rires) En plus, j'ai appris comment mettre un atténuateur à l'entrée du micro pour éviter que la voix se réverbère dans le micro. Et puis, cette fois-ci, on a vraiment mixé les beats. Pour "Pyramidi", on avait tout les beats sur 2 pistes, donc vous entendiez exactement ce qui sortait de mon ASR-10. Alias avait mixé "Pyramidi" en une semaine et il avait vraiment fait un super boulot avec ce qu'il avait entre les mains. Je n'arrive toujours pas à comprendre comment il a réussi à faire sonner l'album aussi bien. Il avait deux pistes pour le beat, trois pour la voix de Kamal (à travers le micro à l'envers), sans aucune compression ou quoi que ce soit… C'était brut de décoffrage! Mais avec "Free Kamal", j'avais Pro-Tools et on a vraiment pu mixer le disque. Robert est ingénieur du son et comme il avait déménagé à Los Angeles, il m'avait montré les bases du métier pour qu'on puisse faire quelque chose de bien. Il m'a appris les bases et il m'a filé des devoirs à faire chez moi. Je lui ramenais des versions mixées grossièrement de tel ou tel titre et il me disait "change ça et ça"… C'était génial. Du coup, maintenant, "It's Free But It's Not Cheap" va sonner comme un putain de disque de Justin Timberlake! Ca va être propre et bien fait. Je comprends bien le charme des disques lo-fi, ça a un côté neuf, frais et irrévérencieux… mais en même temps, ça sonne comme si ça avait été fait par une bande de gosses. Ca ne sonne pas comme un disque professionnel et du coup ça limite les possibilités.
HHC: Tu vis à LA depuis longtemps. A ton sens, qu'est-ce qui fait que la scène californienne underground a souvent été portée vers l'innovation et le style?
A: En fait, j'ai vécu toute ma vie dans la même maison à L.A.! A Los Angeles, tu peux vivre dans le coin le plus pauvre et défavorisé de la ville et avoir le quartier le plus riche en face de toi. Les gens veulent sortir de leur merde à tout prix et souvent ils n'ont pas envie d'avancer pas à pas. Ils veulent faire de l'argent rapidement et devenir une star dès demain. Depuis l'époque où la scène jazz passait sur Central Ave., Los Angeles a toujours préféré le style à la substance, au contenu. Donc je pense que la vibe qu'on retrouve dans le rap d'ici est en grande partie hérité de ce qui caractérisait le jazz de L.A. Tu vois, le cool jazz était brillant mais souvent c'était au détriment de la substance. Ces gars n'étaient pas forcément les meilleurs musiciens mais ils avaient une aura impressionnante et leurs disques avaient un son unique et vraiment stylé. Est-ce que c'était pour autant de la grande musique? Quelques disques étaient vraiment bons mais la plupart n'ont pas passé l'épreuve du temps… Et le rap angelino a un peu le même syndrome. Los Angeles n'était pas le premier endroit où des gars rappaient vite. C'est un mythe. Les gens de L.A. adorent dire ça mais c'est faux. C'est aussi faux que de dire que le rap vient de New York. Il vient du dancehall, des toasters jamaïcains. C'est la même pour le fast-rap, il y avait des mecs du dancehall comme Daddy Freddy qui faisaient ça depuis super longtemps. En plus, si tu écoutes la plupart des rappers de L.A. qui ont des putains de flows, ils racontent n'importe quoi dans leurs textes! Des gars comme Ellay Khule et Xinxo ont des super flows ET des super lyrics, mais pour la majorité des mecs, c'est plutôt genre:"Je vais essayer de rapper aussi vite et aussi follement que possible pour que vous ne compreniez rien à ce que je raconte, parce que je raconte de la merde". Après, c'est clair qu'il y a des mecs qui ont des flows de folie. Myka et P.E.A.C.E. racontent des trucs de fou parfois. Ils mettent bout à bout des mots étranges et c'est vraiment magnifique! Mais à côté de ça, tu as plein de gars qui pompent leur style mais qui racontent des trucs d'attardé totalement nazes…
Je n'ai jamais été au Good Life donc je n'aime pas jouer le mec qui sait tout sur le sujet. J'ai été au Project Blowed une dizaine de fois mais, vu qu'ils n'aimaient pas les mecs de Log Cabin, j'essayais de ne pas trop traîner là-bas… C'était loin de chez moi, je n'avais pas encore de voiture et je ne connaissais personne dans le coin qui puisse me ramener chez moi. Quand j'ai eu mon permis, le Good Life était déjà fermé. Donc tout ce que j'en sais vient des histoires que Xinxo et RKA (qui était sur le disque de Volume 10 "Hip-Hopera") m'ont racontées. RKA a été un des pionniers du Good Life et il m'a raconté tout plein de trucs, comme quand P.E.A.C.E. a débarqué du Texas… Mais ce ne sont que des histoires de seconde main. Mais de mon point de vue, c'est un événement crucial où les gens de Los Angeles ont réalisé qu'ils ne voulaient pas sonner comme New York, qu'ils ne voulaient pas être une annexe de New York, de Boston ou de Philadelphie… Ils voulaient avoir un son à part, complètement nouveau. Bon, même si le son est plus mélodique que quand Chubb Rock rappait vite, ça reste quand même du fast-rap. C'est plus rapide que NWA mais beaucoup de groupes ont les mêmes thèmes que NWA ou les gangsta rappeurs de L.A. Mais cet endroit a été un fantastique carrefour… ce qui s'explique si tu regardes où il se trouve géographiquement à L.A. C'était au beau milieu de tout.
HHC: Puisque tu l'évoquais tout à l'heure, est-ce que tu peux nous dire exactement les sources de la rancœur qui existe entre les affiliés au Project Blowed et les gars de Log Cabin?
A: Une grande partie de toute cette histoire est drapée d'un voile de mystère, de mythe, d'egos… Mais en fait, tout vient d'une vieille embrouille entre Eligh et Ellay Khule. Eligh était au collège avec les East Side Badstads (un groupe du Good Life composé de C.R., Misfit et d'un autre mec) Ils ont fait une tape (je crois que ça s'appelait "The Biggest Of The Baddest") et il y avait Ellay Khule dessus. Ces mecs rappaient depuis longtemps mais Eligh était déjà un rappeur quand il est arrivé dans leur collège. Il existe des cassettes vidéo où Eligh, Scarub, Demetrion (qui était dans les Badstads) et quelques autres rappent tous ensemble, vite, à l'école primaire de la 52 ème rue. Je pense que toute cette histoire a commencé quand Log Cabin a dit "on va se débrouiller tout seul, on n'a pas besoin de vous pour être crédible"… C'était une position assez sévère. Les gens disaient que Log Cabin pompait le style de Project Blowed du coup, mais les seuls mecs qui rappaient vite dans Log Cabin étaient Kamal et Eligh en fait. Tom Slick rappait assez vite mais sans plus, Malik The Problem Child sonnait comme le tout venant des gangsta rappers, Pooridge ne rappait pas vraiment vite, Murs ne jouait pas trop à ça non plus, moi je faisais n'importe quoi et Saga pouvait rapper vite mais il ne le faisait pas souvent… Enfin, il avait fait un titre 'Lake Under The Forest' qui n'est jamais sorti et qui devait tourner à 130 bpm. J'avais jamais entendu personne rapper comme ça. C'était un truc de malade! Mais bon, ça n'est jamais sorti et Saga rappait plutôt lentement sur les chansons de Log Cabin où il posait. Donc je crois que le gros problème était surtout entre Kamal, Eligh et les mecs de Project Blowed.
Mais la situation s'est retournée au moment où Kamal et Omid bossaient ensemble sur certaines chansons de "Pyramidi". Kamal a rencontré Khule une nuit au studio et il se demandait vraiment s'il allait se faire taper. Mais Omid les a présenté l'un à l'autre genre "Voici Radioinactive". Khule lui a demandé s'il était bien le mec de Log Cabin, le mec qui faisait la chèvre sur 'Farmers Market of the Beast'. Kamal s'est dit que ça allait partir en couilles… Mais Khule lui a dit que sa prestation sur ce titre tuait. Et tout s'est bien passé en fait. Maintenant ils se voient régulièrement et toute la clique a vraiment adopté Kamal. N'empêche que quand j'étais avec Xinxo (ndlr: qui est affilié à Afterlife) dans l'avion pour Hawaï, il me chambrait encore sur le mode: "Log Cabin, vous êtes des pompeurs!" Mais quoiqu'il en soit, si on regarde les trucs qu'Elusive, Eligh ou Conflict produisaient, ça ne sonnait pas du tout comme les sons de C.V.E. ou des mecs d'Afterlife. C'était beaucoup plus jazzy, plus new-yorkais d'une certaine manière… Donc je ne sais pas trop quoi penser de cette histoire. Je sais que Khule aime bien dire que c'est lui qui a brisé Log Cabin, mais c'est l'argent qui a mis fin à Log Cabin! Par le biais du gars qui possédait le studio dans lequel on enregistrait, on a eu une proposition de contrat. Ce mec s'appelait Henry, il était français et il avait un investisseur français qui était prêt à nous signer… Et ouais, la France nous a toujours soutenu! J'adore Paris! (ndlr: en français dans le texte) Enfin, donc, le contrat était d'un montant assez important et c'est là que ça s'est gâté. Les gars ont commencé à dire: "Est-ce qu'on doit simplement diviser l'argent en parts égales ou est-ce qu'on doit baser la répartition sur le travail qui a été effectué?" Parce qu'il y avait des mecs du genre de Pooridge qui était seulement sur un titre. Alors, certains disaient: "Est-ce qu'il doit recevoir la même somme que Kamal, Tom Slick ou Eligh, qui rappait sur quasiment tous les titres et qui produisait même d'autres titres sur lesquels il ne rappait pas?" Donc ce qui nous a vraiment condamné, c'est plus le fait qu'on était des jeunes gars inexpérimentés confrontés à une grosse somme d'argent…
HHC: Pour changer totalement de sujet, quel est ton disque favori en ce moment?
A: Le disque auquel je suis totalement accro sur cette tournée, c'est "Electric Warrior" de T-Rex. Quand j'étais jeune, je n'écoutais pas du tout de rock; j'étais tellement à fond dans le rap du CE2 jusqu'à 2 ans en arrière. Mais ce "Electric Warrior" est vraiment incroyable. C'est le prototype du disque de glam rock, mais ça contient aussi plein de beats hip-hop, tous les clichés de la musique électronique et tous les clichés du punk. Je viens juste d'avoir un I-pod et tous les mecs de cette tournée en ont un donc on n'arrête pas de se faire tourner des sons. On est en train de se faire une librairie sur I-tunes en fait. J'ai mis mes 350 disques de rap, Robert a mis ses 1000 disques de rock et Brian (Boom-Bip) a mis ses 1000 disques d'électro… On a donc cette grande médiathèque de sons et avant de partir en tournée j'ai décidé de ne pas prendre de hip-hop dans ma sélection. Je veux uniquement entendre de la musique que je n'ai jamais entendue auparavant, pour me pencher sur des trucs que j'ai négligés pendant des années. Et c'est vraiment cool.
HHC: Pour finir, est-ce que tu pourrais faire un petit bilan des projets que tu as sur le grill?
A: Je vais faire ce "Brutality Breaks" dont je te parlais, dès que je rentre à la maison. Je vais aussi faire un remix pour un groupe qui est sur le label qui a sorti un 12" avec Guru et 2Mex. En dehors de ça, je dois finir "It's Free But It's Not Cheap", monter un groupe et préparer une tournée. Côté business, je vais essayer de me trouver un deal en licence dans le coin. J'ai déjà contacté quelques labels parce que j'ai envie que mon disque soit mieux distribué ici que la plupart des disques Mush. J'ai vraiment envie de faire les choses une par une maintenant, parce que ces deux dernières années, entre "Free Kamal", mon album et "Bitter Breaks", c'était vraiment tendu à gérer. Je vais essayer de me concentrer sur mon disque pour pouvoir le promouvoir correctement quand il sortira. Mon EP devrait sortir en septembre et j'espère que l'album sera dans les bacs d'ici février prochain, pour mon anniversaire… ou en tout cas, pas plus tard qu'en mai. "Brutality Breaks" sortira quand on l'aura terminé. Ce sera sûrement une sortie indé un peu à l'arrache, dans un esprit punk.
En dehors de ça, je voulais juste ajouter que pendant nos premières soirées en France, j'ai eu l'impression que tout le monde pensait que les Américains détestaient les Français… Bon, c'est vrai la moitié du temps. Mais sinon, que ceci soit dit une bonne fois pour toute, les Américains adorent la France! Je suis accro à la France.
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