Radioinactive, les Shapeshifters, Subtitle, Xololanxinxo, Log Cabin: le carnet d'adresses d'Anti-MC est pour le moins impressionnant. Après plus de dix ans passés à faire bouger l'underground californien et à être un acteur de ses courants les plus intéressants, Matthew reste encore une figure de l'ombre. Alors que sa carrière solo sur Mush devrait permettre à ce producteur hors-normes de faire beaucoup parler de lui dans les mois qui viennent, Hip-Hop Core a intercepté Anti-MC lors de son passage éclair en France en tant que clavier de Boom-Bip lors de sa tournée européenne. L'occasion d'un retour en long et en large sur une carrière passionnante. L'occasion aussi d'entendre quelques anecdotes sur la vie quotidienne des souterrains de la west coast et de mieux cerner tous les talents de ce musicien pas comme les autres. Premier volet d'un entretien en forme d'exutoire pour le sympathique beatmaker angelino… English version
Hip-Hop Core: Comment s'est passé le tour avec Boom-Bip jusqu'ici?
Anti-MC: C'est de la folie! J'ai vraiment pris du bon temps. J'ai bien abusé, je dors à peine 2 heures chaque soir, je bois comme un trou et je fais un peu n'importe quoi… mais il faut dire qu'on n'arrête pas d'enchaîner les concerts. Jusqu'ici nous n'avons eu que 2 soirs de repos. Après avoir fait 7 concerts de rang un peu partout en Angleterre, on a dû faire le trajet de Glasgow (tout en haut de l'Ecosse) jusqu'à Bruxelles en une nuit. Une fois le concert de Glasgow terminé, vers 11 heures du soir, on est parti direct et on a conduit toute la nuit pour pouvoir prendre le train de 7 heures du matin à Londres. La nuit d'après, on était à Istanbul. Mais bon, cette fois-ci, on y a été en avion donc on a pu se reposer un peu. Mais le soir suivant, on devait être en Hollande, donc on a dû retourner à Bruxelles en avion pour pouvoir y prendre un train pour les Pays-Bas. Le premier show là-bas a été annulé donc ça nous a fait une de nos deux nuits de repos… Puis on est parti à Berlin, Exeter… Ca a été la folie! Mais ça s'est super bien passé.
Quand tu fais une tournée rap, comme le Mush tour d'il y a quelques années, et que tu as des rappers ou un chanteur avec toi, la répartition hommes - femmes dans public est assez équilibrée. Mais pour les concerts de Brian (Boom-Bip), il y a une écrasante majorité de mecs. De temps en temps une fille accompagne son petit ami mais en gros, il y a 90% de mecs. On a une très bonne réaction du public au show, parce que tous les gens qui viennent sont authentiquement et profondément intéressés par la musique. Par contre, c'est vrai que de ce fait le public est un peu coincé et qu'il n'y a pas beaucoup de monde qui danse ou qui saute dans tous les sens. Généralement, je suis la seule personne de la salle qui danse, alors que je suis sur scène. (rires)
HHC: Qu'est-ce qui t'a donné envie de devenir un des membres du groupe qui accompagne Boom-Bip sur scène pendant cette tournée?
A: Le pognon!!! (rires). Non, je déconne. J'ai rencontré Brian pendant ce fameux tour Mush. Quelques jours avant qu'on parte sur la route, Robert de Mush nous avait tous réuni pour qu'on passe un peu de temps ensemble. Les mecs de cLOUDDEAD étaient là et Brian était venu aussi, alors qu'il habitait encore à Cincinnati. C'était l'un des mecs les plus vieux du tour et il était toujours super sympa donc on s'est bien entendu et on est devenu amis. Après la tournée, il avait envie de s'installer à Los Angeles donc je lui ai donné quelques conseils et je l'ai un peu aidé dans sa recherche de logement. Puis, voilà quelques temps, il m'a dit qu'il avait une tournée en préparation et qu'il avait besoin de quelqu'un pour jouer dans son groupe. J'ai accepté.
HHC: Tu avais déjà joué des instruments dans un groupe par le passé?
A: Sur la tournée Mush, je dirigeais le groupe qui accompagnait Radioinactive et sur "Free Kamal" je jouais tous les instruments… Mais en dehors de ça, je n'avais jamais vraiment joué dans un groupe instrumental. J'avais bien joué dans quelques groupes de jazz et dans quelques ensembles de cuivres au lycée (c'était une école de musique) mais on ne faisait pas vraiment de concerts en dehors de l'école; ça faisait partie de la formation. En dehors de l'école, je jouais dans des groupes de rock avec des chanteurs ou dans des groupes de punk.
HHC: Je sais que tu joues pas mal d'instruments différents. Est-ce que tu as tous appris à les jouer à l'école?
A: En quelque sorte, ouais… Bon, à vrai dire, je jouais de la guitare avant de rentrer à l'école et ma grand-mère m'avait fait jouer du piano dès mon plus jeune age. Tu sais, mon père était dans le milieu de la musique et ma famille est pas mal branchée sur tout ce qui concerne les arts donc ils m'ont toujours encouragé à essayer de jouer d'un instrument. Quand j'avais 8 ou 9 ans, un de mes copains avait une guitare et quand mes parents ont vu que j'aimais vraiment le son de cet instrument, ils m'ont inscrit à des cours particuliers en dehors de l'école. Donc dès que je suis rentré au lycée, j'ai joué dans des groupes. Ils m'avaient même mis dans la fanfare où je jouais du trombone, l'instrument du nerd par excellence. Donc à cette époque, j'ai joué dans des ensembles de cuivres et d'instruments à vents en tant que concertiste et je jouais aussi de la guitare dans des groupes de jazz de bon niveau. C'était un peu une grande réunion de nerds, genre on s'apprenait à jouer des instruments les uns les autres. S'il y avait un bon trompettiste dans le coin, on traînait ensemble et il me demandait de lui apprendre à jouer de la guitare, et en échange il m'apprenait à jouer de la trompette… C'était une pratique assez répandue. En plus, comme je jouais de la guitare, j'ai pu apprendre tout seul à jouer de la basse. J'ai aussi pris quelques leçons de piano. Au bout du compte, maintenant, je me débrouille bien au piano, aux claviers, à la guitare, à la basse, au trombone et à la trompette… Je peux aussi faire des rythmiques assez basiques à la batterie, mais je ne suis pas un as… par contre, je peux me débrouiller assez bien aux percussions. Ce n'est pas pour me la raconter, mais disons que si j'ai suffisamment de temps pour étudier un instrument, je peux généralement arriver à en jouer plutôt bien…
HHC: Quand on voit ton éducation artistique et tes talents d'instrumentiste, on se dit que c'est un peu étrange que tu aies décidé de devenir un producteur de rap…
A: Tu sais, l'année où j'ai passé mon bac à Hamilton, j'étais avec Murs, Eligh, Scarub, Anacron, Double K de People Under The Stairs et Belief (le mec qui a posé quelques productions sur les derniers projets de Murs)… Eligh a arrêté en cours d'année et a obtenu un GED pour aller dans un "college", mais on était tous ensemble. Donc tu vois, quand tu grandis à L.A., le rap est toujours autour de toi. Quoi que tu fasses, tu es forcément influencé par cette musique. Ca m'intriguait. Je devais être en CM1 la première fois que j'ai entendu du hip-hop et c'était vraiment quelque chose de neuf et de différent pour moi. Or, je vivais dans une maison où les activités musicales étaient vivement conseillées, surtout si c'était quelque chose de cool, de nouveau, d'avant gardiste… Donc j'ai commencé à traîner avec tous ces mecs. Avec Murs et Eligh, on faisait partie du crew Log Cabin. C'était l'époque où j'étais encore un rappeur. Je ne faisais pas encore de production. Mais, j'ai commencé à regarder Elusive (qui était dans le groupe) faire des beats sur sa SP et ça m'a intrigué. Au fil du temps, je m'y suis mis et comme je prenais plus de plaisir à la production, j'ai laissé tomber le rap. C'était comme si tout le monde rappait à L.A. et je me suis rendu compte que je forçais trop le trait au micro, que j'essayais trop d'être quelqu'un d'autre… Ce n'était pas du tout moi, donc j'ai laissé tomber. Comme j'aimais jouer des instruments, je me suis mis plus sérieusement à la production.
HHC: En parlant de Log Cabin, je sais que Murs ne veut pas que l'album que vous aviez enregistré à l'époque fasse l'objet d'une sortie officielle. Mais est-ce que tu ne penses pas que ce serait une bonne chose de donner enfin à ce disque la sortie qu'il mérite et de faire plaisir à vos fans, au lieu de le laisser filtrer par bout dans les limbes de l'univers des mp3's?
A: Je comprends le point de vue de Murs: le passé est le passé. Ce serait tellement difficile de réunir toutes les personnes concernées dans une même pièce pour discuter de ça et envisager le partage du gâteau… Surtout que c'est déjà ce genre de problèmes qui a causé la rupture du groupe. Mais c'est vrai que d'un autre côté, il y a certains anciens membres du groupe, comme Kamal (Radioinactive), qui pensent que tout ira bien si nous sortons ce disque. Je pense que la vérité est quelque part entre ces 2 points de vue. Si tout le monde pouvait se réunir dans une salle, prendre un peu de recul et essayer de bien s'entendre pendant un moment, ce serait super de voir ce disque sortir. Mais en même temps, c'est bien qu'il y ait ce mystère autour de Log Cabin… Surtout à une époque où tu as tellement de rappers qui ne font plus aucun nouveau disque et qui se contentent de rééditer quinze fois le même disque.
HHC: C'est vrai. Mais par exemple, ça a été super de pouvoir enfin trouver le "Fo'Tractor" de Radioinactive en CD l'an passé. Ce genre de réédition a permis à une bonne partie de votre public d'acheter l'album et de l'avoir dans sa collection, plutôt que de le voir confiné à un triste répertoire de mp3's de mauvaise qualité… C'est quand même autre chose! Et ça n'empêche pas les gens de rester très intéressés par vos nouveaux projets.
A: Certes. Mais il ne faut pas oublier de prendre en compte l'aspect financier. Je pense que tous les mecs qui étaient dans Log Cabin sont une situation financière suffisamment confortable pour ne pas avoir à rééditer ce vieux projet. De nos jours, tu as des groupes chez qui c'est toujours les soldes! Tout ce qu'ils enregistrent, ils savent que leurs fans vont l'acheter, donc ils savent qu'ils peuvent le vendre. Genre: "ce freestyle qu'on a fait la semaine dernière, gravons-le sur un disque et vendons-le! Il y aura bien quelqu'un pour l'acheter. Si on en vend 5, ça fera toujours 50 $ de gain!" Ce n'est pas bien de se servir de ses fans de cette façon. Murs, Eligh et Scarub sont dans une position, au niveau de leur carrière, où ils n'ont pas besoin d'agir de cette manière. Et je suis assez d'accord sur leur point de vue concernant le projet Log Cabin.
HHC: Pour en revenir à ta formation musicale, à ton avis, comment est-ce qu'elle influence ta vision et ton style de production?
A: Je ne sais pas trop quoi en penser. Parfois, j'entends des propos de hip-hoppers qui sont totalement à côté de la plaque. Il y a des gars qui tournent en rond, qui disent toujours la même chose, qui disent être attachés à un certain âge d'or du rap. Mais un des trucs que j'ai appris lors de mes études, c'est que tout ça est totalement subjectif. Si tu as grandi à Brooklyn en 1977, ton âge d'or représentera quelque chose de complètement différent de celui du gosse qui aura entendu du rap pour la première fois en 1993 et pour qui l'âge d'or sera représenté par des artistes comme Souls of Mischief… Pour certains mecs, l'âge d'or, ce sera Rammelzee et K-Rob. Et maintenant, tu as des gens qui pensent qu'Anacron et Def Jux et toute cette scène sont l'âge d'or du rap et que nous vivons une vraie renaissance du rap. En fait, je pense que tous ces points de vue sont valides. Quand tu regardes le jazz, tu ne peux pas dire que son âge d'or, c'était les années 20 ou bien les années 50 et toute la période Blue Note… Tout fait partie de son âge d'or! Enfin, jusqu'aux années 80! (rires) Tu sais, quand j'écoute du rap, il y a certains trucs qui m'emportent totalement… Mais j'aime danser et aller en boîte avec ma copine et je trouve dommage qu'une majorité du rap ait oublié cet aspect de la musique. Une grande partie du rap underground a oublié qu'il fallait s'amuser un peu. Dans le même temps, une grande partie du rap commercial / overground est dénué de valeur artistique et a oublié la réalité de la rue. Je pense qu'il doit y avoir un juste milieu entre les 2… Si tu considères que la voix est un instrument, il y a tellement de rappers qui ne sonnent pas à l'aise avec leur propre rap… Souvent c'est forcé et les gars n'ont pas la même aisance et la même assurance que celles qui transparaissaient dans le flow des grands rappers old school. Donc je ne sais pas quoi penser. Je pensais qu'Edan allait vraiment devenir énorme dans le milieu du rap… Il est tellement dope et il a une telle aisance au micro! Mais tu as des mecs qui adorent et d'autres qui restent hermétiques. Et, dans le même temps, tu as des gars qui vendent des milliers de disques alors que leur flow est super forcé et manque totalement de naturel. C'est dingue! Je trouve que le rap a perdu beaucoup de ça, de son naturel, de son insouciance.
HHC: Qu'est-ce qui t'attire vers les sons orientaux et vers la world music en général?
A: Je ne sais pas, j'aime le mystère qui se dégage de cette musique. A l'écoute, c'est différent de tout ce que tu connais. Pendant la plus grande partie de ma vie, j'ai grandi dans une maison où on écoutait Lou Reed, de la country, beaucoup de musique américaine. Mon père aimait le blues, Otis Redding, Muddy Waters… Donc lorsque j'ai commencé à écouter de la world music, c'était quelque chose de totalement différent et neuf pour mes oreilles. A L.A., on a une station radio KCRW 89.9 qui passait une émission reggae et une émission de musique africaine qu'on écoutait parfois pendant le week-end. Mais ce n'était pas non plus le genre de musique qui passait tout le temps à la maison. Donc quand j'en ai entendu pour la première fois, ça a vraiment capté mon attention. C'est comme si cette musique prenait tout ce que j'avais appris avant pendant mes dix années d'étude de la musique et balançait tout par la fenêtre en disant "voici les nouvelles règles". D'autre part, à l'époque, j'essayais vraiment d'être un mec cool et à la pointe de la mode… et je savais que ce truc allait envahir le rap. Je me souviens qu'en écoutant de la musique indienne au lycée, je m'étais dit que le rap deviendrait bientôt fou de cette musique et qu'on en entendrait dans tous les titres de rap. Et puis, une des raisons pour lesquelles j'aime cette musique, c'est aussi parce que c'est une belle musique, pleine d'émotion et d'âme.
A mes yeux, c'est souvent sa connaissance de la musique qui fait qu'un producteur est bon ou pas. Il y a tellement de producteurs qui achètent des disques que d'autres gens ont déjà samplé pour y piocher leurs propres samples. C'est vraiment ne rien comprendre à la musique que de faire ça. C'est ne pas l'apprécier. Si ton job consiste à prendre quelque chose de vieux et de beau et à le transformer en quelque chose de neuf, comme une sorte d'assemblage étrange, tu te dois d'étendre tes frontières. Je pense qu'un producteur de hip-hop est quelqu'un qui rend hommage à la musique, qui cherche à faire écouter à d'autres gens un son ou un type de musique… Les fans de rap ne devraient pas uniquement écouter des samples de Minnie Riperton. Ils devraient pouvoir entendre des samples de Nusrat Fateh Ali Kahn ou d'autres. C'est notre boulot!
HHC: Comment est-ce que tu travailles sur un titre d'ailleurs? Est-ce que tu pars d'une boucle et arrange tout autour de cette ossature ou est-ce que tu as une idée bien précise d'une atmosphère et que tu essaies de trouver des éléments qui peuvent la transmettre à l'auditeur?
A: Ca a beaucoup changé au fil du temps. Dans le passé, sur l'album de Xoloxanxinxo "Tapes From A Stolen Car", sur les trucs de la Westcoast Workforce ou même sur le premier album de Kamal, je faisais souvent les instrus en un jour. J'étais convaincu que si je travaillais plus longtemps sur les titres, le résultat sonnerait forcé et ne serait pas bon. Je faisais tout super rapidement. Je sélectionnais une boucle dans un disque, je prenais un putain de disque de breakbeat et découpais les batteries comme je le voulais et hop, le titre était prêt! Maintenant, comme j'écoute encore plus de musique, j'utilise moins de samples et je joue plus d'instruments. Par exemple, sur "Free Kamal", j'essayais souvent de trouver comment intégrer un sample dans une mélodie que j'avais écrite. Ou alors j'avais un sample qui avait une ambiance sympa et j'essayais d'articuler des instruments autour de ça. J'ai appris beaucoup sur ça en traînant avec Boom-Bip. Beaucoup de producteurs de rap aiment parler des sampleurs, des instruments ou des platines, alors qu'ils n'utilisent pas vraiment les possibilités de leurs instruments. Ils les utilisent juste pour repomper des trucs. Ce n'est pas utiliser les sampleurs que de faire ça! C'est juste prendre un disque, sélectionner 2 mesures dans ce disque et les mettre en boucle… Moi aussi, j'ai un peu fait ça sur le premier disque de Kamal et même un peu sur "Free Kamal". Mais si tu utilises ça comme un moyen de dire "ok, je vais prendre ce disque qui a vraiment un son particulier pour construire quelque chose de neuf autour, en ajoutant d'autres éléments", c'est bien, c'est important. Parce que utilisée de cette manière ça permet à la musique de rester en vie.
HHC: Tu viens d'évoquer la Westcoast Workforce. A ce sujet, est-ce que tu pourrais nous en dire un peu plus sur ton travail avec Subtitle et les autres membres de la Workforce?
A: Je fréquentais une MJC où tous les gars de Log Cabin étaient et c'est dans ce coin là que j'ai rencontré Gino (Subtitle). Quand j'ai quitté Log Cabin, j'avais pris leur boombox avec moi (d'ailleurs je l'ai toujours, donc s'ils la veulent ils peuvent m'appeler). Donc je faisais le tour du SMC avec cette énorme boombox; j'écoutais 'Death Or Survival' des Mystik Journeymen et voilà Subtitle, ce grand noir de 2m10 qui pèse environ 15 kilos, qui arrive et qui me dit "Est-ce que c'est les Mystik Journeymen?" Je ne le connaissais pas vraiment donc je lui ai fait "ouais, mec, c'est cool, justement j'étais à Outhouse il y a quelques jours, t'es qui?" Il s'est présenté, Subtitle du Library Crew… J'ai trouvé ce mec super bizarre! Et 2 ou 3 semaines plus tard, Kamal et Xinxo sont passés chez moi avec Oak de Lexicon et Gino. On a bossé ensemble sur une chanson intitulé 'Happy Weed', qui n'est jamais sortie… Heureusement d'ailleurs, c'était tellement mauvais… Enfin, bon, à cette époque, Gino allait emménager dans la vallée où je vis et il m'a dit qu'il avait l'intention de mettre un terme au Library Crew et de fonder un nouveau crew. Il voulait l'appeler "On The Job Training" et il voulait que l'on trouve ensemble d'autres gars pour se joindre à nous. Comme j'étais en bons termes avec Kamal et Xinxo, il m'a proposé de leur demander de faire partie du crew. Je me suis dit que ça pourrait être cool mais je n'aimais pas trop le nom du crew donc je lui ai proposé "The Workforce". Comme il était ok, on s'est lancé dans l'aventure et j'ai proposé à Kamal et Xinxo de venir. Comme Xinxo n'était pas trop sûr de vouloir, vu qu'il était déjà affilié à Afterlife et à 50 autres crews, on a décidé qu'on bosserait juste ensemble de temps en temps mais que ce ne serait pas un crew dans le vrai sens du terme, avec tout ce que ça implique…
Puis, un jour, alors que j'étais à UCLA pour le B-Boy Summit, il y a ce jeune blanc aux cheveux longs et à l'air un peu crado qui est venu me parler de ses tapes de beats et me proposer d'échanger des cassettes. A l'époque, j'avais fait une cassette de beats mais tout ça me branchait moyennement…. Il m'a dit qu'il était Joe Dub de San Francisco Street Music. Je lui ai dit que j'avais déjà entendu certains de ses trucs avant et que je n'aimais pas vraiment. Du coup, il m'a proposé d'échanger deux de ses tapes contre une des miennes. J'ai accepté. J'ai ramené ses 2 tapes chez moi et elles m'ont retourné la tête! C'était un truc de fou. C'était en majorité des trucs qui ne sont jamais sorti, il les avait juste sur quelques cassettes qu'il passait à droite à gauche… Mais après ça, j'ai dit à Gino qu'il fallait absolument que Joe devienne membre de notre crew. Or, Gino est allé à San Francisco faire un concert et il est tombé sur Joe, donc Joe est devenu un membre de la Workforce. Tu vois, le crew était en quelque sorte en expansion constante…
C'était étrange. Log Cabin était vraiment comme une petite communauté. On sortait ensemble TOUS les soirs. A un moment, tout le monde dans le crew avait des dreads. C'était comme si on vivait dans une communauté à part, dans un baraquement militaire où tout le monde veillait sur tout le monde. Tous les soirs, on se réunissait et on freestylait pendant 8 heures. Si tu viens dans la maison de Kamal, il a des heures et des heures de freestyles de Log Cabin sur cassettes. On allait sur la plage à côté de la maison de son père et on rappait comme des malades! C'était trop!
La Workforce, c'était tout le contraire. Globalement, c'était plutôt: "ouais, je vais peut-être traîner avec ces gars… euh, en fait, non". J'ai toujours aimé la compagnie de Subtitle. Son énergie est tellement addictive, il a toujours une idée dans la tête. C'est remarquable d'être avec lui. Pour lui, le truc de demain sera toujours le meilleur truc sur lequel il a jamais bossé, il est toujours en train de bosser sur son meilleur projet… C'est super. Même lorsqu'il fait une chanson que je n'aime pas trop, quand je l'entends parler de cette chanson, je finis par me dire: "Putain! J'adore cette chanson en fait! Elle est super, peut-être que je ne l'ai pas bien écouté la dernière fois". Ca a toujours été comme ça. Gino et moi, on a eu pas mal de moments difficiles, on se prenait la tête, on se sautait à la gorge, on ne se voyait plus pendant des mois et puis un beau jour on se reparlait sans savoir pourquoi et je ne pouvais pas croire que je ne lui avais pas parlé pendant si longtemps. Je me disais à nouveau: "ce mec est génial". L'énergie était vraiment comme ça au départ, et puis comme dans toutes les amitiés un peu déliées, il y a eu des histoires de filles, d'argent et des conneries de ce genre qui font qu'aujourd'hui on ne se parle plus tellement… A cause de ma personnalité, je n'ai jamais été vraiment fait pour évoluer dans des crews. Je suis assez égocentrique. Tu verras ce soir: Brian est sur scène en train de faire son truc, tranquille, et moi je danse comme un taré à côté de lui avec mes claviers dans les bras, je crie… Je ne suis vraiment pas fait pour les groupes. Je passe toujours pour un con et je finis par énerver tout le monde autour de moi…
HHC: Qu'en est-il de ton travail avec Xololanxinxo?
A: J'ai rencontré Danny (Xolo) un soir à une fête d'anniversaire de DJ Truly Odd. On avait était voir quelques trucs à UCLA et on passé là-bas avec Kamal, Shovelhead Shaun de Mush et quelques-uns de ses potes. On a rencontré Xolo et 2Mex à cette fête. J'avais déjà vu 2Mex une ou deux fois mais je n'avais jamais parlé à Xolo. Dès qu'il a ouvert la bouche, il a commencé à me casser: "Mais comment est-ce que tu te sapes? Regardez ce putain de blanc!" Je me suis dit: "Wow! J'adore ce mec!". Du coup, on a passé toute la soirée ensemble à se moquer de tous les gens présents à la fête de DJ Truly Odd. On s'est vanné l'un l'autre pendant toute la nuit. C'était super et le courant est de tout de suite passé entre nous.
Il a vu une occasion d'avancer parce que j'étais un mec qui essayait de se faire un nom à la production et, moi, j'ai vu une occasion de travailler avec un mec qui avait déjà son petit nom dans l'underground. Donc j'ai fait "Tapes From A Stolen Car" gratuitement. On faisait l'aller-retour entre sa maison et la mienne pour faire de la musique. Au final, ça a été une bonne chose parce que Xolo a vendu des tas d'exemplaires de ce disque et que c'est le genre de gars qui continuera à le ressortir jusqu'à la fin de sa vie. Il ne laissera jamais ce disque être "out of print"! Quand on traînait ensemble, il avait des instants de lucidité extrême. Il sait exactement ce qu'il veut faire avec sa carrière. Il est plus vieux que la majorité des rappeurs de Los Angeles, il est au milieu de la trentaine. Du coup, il peut voir les choses d'un point de vue très adulte. Ce qui ne l'empêche pas parfois de faire le débile dans ses raps, et c'est cool. Une fois, on était dans un vol vers Hawaï pour un concert de Radioinactive et on était assis l'un à côté de l'autre et je me suis rendu compte à quel point c'est un mec lucide et intelligent. En tant qu'artiste, il est brillant. Sur beaucoup des trucs que vous entendez de lui et qui sont si forts, il freestyle. Cette chanson sur "Tapes From A Stolen Car" avec plein de samples issus de "Frankenstein", on l'a enregistré à l'époque où j'étais à la fac. J'avais plein de bouquins dans ma piaule. Alors, il les a tous aligné sur le sol, il a juste pris des mots au hasard sur les quatrièmes de couverture et il a écrit tout son texte à partir de ça! J'ai fait le beat et on a dû faire cette chanson en 2 heures à tout casser. Ca m'avait impressionné. C'était super d'être avec un mec comme ça alors que j'avais 20 piges. C'est un génie. C'est vraiment super de bosser avec lui quand il arrive et qu'il est concentré sur son art. Il n'y a pas beaucoup de rappers qui peuvent se mesurer à lui.
HHC: Est-ce que tu penses rebosser avec lui ou avec Subtitle dans un futur proche?
A: J'ai un disque qui va sortir sur Mush et qui fait partie d'une série de 3 EP's. Le premier EP "Run" est sorti il y a quelques temps mais on va le ressortir. Je l'ai remixé parce que la qualité sonore était très mauvaise. Je venais juste d'avoir Pro-Tools à l'époque et j'apprenais encore les fonctions de mixage sur le logiciel… Enfin, pour répondre à ta questions, Subtitle est sur l'un des EP's avec Les McCann. Pour le second EP, je discute actuellement avec une fille qui s'appelle Scout Niblett et qui est une sorte de chanteuse country moderne… et j'espère avoir un track de Tekilatex. J'aimerais le faire rapper en anglais parce que je pense que les Etats-Unis sont prêts pour lui. C'est dur de percer aux USA mais il parle vraiment bien anglais. En plus, c'est un tellement bon rapper et il est si intelligent et marrant que je pense que s'il sortait une chanson en anglais aux States ce serait énorme. Pour le troisième EP, je pense que je ferai appel à Xinxo (même s'il n'est pas encore au courant) et peut-être que je demanderai à Andrew Broder de chanter dessus, mais rien n'est encore fait. Toutes les autres pistes de ces EP's seront instrumentales et je pense que je chanterai sur quelques chansons.
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