Kamasoundtracks (1ère Partie)

Voilà déjà quelques temps que nos services suivent avec attention les faits et gestes du label Kamasoundtracks et de son collectif de producteurs multi-cartes. Depuis "The Homestretch", Weeda Fresh et ses collègues ont tracé leur route en toute liberté et en toute indépendance, en semant sur leur chemin des instrumentaux éclectiques et souvent ambitieux. Si "Bug Into The Clones" leur aura permis de récolter des critiques majoritairement positives, le nouveau projet "Soul'Sodium" devrait à coup sûr leur permettre de franchir une nouvelle étape. Premier projet intégralement rappé du label (bénéficiant des collaborations de Sept, Arm, Iris ou Grems), l'album devrait être l'un des petits événements du début d'année 2006. En attendant sa sortie à une date encore indéterminée, Weeda Fresh (concepteur-son) et Loop L.O.C.K. (concepteur-son / emcee) ont répondu à nos questions et reviennent avec nous sur leurs parcours original et engagé.



Hip-Hop Core: Pourquoi un pool de production? En fait, c'est assez peu commun de nos jours dans l'univers du hip-hop.



Weeda Fresh: C'est le hasard qui a fait que l'on s'est d'abord retrouvé entre concepteurs passionnés de sons. On avait en commun ce désir de produire un hip-hop instrumental évolutif, qui ne repose pas que sur la base d'une boucle. Les medias ont vraiment bien accueilli les disques ; ça s'est un peu moins bien passé dans les bacs. Ce genre d'albums se retrouve souvent comme un peu perdu dans le rayon électro bien que référencé hip-hop à l'origine. Au moins c'est cool, il y a Canal + qui a utilisé certains morceaux pour des bandes annonces et dans le journal du hard parait-il?

La partie musicale de "Soul'Sodium" est constituée de 7 concepteurs et 8 musiciens avec derrière, Pan@Point, qui fait un gros boulot sur les mixs. Désormais, non seulement il y a Loop et Iris qui ont du texte à revendre, mais on a tous envie d'évoluer et de partager ça avec d'autres artistes qui nous touchent, et qui apprécient notre formule. L'expérience de ce dernier album nous a d'ailleurs beaucoup fait mûrir sur tous les plans, que ce soit artistiquement parlant ou même humainement (surtout humainement en fait).

Loop L.O.C.K.: Un pool de production, ça offre toujours plein de bonnes perspectives même si on a tous des styles différents. Au fil du temps on a pu créer des petits concepts en collaborant tantôt en binôme, tantôt à 3 ou parfois tous ensemble. C'est comme ça qu'aujourd'hui on taf sur des concepts comme "Night Marauders" par exemple… Il s'agit d'un concept dans lequel les protagonistes de Kamasoundtracks se dédoublent pour donner naissance à d'autres personnages plus ou moins barrés, ce qui donne à l'arrivée des sons originaux et moins dark dans lesquels on se plait à aborder des thèmes un peu perchés qu'on saigne de manière explosive (du moins j'espère).



HHC: Qu'est-ce qui vous a tous rapproché au départ?



WF: Je ne dois pas être innocent dans cette histoire puisqu'on s'est pratiquement tous connecté lors de l'enregistrement du premier The Homestretch, mis à part Loop avec qui je suis pote depuis longtemps. Il y a eu la période pendant laquelle j'ai distribué l'album en solo, mais la véritable aventure a commencé lorsque je me suis associé à Pan@Point pour monter le studio en 2004, avec Loop, Cyclo et Lex Appeal qui faisait déjà partie de l'équipe.

L: Pour ma part, j'ai connu Weeda Fresh en premier il y a un bon bout de temps maintenant. J'ai pu rencontrer les autres au fur et à mesure que la structure avançait, et je dirais que c'est surtout un feeling humain puis ensuite artistique qui nous a rapproché… De toutes façons, vu qu'on aime bien tiser et délirer ensemble et qu'on a le studio Soul'Sodium sous la main, les idées peuvent prendre vie assez rapidement.



HHC: Weeda, quand tu t'es lancé dans la production, pourquoi avoir commencé par un album de beats avec DJ Tchek? Il y avait clairement une demande pour ce type de projet (qu'on n'avait pas vu depuis l'opus de DJ Seeq) mais c'est assez peu courant pour des producteurs méconnus de mettre le pied à l'étrier avec un projet aussi "ingrat" (sans être péjoratif).



WF: A l'échelle de mon ambition on peut dire qu'il y a une demande. Je ne me réfère même pas à la qualité du projet mais au statut d'artisan producteur qui me définit et au fait que j'ai pu en écouler 3200 en totale auto-distrib. Donc c'était une première expérience mortelle et la revue de presse (disponible sur notre site) est là pour me le confirmer. Autant commencer avec quelque chose de différent même si on n'était pas les premiers du genre. On savait que beaucoup de emcees étaient en galère de son mais on voulait également que le disque puisse éveiller la curiosité du mélomane lambda, donc on a emmêlé les 2 pour essayer de réaliser un patchwork instrumental coloré et vivant sur fond de hip-hop. J'espère que j'aurai l'occasion de le ressortir un jour, mais ça serait sous une forme certainement plus personnelle (18 des 23 morceaux étaient mes prods) puisque DJ Tchek et moi on n'est plus très potes.



HHC: Qu'est-ce qui vous a poussé dès le départ à monter votre structure, à opter pour l'indépendance, à la revendiquer et à tout faire par vos propres moyens?



WF: La logique du marché !

L: Je me rappelle de ces missions de nuit où avec Iris on allait placarder nos affiches du "Bug Into The Clones" dans Paris. On s'est bien vite rendu compte qu'entre la voirie qui décollait derrière nous et les affiches énormes des grosses structures qui elles ont manifestement le droit de nous en foutre plein la vue, ça allait être plus difficile que prévu… Alors pourquoi s'acharner à faire par nos propres moyens? Parce que finalement ils ont beau être super réduits, mais on les aime nos moyens. Et puis l'indépendance, ça renforce forcément le relationnel ; on est souvent amené à distribuer des flyers, relancer entre coups de fils et emails (Weeda vous le dira mieux que moi), établir des connexions, chercher des salles… L'indépendance c'est un peu la merde, on n'est jamais sûr de rien mais au moins avec le temps on fait les choses comme on veut les faire.



HHC: Maintenant que vous avez été confronté à toutes les difficultés de l'indépendance au quotidien dans un monde du disque qui se centre de plus en plus sur les grosses productions rentables, comment envisagez-vous votre position dans le contexte actuel?



WF: Pour nous, l'objectif premier lorsque l'on sort un disque c'est surtout d'essayer de ne pas perdre d'argent. D'ailleurs on en a tellement plus d'argent que l'on est en train de chercher un label pour nous aider à co-produire "Soul'Sodium". A part Pan@Point qui devrait bientôt pouvoir vivre de son métier d'ingénieur du son, on a tous un taf et inutile de préciser que pour l'instant personne chez Kamasoundtracks ne vit grâce à la musique. Moi je suis dans la manutention nocturne de cartons par exemple… Tout en continuant d'évoluer, on continuera à faire ce que l'on aime avec le label. Pour gagner un peu mieux notre croûte, c'est plus la carte de l'habillage sonore que l'on vise. Lorsque l'on nous commande des sons, on intervient en tant que compositeur et non pas au nom du label. Il peut aussi arriver que des sons d'Homestretch soient utilisés en synchro pour du documentaire, des bandes annonces, etc… Comme tu le dis, les difficultés de l'indépendance au quotidien font que c'est grâce à ces petits bonus que l'on peut continuer l'aventure. L'essentiel pour nous c'est de préserver cette direction que l'on a commencé à prendre parce qu'elle nous donne le plaisir de satisfaire un public curieux. Par ailleurs, on est bien plus fier de collaborer avec des artistes comme ceux qui figurent sur "Soul'Sodium" que d'aller mendier des featurings à chier sous prétexte que ça fait vendre. Le rôle d'un artiste n'est pas, à priori, de faire dans le produit de masse mais plutôt dans celui qui l'éclate. A mon sens, c'est ça qui rend la démarche passionnante et utile.

L: Moi j'ai l'impression qu'on n'est qu'une petite goutte de lait tiède dans un cappuccino recouvert de crème fouettée à la sauce "m'as-tu vu" qui n'est pas la nôtre. Du coup, on fait le maximum pour remonter à la surface.



HHC: Comment vous est venue l'idée de monter le studio Soul'Sodium au départ et comment avez-vous concrétisé ce projet?



WF: L'idée majeure était d'avoir une totale indépendance, c'est pour ça que l'on a voulu monter une structure munie d'une plateforme de travail. La rencontre avec Pan@Point a également joué un grand rôle. Lui est ingénieur du son, perso je suis un ex conseiller commercial. Beaucoup d'affinités amicalo-artistiques, tous les deux concepteurs donc la suite était logique… On est devenu des frères de son et les papas du QG Soul'Sodium! Ca c'est pour la version pitch édulcorée mais on a quand même dû bien barouder avant d'en arriver là. On a mis presque 1 an pour trouver des locaux à un tarif à peu prêt abordable et qui soient aménageables en studio d'enregistrement. A l'arrivée, on s'en tire bien mais on a vraiment failli se retrouver dans des trous à ras pour des loyers de psychopathes. Je n'aurais toujours pas eu l'occasion de remercier la mairie de Paris pour son soutien. Niveau blé, on s'est démerdé tous les 2 avec l'argent du premier disque, nos thunes perso et en mettant grosso merdo tout ce qu'on a pu gagner depuis 3 ans dans l'acquisition de machines, l'aménagement de l'infrastructure (spéciale dédicace à M'sieur Vegas !!!) et la production des disques. Le noyau dur, nos potes et nos proches nous aident également beaucoup à tenir la baraque ; vu que l'on a toujours des galères de thune (car tout ça coûte cher au quotidien). On a eu beaucoup de mal à trouver une stabilité, et encore, donc l'élément moteur reste la démerde. Je pense que l'on commence tout juste à trouver nos marques pour utiliser le studio de manière plus productive et il y a un certain nombre d'artistes que l'on aimerait bien soutenir. Je peux vous dire qu'avec l'aide ou pas de Kamasoundtracks, il y a pas mal de projets qui vont sortir ces mois prochains et pour en avoir entendu certains, je peux promettre que les amateurs de vrai bon hip-hop vont se régaler.





HHC: Dans l'équipe, vous avez tous des goûts musicaux et des styles de composition assez différents, très éclectiques. Qu'est-ce qui vous rapproche?



L: A défaut de bien vivre, on est quand même tous des bons vivants et on aime boire à la santé du crew : c'est ça qui nous rapproche le plus. Mais artistiquement, Cyclo the kid a beau avoir une influence rock, Lex Appeal et Pan@Point une touche plus électro, Weeda Fresh un feeling « darkfloar » et moi une influence un peu soul. Finalement on est quand même admiratifs et curieux devant les sons des uns des autres…



HHC: Comment est-ce que vous parvenez à gérer ces différences au quotidien, en particulier quand vient le temps de sélectionner les morceaux qui apparaissent sur vos projets?



L: Avec de l'organisation ! Et une pointe de concessions.

WF: Pour Soul'Sodium de toute façon, ce sont les rappeurs qui ont choisi les sons ; on avait une banque assez vaste, justement grâce à nos différences, mais les choix se sont faits assez spontanément. J'ai la chance d'avoir 6 prods sélectionnées plus une intervention sur le morceau produit par Mr Teddybear. J'avais l'avantage d'avoir beaucoup de sons dans ma hotte. En général c'est Pan@Point et moi qui choisissons lorsqu'il faut faire un choix précis, mais la plupart du temps tout se fait assez collectivement et les morceaux qui valent vraiment le coup sortent assez rapidement du lot lorsque vous avez en ligne de mire l'objectif de construire un album efficace et cohérent. Même s'il n'y a que des différences qui nous complètent et qui en aucun cas nous séparent, c'es clair que j'aurai vraiment envie de produire mon propre projet pour mûrir quelque chose de plus personnel, et pour le challenge de devoir l'assumer artistiquement et sur tous les plans.



HHC: Comment est-ce que vous travaillez d'ailleurs? Chacun de votre côté, ensemble? Comment trouvez-vous vos idées de morceaux?



WF: On compose tous de notre côté et sincèrement il n'y a aucune règle. Les idées de morceaux ne sont qu'une fusion du feeling du jour et des nos influences respectives. On essaie juste de s'imposer des compositions assez évolutives et c'est ensuite, lorsque l'on passe à l'étape Soul'Sodium studio que l'on commence à poser les arrangements d'instruments et l'habillage. Pour ma part, j'apprécie particulièrement le sampling, les variations et la touche guitare de Nota Bene et de Cyclo. De son côté Pan@Point fait des morceaux de plus de 100 pistes souvent avec des rythmiques et des structures super chiadées. Il bosse beaucoup avec les 2 guitaristes également ; on a tous notre patte et notre méthode…

L: Comme l'a dit Weeda, on travaille souvent chacun de notre coté mais ça dépend des projets… Pan@Point et Lex Appeal ont un bon feeling quand ils travaillent à deux, ils sont perchés au même niveau d'altitude. Moi, j'ai du mal à faire un beat avec quelqu'un d'autre… Pour les idées de base du morceau, soit elles viennent d'un vieux sample italien de mon père, soit elles se dessinent au fur et à mesure que je construis la rythmique du son. En général plus la batterie sonne bien, plus j'me régale en essayant des compos ou autres… Parfois il m'arrive de faire un beat en fonction d'un flow ou d'un thème que j'ai en tête…



HHC: Un point commun des projets du collectif, c'est l'apport d'instrumentistes dans l'habillage musical. D'où vous est venue cette envie?



L: L'apport de musiciens dans un morceau ça change souvent beaucoup de choses. Ca apporte une âme et puis les instrumentistes qui côtoient le collectif sont des purs tueurs! Je pense surtout à Nota Bene et à son feeling fulgurant à la guitare… Une main de velours sur une Stratos de fer.





HHC: Si je vous dis crate-digging, c'est quelque chose qui vous parle? Une passion? Une démarche naturelle, nécessaire ou dépassée?



WF: Evidemment que je supporte le vinyle. Mais c'est une passion de DJ et nous, on a malheureusement ni les moyens d'en acheter, ni les moyens d'en produire pour le moment. Si on élargit le champ d'interprétation de "crate digging" je dirais pour ma part que la recherche sonore se passe surtout au niveau d'internet, notamment grâce à des sites comme Hip-Hop Core, Bokson, Infratunes, Acontresens et des recherches souvent assez poussées, de liens en liens. Ca ne m'est pas seulement utile, c'est indispensable. C'est de la fraîcheur dans les oreilles, de la culture musicale et obligatoirement de l'ouverture d'esprit. Je me suis même passionné pour le son peu connu car pour le coup, je fais de plus en plus un blocage sur les grosses productions. Il y a tellement d'artistes qui défoncent mais qui ne parviennent même pas à passer nos frontières commerciales. Ca n'implique que moi mais j'y retrouve, la plupart du temps, bien plus d'originalité et de sincérité que dans les sois disant grosses tueries ricaines qui puent la vibe imposée du moment et qui monopolisent nos ondes. L'argent a tellement pourri le truc que l'on ne compte même plus ceux qui ont abandonné le vaisseau et leur âme au quota du dancefloor, par ailleurs très lucratif. En France, il faut vraiment de plus en plus fouiner ailleurs que dans les gros points de vente pour arriver à découvrir de la musique. C'est assez dramatique d'ailleurs!

L: En ce qui me concerne, le crate-digging ça me parle pas mal mais j'ai déjà beaucoup à faire avec les vinyles de jazz, de soul et de vieux rock n'roll du paternel pour aller fouiller à droite à gauche aux bonnes adresses… La cave du patrimoine familiale, c'est une bonne adresse à elle toute seule alors…



HHC: Souvent, il vous est arrivé de vous revendiquer d'un "abstract hip-hop à la française". C'est quoi pour vous? Comment transcender les influences que vous avez pu revendiquer (Shadow, Def Jux, Ninja Tune…) pour vraiment imposer une patte propre?



WF: Ou on pourrait dire la question qui tue! Je ne sais pas vraiment ce que signifie le terme "abstract hip-hop" si ce n'est que la définition la plus officielle dit que c'est une formule plus musicale du hip-hop. Nous, on revendique avant tout le registre hip-hop car c'est tout simplement la base de notre travail, bien qu'on le mélange souvent à des influences très diverses, notamment grâce à l'apport des instruments dans certaines de nos compositions. C'est souvent dans les chroniques que l'on nous colle l'étiquette abstract hip-hop donc je me suis pris au jeu et pour éviter d'avoir à expliquer pendant 10 plombes la couleur de notre musique, il m'arrive souvent d'employer ce terme pour expliquer en un mot ce que l'on fait. Sur notre flyer, on avait carrément marqué " instrumental hip-hop abstract". On se sert également beaucoup de nos influences pour expliquer notre orientation artistique. Par ailleurs, c'est clair que l'on admire beaucoup le travail des labels cités dans l'intitulé de la question, auxquels on pourrait rajouter Stone Throw, Peanuts & Corn, Lex, la liste est longue… Il est parfois arrivé que l'on nous compare à certains d'entre eux. La comparaison est flatteuse mais je crois que notre méthode fait forcément que l'on ne pourra jamais dire que l'on cherche à pratiquer un style de son précis. Je pense objectivement que notre vision du hip-hop, qui s'inspire en effet de toutes ces influences, nous donne à la fois un crédit et une originalité légitime à l'échelle de ce qui se fait en France. Mais hors de nos frontières la révérence s'impose. Le problème, c'est qu'il y a beaucoup d'artistes, en France (à Bordeaux entre autres) et pas seulement dans le rap, qui font des trucs super intéressants, avec une qualité de production qui parfois n'a rien à envier aux produits de majors, mais on n'en parle pas car le public français n'est malheureusement pas très curieux. Le public français, au sens large bien sûr, il se gave de ce que lui jette à la gueule la poignée de promoteurs qui tiennent les rênes du paysage musical. D'ailleurs c'est quoi le hip-hop en France à votre avis? Souvent, dès que tu refuses de porter des sweats à 100 euros ou que tu ne ressembles pas à un New-Yorkais de base, tu te fermes beaucoup de portes. C'est triste à dire mais c'est la réalité. Ca a donné l'abstract hip-hop ou on pourrait dire aussi le hip-hop alternatif, le rap électro ou je ne sais quoi, peu importe. Comme le rock a eu besoin à une époque de se purger du hold-up marketing et de sa déformation commerciale, il faut bien que le hip-hop moins conventionnel se trouve une alternative pour communiquer avec son public et pouvoir exister. Enfin bref, on fait du hip-hop à notre sauce, sans prétention et pour le plaisir…

L: Pour ma part, s'il m'est arrivé de nous revendiquer "abstract hip hop à la française", c'est parce que je ne me sentais plus en phase avec l'appellation "rap français" vu les produits qui se font dans ce rayon et ce qu'on fait nous. En fait on a utilisé ce terme je ne sais plus comment mais ça aurait pu être n'importe quoi d'autre. "Abstract hip-hop", c'est fait pour dire et faire comprendre que c'est pas du rap calqué sur les tendances marketing qui se font aujourd'hui à grande échelle… Mais ce n'est pas pour surfer sur un créneau non plus : c'est vrai que le terme "abstract hip-hop" a été utilisé par les groupes moins conventionnels pas mal de fois, jusqu'à en devenir un style un peu à la mode dans l'underground mais ça ne veut pas dire qu'on se branle dessus… Moi je fais du "Loop-Hop". Et voilà, fini l'abstract!





HHC: L'uniformisation, le matérialisme, la médiatisation à outrance, aussi bien dans la vie quotidienne que dans la musique, sont des valeurs "montantes" contre lesquelles vous essayez de lutter depuis le départ. Derrière ces critiques en musique, comment se traduit votre engagement au quotidien?



WF: Point sensible, surtout quand le mot d'ordre est "pas de politique"!!! La musique est une discipline artistique. Donc imaginez 1 minute que la peinture, sous toutes ses variantes, tombe dans les mains de 4 promoteurs. Ca donnera quoi, des lithos de Van Gogh et de De Vinci dans tous les salons du monde, à grand renfort de pub et de lobbying? C'est surtout ça qui me dégoutte dans la façon qu'ont les gens aujourd'hui de "consommer" de la musique ; ils participent au hold-up en jouant le jeu du marketing à outrance. Sur le papier, l'équation fait mal car 2 millions de personnes qui achètent chacune l'album de 10 artistes équivaut à 10 000 personnes qui pourraient acheter ceux de 2000 artistes. Coïncidence ou pas, le marché du disque dépend de plus en plus de la bourse et donc de la rentabilité à court terme. Sorti des discours démagogiques, l'époque du développement d'artistes est bien révolue. Le MP3 c'est rien, tout va très bien pour eux malgré les liquidations de contrats, c'est juste que ça les fait flipper car c'est une fenêtre médiatique quasi incontrôlable. Plus le public découvre de nouvelles choses, plus leur monopole sera menacé. La France fait malheureusement partie des pays d'Europe qui écoute le moins de musique indépendante (au sens de labels non affiliés d'une manière ou d'une autre aux 4 grosses machines). Ici l'histoire est simple, c'est un immense réseau dans un système commercial et médiatique qu'ils gèrent à tous les niveaux et qui ne laisse que très peu de place aux indés. Ou alors tu chantes du "salope j'te kiffe babe braquage 9 mm kondés 69 j'te cane" avec un Chamallow dans le bec et t'as une chance sur des milliers de clones pour te faire remarquer et rejoindre leur chère famille, et passer 5 ans au mieux à continuer de tenir le même discours dans les interviews alors qu'on t'a fait signer pour de l'edit radio dancefloor spéciale tranche 10/20 ans (genre mascotte poupée hip-hop, sorte d'homme sandwich avec plein de vêtements qui valent très chers et que les gens pauvres achètent puisqu'ils voient leurs clips 5 fois par jour à la télé et que ça leur permet de se fabriquer une identité. Putain de logique à la con mais qu'est ce que ça marche d'être à la mode!). Après ils peuvent tout à fait me répondre qu'il faut bien bouffer, qu'ils n'ont pas eu le choix et c'est triste à dire mais ils auront raison aussi… Question d'éthique, d'interprétation de la culture hip-hop et d'ambition certainement? Y a quand même des choses biens qui sortent en major, faut pas abuser non plus. Mais les artistes qui peuvent encore se permettre de ne pas forcément évoluer dans un sens exclusivement commercial y sont de plus en plus rares. Nous, on se considère comme des artisans du son, des hiphopian farmers. On préfère largement affiner notre sensibilité artistique plutôt que de chercher à faire dans le produit de masse! C'est la base de notre engagement au quotidien qui est de préserver tout ce qui sera fait dans le cadre de Kamasoundtracks. Je pense que l'identité du label s'est construite dans l'idée d'avoir une démarche purement sincère. On a notre univers musical, nos valeurs et c'est souvent les liens qui nous unissent le plus, en particulier sur le plan humain, dans notre petit réseau. Il est fort probable que l'on essaiera d'agir sur le plan humanitaire lorsque l'on en aura les moyens et les sollicitations. En dehors de ça, on n'exclue pas non plus de pouvoir signer avec un plus gros label si l'occasion se présente mais à condition qu'il considère notre travail 100% compatible avec leurs convictions artistiques. Faute de thune, on est en plein dedans pour Soul'Sodium à démarcher des labels, alors qu'à la base on avait prévu de tout produire nous-même. Il arrive aussi que l'on nous propose un petit billet pour des prestations en tant que compositeur, une tache plus commerciale certes, mais que ce soit pour le cinéma, de la bande annonce ou de la synchro en tous genres, à partir du moment où c'est pas pour Le Pen ou une cause à la con, on le prend! Pas évident d'être indé malgré tout donc je pense qu'il vaut mieux peser le pour et le contre, essayer d'un peu mieux bouffer et saisir les opportunités lorsqu'elles se présentent sans pour autant vendre son âme.



HHC: Vous avez toujours essayé de faire passer des idées à travers votre musique, que ce soit en utilisant des extraits de films/discours ou en laissant la parole à Loop L.O.C.K. Est-ce pour aller plus loin dans cette démarche que vous avez décidé de vous lancer dans un projet quasi intégralement rappé cette fois-ci?



WF: En effet, on ne pouvait pas espérer mieux comme collectif d'écriture pour cohabiter avec nos musiques. Dans nos instrus on utilise souvent beaucoup de samples en tous genres, discours, extraits de films et compagnie pour donner de la vie et quelques références plus humaines. On continuera de faire les 2 (projets instrumentaux et projets chantés) mais j'ai déjà parlé de la frustration que l'on avait de ne pas pouvoir faire poser davantage Loop et Iris, donc "Soul'Sodium" était comme un purgatoire, cette envie de donner une vraie dimension aux morceaux en leurs associant des textes. Etant donnée l'écurie qui constitue le collectif, ça nous a réellement donné l'opportunité de réaliser un album dont la personnalité est très forte et à l'image des valeurs que l'on défend, c'est clair! Ca donne aussi la possibilité de faire du live car 6 rappeurs, 1 DJ et 1 guitariste sur scène c'est autre chose à voir qu'un pauvre programmateur, en l'occurrence moi par exemple, qui bougerait 3 potars ou qui passerait des disques. Ahh putain, Sept dans 'Versant Nord' sur scène c'est un sacré putain d'bordel, croyez-moi!

L: Cependant, je ne pense pas qu'à la base on ait choisi de faire un album intégralement rappé pour mieux en remettre une couche sur la diffusion de nos idées et nos engagements. Il se trouve juste que l'album, avec les thèmes abordés librement par l'ensemble des rappeurs, a pris naturellement cette tournure de "tremplin à idées"…



Interview de Cobalt
Décembre 2005

Plus d'infos sur www.kamasoundtracks.com

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