Nouvel album, nouveau concept pour Kamasoundtracks. Après un recueil de beats "The Homestretch" et un projet instrumental ambitieux "Bug Into The Clones", Weeda Fresh et ses acolytes avaient envie de se fixer un nouveau défi. Après avoir un temps envisagé de pencher sur un projet de breakbeats, ils ont donc décidé de mettre sur pied un projet choral inattendu, en s'enfermant dans leur studio de la Fourche avec la poignée d'emcees hexagonaux dans lesquels ils se retrouvent. Mais plutôt que de jouer la carte des collaborations one-shot, Kamasoundtracks a bel et bien eu l'ambition de créer une petite communauté d'esprit et de son. Un pool de producteurs, 6 rappers et voici donc née l'aventure Soul'Sodium (du nom du studio qui a hébergé leurs aventures musicales) où le rap occupe pour une fois une place centrale.

Peaufinée pendant plus d'une année, "Soul'Sodium" s'écoute comme la radiographie d'un siècle naissant ; celui de mondes qui se croisent sans jamais se rencontrer, de solitudes qui s'entrechoquent, de communications qui se dématérialisent, de terroristes en col blanc et d'idéaux qui se meurent…. "Pris dans cette spirale de barbarie où tout s'oppose / J'fais partie d'ces gens qui respirent mal la vie qu'on leur propose". La pilule a décidément du mal à passer…. Alors, comme pour mieux coller à la mécanique inhumaine de cette époque, "Soul'Sodium" se pare de batteries imposantes, de pianos graves, de synthés ronflants, de scratches apocalyptiques, de claves intrigantes et de bruitages non identifiés. Des décors instables où de rares touches de lumière (dont le 'Chocolat et Sucre en Poudre') parviennent difficilement à se frayer un chemin, à travers l'horizon assombri et le lourd voile d'obscurité qui nimbe tout l'album et lui confère un mesmérisme indéniable.

Pour autant, n'allez pas croire que tout soit monochrome. En effet, résistant farouchement à la "réduction progressive du champ sonore", Kama choisit à nouveau de jouer sur la diversité des horizons et des vécus (anciens def-jukies, soulmen ou rockeurs) de son équipe de production. Entre quelques essais acoustiques plus laid-back et les ambiances post-industrielles oppressantes qui occupent le devant de la scène, le menu est varié, avec pour dénominateur commun un contrôle qualité rigoureux. Mêlant avec tact sampling menaçant et puissance d'évocation des instruments (notamment à travers la guitare insaisissable de Nota Bene), "Soul'Sodium" propose ainsi un travail musical bien pensé, à la fois brut et soigné, qui parvient habilement à échapper aux étiquettes. Un travail alambiqué et inflammable, qui colle aux basques et aux textes de son équipe vocale.

Des textes qui s'avèrent denses, parfois indéchiffrables, et qui résonnent comme des échos à la perte des repères et à l'incompréhension ambiante. Des textes où le spleen et le mal de vivre affleurent, mais desquels tout misérabilisme est soigneusement écarté. Hormis un Grems stylistiquement irréprochable mais dont les lyrics peinent à tenir en haleine depuis que l'aventure Hustla a pris une pause, chacune des voix de ce collectif aux allures de dream team hexagonale joue sa meilleure partition. Sept pose donc de son flow impérial son quota de textes aux dédales passionnants, tandis que Soklak apporte son énergie et sa gouaille typiquement parisienne, qu'Iris et Loop rayonnent à coup d'écrits de plus en plus marquants et qu'Arm sait toujours choisir le mot juste pour construire des récits à la profondeur insondable. Avec humour (parfois) ou sur un ton plus sérieux (le plus souvent), les différents protagonistes passent au crible tous les sujets qui les animent, de la mondialisation galopante à leurs envies d'ailleurs, en passant par le caractère implacable des mécanismes de paupérisation ou la vitesse grisante d'une époque qui en mène plus d'un au bord du gouffre… ou dans un nid de coucous.

En outre, au-delà des mots, Iris et les autres ont eu l'intelligence de ne pas mettre de côté la technique vocale, d'éviter les litanies stériles et de proposer quelques concepts forts (qui devraient faire l'unanimité). A l'image de ce 'Métronome' obsédant, obsédé par la course des aiguilles et le défilé des secondes, et sublimé par un hautbois torturé. Ou de cet autre sommet évident de l'album 'Versant Nord' (de Sept et Weeda Fresh), qui monte tout en haut de l'Olympe Mountain qui alimente les textes de l'amnésique depuis plusieurs mois déjà, à grand coups de larsens et de cuivres funestes… Ne serait-ce que pour ces quelques coups de maîtres, "Soul'Sodium" marque évidemment les esprits. Et même si l'album contient incontestablement moins de moments forts dans son dernier tiers, il maintient la pression jusqu'au bout (un 'Texas Marauders' délirant qui fait visiblement office de soupape) sans commettre de sortie de route.
Alors, bien entendu, "Soul'Sodium" constitue un vrai aboutissement pour cette équipe de Kamasoundtracks qui trace depuis le départ sa route en dehors des sentiers battus et sans crier au loup. "On sait l'œil glissant et envoûtés par l'errance / On crée des franges au ras des crosses et de leur démence". Compact, ambitieux et enragé, ce troisième essai sous tension tient les promesses que "Bug Into The Clones" semblait nous faire à mots couverts. Concentré d'idées et d'alliances qui portent leurs fruits, il brille par sa cohérence et fait résonner sa voix en marge, dans l'ombre. Espérons qu'elle sera entendue (et reconnue) comme il se doit… It's up to you.

Cobalt
Juin 2006