Illogic & Eyamme

Alors qu'Illogic vient tout juste de sortir l'excellent "Celestial Clockwork" et que Eyamme vient de pérenniser la structure Dove !nk avec deux 7" de qualité dont on vous parlait récemment, il nous a semblé opportun de réunir ces représentants émérites de l'Ohio pour parler un peu de leur actualité chargée et du 'Only Give You Love' qui les réunit. Déjà, l'an passé, les 2 amis nous avaient enthousiasmé avec un "Write To Death Vol. 1: My Hand Hurts" totalement inattendu et vraiment réussi. Si Illogic, lyriciste émérite, auteur de trois albums exemplaires en compagnie de Blueprint, n'a plus à faire ses preuves, Eyamme n'en est qu'aux prémices d'une carrière qui s'annonce prometteuse. Entretien commun pour 2 artistes aux destins croisés et liés. English version



Hip-Hop Core: Comment est venue l'idée de faire un album ("Write To Death Vol. 1") ensemble?



Eyamme: Illogic avait besoin d'un projet pour s'occuper en attendant la sortie de "Celestial Clockwork". Comme nous sommes des amis proches, nous étions très souvent au même endroit et toutes les conditions semblaient réunies pour qu'on fasse ce genre de projet. D'autre part, j'ai toujours eu envie qu'Illogic fasse un album plus poétique et mes premiers beats étaient lents et assez "ouverts" pour qu'Ill donne vie à ses mots. Ca me fait bizarre d'écouter "Write To Death" parce qu'il réunit tellement de mes tout premiers beats.

Illogic: Ouais. Eyamme et moi, on se connaît depuis pas mal de temps. Je l'ai vu progresser. Depuis l'époque où il collectionnait juste des sons et faisait des bruits d'ambiance mélodiques jusqu'au moment où il est devenu un des meilleurs producteurs avant-gardistes que je connaisse. Je voulais sortir quelque chose avant "Celestial Clockwork" et il avait besoin de lancer sa carrière donc tout a bien fonctionné.



HHC: Eyamme, même si tu as impressionné pas mal de monde avec ton travail sur le "Write To Death Vol. 1: My Hand Hurts" d'Illogic, on ne te connaît pas très bien. Peux-tu nous résumer un peu ton parcours?



E: Je suis Eyamme (I AM ME). Je viens juste d'avoir 24 ans. C'est horrible. J'ai passé 3 ans à étudier la philosophie et la religion à l'université après le lycée avant de me décider à me lancer sérieusement dans la musique. J'ai eu mon premier set de platines quand j'avais 15 ans. J'ai nettoyé du sang dans des hôpitaux, j'ai construit des maisons dans des pays du tiers-monde et je me suis assis entre les murs capitonnés des universités. J'ai le sentiment d'avoir eu la chance de pouvoir vivre le paradis et l'enfer. A travers la production, j'essaie de rendre compte des émotions que j'ai ressenti lors de ces expériences. La musique est pour moi le moyen le plus tangible de changer le monde.



HHC: Comment as-tu rencontré Illogic?



E: À la fin de mon année junior au lycée, j'ai commencé à traîner avec 3RD Eye, qui était le crew d'Illogic à l'époque. Je me rappelle de moments passés avec eux à apprendre plein de choses aussi bien sur la concision, les rythmiques 4/4 que sur la façon de bien traiter les femmes. A l'époque, on était tous jeunes et on voulait tous construire quelque chose ensemble. Je me souviens que moi et Ill avions du mal à communiquer parce que l'un finissait toujours les phrases de l'autre (et inversement).



HHC: Illogic, après la vague de critiques élogieuses à son encontre, tu as souvent dit qu'il faudrait du temps pour savoir si "Unforeseen Shadows" est un classique. Maintenant que 5 ans ont passé, quel est ton avis sur ton premier opus?



I: Je suis toujours content du résultat. C'était mon premier album solo et rien ne peut dépasser le sentiment d'accomplissement que ça procure. Ca me fait plaisir que les gens le considèrent comme un "classique". Mais je préfère encore attendre quelques années et on verra s'il tient encore la route à ce moment-là.



HHC: Il y a quelques temps, Blueprint nous avait fait l'éloge de votre relation de travail. Qui y a-t-il de si particulier dans votre collaboration?



I: Je pense que le fait que nous sommes devenus des amis et pas simplement des partenaires musicaux rend les choses beaucoup plus faciles. Il comprend mon style et a généralement une idée des sons qui me conviennent le mieux. Il sait quel type de musique va donner vie à mes mots.



HHC: Depuis le succès critique de son groupe avec RJD2 (Soul Position), Blueprint commence à être plus connu comme emcee que comme producteur… Ce qui était loin d'être le cas au départ. Est-ce que ça ne vous donne pas envie de faire un album commun en tant qu'emcees cette fois?



I: C'est super ce qui arrive à Blueprint. Au départ, c'était un emcee et DJ et il a juste commencé à faire des beats parce que personne autour de lui ne pouvait lui faire des sons. Je pense qu'il est content de pouvoir faire les 2 maintenant. En tout cas, oui, on travaille sur un album avec DJ Przm à la production. On a déjà fait environ 3 chansons et on devrait l'avoir terminé assez rapidement.



HHC: En parlant de Blueprint, Eyamme, comment as-tu envisagé ta tâche pour cet album, sachant que tu allais forcément être comparé à Blueprint?



E: Sérieusement, tu ne peux pas trop penser à ça. Blueprint est un grand producteur mais nos styles sont complètement différents. Je savais qu'il allait y avoir des comparaisons, parfois positives, parfois négatives, surtout compte tenu du fait que j'étais le premier producteur à sortir un album avec Ill en dehors de Blueprint. D'autre part, sachant ce qu'Illogic va sortir, je me suis dit que ce serait bien de faire un album un peu plus avant-gardiste pour le sortir de sa boîte.



HHC: Sur "Write To Death", tes productions étaient très sombres, mystérieuses, atmosphériques, avec plusieurs couches de sons et beaucoup de changements en cours de route. Qu'est-ce qui t'attire dans ce genre de sons?



E: J'ai fait la plupart de ces beats juste après avoir fait une overdose d'anti-dépresseurs et avoir atterri dans un hôpital psychiatrique. Ma vie était très sombre et compliquée donc ça me semble assez normal que l'album reflète ça. J'aime beaucoup le son de "Write To Death" mais j'espère ne jamais refaire un album de ce genre. La musique est censée grandir et évoluer. Par exemple, j'avais l'habitude de décrire ma musique comme "déprimé" mais maintenant je dirais qu'elle est "énervé".



HHC: Quelles sont tes influences?



E: J'ai trop de disques. Mais, pour en nommer quelques-unes, Miles Davis, Portishead, Common, Björk, Joni Mitchell, B.B. King, Bob Marley, Jimi, Lalo Schiffrin, John Cage, The Roots… Sinon, tous les très bons artistes de Columbus comme Illogic, RJD2, Blueprint, Copywrite, Przm, S.A. Smash, Envelope, Walter Rock Tight…





HHC: Illogic, tu as souvent accordé pas mal de place au spoken-word dans tes albums et la poésie est clairement quelque chose qui t'influence. Qu'est-ce qui te plait dans ces 2 expressions artistiques?



I: J'adore le fait que tu n'es pas "prisonnier" d'un beat. J'adore ça parce que les mots sont ce qui porte le spoken-word et que si tu n'as rien à dire, ça s'entend tout de suite.



HHC: La complexité de tes textes impressionne. Comment parviens-tu à écrire des titres aussi bien pensés?



I: Je n'ai pas de méthode particulière. J'écris juste ce que je ressens quand je le ressens. Les gens entendent ce que j'écris et ils pensent toujours que je dois avoir une sorte de rituel pour y arriver mais ce n'est pas le cas. Si je sens quelque chose, je l'écris. Certaines idées prennent plus de temps à développer que d'autres mais je n'ai pas à proprement parler de procédé d'écriture.



HHC: Tous tes albums contiennent une bonne portion de titres très personnels. Pourquoi souhaites-tu partager des éléments intimes de ta vie avec ton public?



I: J'ai le sentiment que j'ai reçu ce don de faire des chansons et d'écrire pour le partager avec le reste du monde. Je traverse des choses dans ma vie et je sais que je ne suis pas le seul à vivre ce genre de choses et de situations. J'ai l'impression qu'en tant qu'artiste j'ai la responsabilité de faire savoir aux gens qu'ils ne sont pas seuls. Je me suis parfois senti seul quand j'ai dû traverser certaines périodes difficiles et c'est pourquoi j'écris sur ces expériences. Je veux juste éviter que des gens se sentent seuls.



HHC: Qu'est-ce qui t'a donné envie d'écrire 'War' sur cet album, où tu te mets dans la peau d'un jeune irakien voyant son pays attaqué par les troupes américaines?



I: Il fallait que quelqu'un dise quelque chose en faveur des victimes innocentes de nos représailles. Il fallait juste le dire.



HHC: Pour ceux qui ne l'ont pas encore entendu, que peut-on attendre de "Celestial Clockwork"?



I: Attendez-vous à beaucoup de mots et d'histoires. Je crois que tout le monde va apprécier cet album. Il pousse à la réflexion et est plutôt posé. Je pense que c'est un des meilleurs trucs que j'ai écrits et à mon avis il va être écouté et disséquer pendant un bon moment.



HHC: Ca fait des années que tu annonces la sortie de "Celestial Clockwork" et pourtant il ne sort que ces jours-ci. Une explication?



I: On voulait juste attendre que ce soit le bon moment (ndlr: right time) et maintenant c'est le "write time".



HHC: Peux-tu nous dire quelques mots du EP "Off The Clock" que tu comptes sortir avec DJ Przm? Je crois savoir que c'est un projet orienté battle rhymes.



I: Ouais, c'est rempli de beats et de rimes hardcore. Je ne pense que mes fans m'aient déjà entendu être aussi brut (ndlr: ce EP 8 titres sortira dès le 16 Juillet).



HHC: C'est un besoin pour toi de revenir régulièrement à des projets plus "directs" pour contrebalancer la profondeur de la majorité de tes titres?



I: Pas nécessairement. C'est juste que j'écris toujours des battle rhymes parce que c'est marrant à faire et que c'est facile. Il faut croire que ça m'apporte un certain équilibre.



HHC: Est-ce que tu comptes bosser un peu plus avec ton crew Spitball dans les mois qui viennent?



I: Bien entendu. Przm et moi allons travailler sur un album bientôt et vous allez m'entendre sur les prochaines sorties Spitball. De toute façon, j'ai vraiment des tas de projets différents.





HHC: Pour en revenir à "Write To Death", il est sorti sur Dove !nk, le label que Eyamme a fondé. Qu'est-ce qui t'a donné envie de créer ton propre label Dove !nk?



E: Le 11 Septembre a ouvert les portes à une révolution. Le monde est prêt pour un changement. A mon sens, les artistes consciencieux doivent être les fers de lance de tous les mouvements. Nous devons reconsidérer la façon dont nous abordons la vie, la politique et l'environnement… A l'origine, Dove !nk a été crée avec l'intention de promouvoir un message de paix. La devise que j'ai adopté est devenue un poème que j'ai écrit [ndlr: traduction approximative]:

"J'ai déclaré que tout est guerre
De pôle en pôle et de rivage en rivage
Et, en des temps comme celui-ci, quelqu'un doit comprendre que l'insoumission
Est simple en parlant du cœur la première fois
Alors s'il te plait prends position à l'écart
Mets en place tes plumes de dragon et astique tes silencieux
Car nous comptons déposer un souffle brûlant sur leurs briques et détruire les murs
de Babylone."



HHC: Eyamme, tu viens de sortir le très bon 7" 'Only Give You Love' avec Illogic. Est-ce que ça veut dire qu'un second volume de la série "Write To Death" est en route?



E: Il est plus que probable qu'il y aura un autre volume de "Write To Death" mais cette fois ce ne sera pas moi qui le produirais. Au stade où on en est, il se peut qu'on rassemble quelques titres qu'Illogic a faits avec d'autres producteurs originaires d'un peu tous les côtés des Etats-Unis (je ne peux pas dire de noms mais ça devrait être beau). Ca ne veut pas dire pour autant qu'Illogic et moi ne sommes pas en train de travailler sur un autre projet. On a déjà bouclé 2 titres et c'est de la bombe. Je suis très excité. Ca ne pourrait pas être plus différent de "Write To Death".



HHC: Qu'est-ce que tu comptes sortir sur Dove !nk?



E: On compte faire une série de 45 tours faisant suite aux deux qu'on vient juste de sortir (ndlr: Illogic 'Only Give You Love' b/w Eyamme 'Today We Lived' et Eyamme 'Wonderful Day' b/w Periphery 'Outskirts' chroniqués dans nos pages). Je pense qu'on fera entre 4 et 6 7" supplémentaires. On s'occupera aussi de "Write To Death Vol. 2" et peut-être d'un album instrumental de mon cru. Le prochain 45 tours sera consacré à Periphery, notre nouvel artiste. Je l'ai entendu la semaine dernière et je suis impatient de le sortir.



HHC: Avez-vous un message pour les lecteurs de www.hiphopcore.net?



E: On vit sous une grande cape de mal. Halliburton, Diebolt, Coke, Nike, la télé, Bush, le consumérisme, l'élitisme, le racisme et la religion sont à l'œuvre pour vous contrôler. Ne soyez pas un nombre. Soyez libre. Taggez, graffez, dégradez, soyez irrespectueux. Rebellez-vous contre tous les systèmes d'oppression. Be Peace.



Interview de Cobalt
Juin 2004

Si vous avez aimé...

Dernières interviews

News

Chroniques

Articles

Audios

Recherche

Vous recherchez quelque chose en particulier ?

Copyright © 2000-2008 Hiphopcore.net