The Weather

S'il y a encore débat au sein de la rédaction, "The Weather" est (et reste) pour beaucoup d'entre nous le sommet incontestable de 2003. Accompagnés par les compositions expertes et audacieuses de Daedelus, Busdriver et Radioinactive avaient su y ouvrir de nouvelles portes et proposer une œuvre en forme d'ovni en avance sur son temps. Pris séparément, que ce soit avec "Temporary Forever" ou "Pyramidi", les 2 instigateurs principaux de The Weather se sont aussi construits des carrières solo qui les placent indéniablement parmi les artistes majeurs actuels. Alors qu'une tournée avec TTC et Andre Afram Asmar les a amené dans nos contrées pour notre plus grand bonheur, Hip-Hop Core ne pouvait s'empêcher d'aller à la rencontre de ces rappers hors-normes pour discuter un peu avec eux. Pour marquer le coup et ne pas faire les choses à moîtié, autant voir les choses en grand. Comme une interview fleuve en 3 parties avec Busdriver et Radioinactive, par exemple. Pour débuter les hostilités en douceur, passons au crible ce fameux "The Weather" et récoltons les avis de ces 2 experts en flow sur quelques questions qui nous animent… Part I. A suivre. English version



Hip-Hop Core: Parlons un peu de la genèse de The Weather. Comment le projet de faire un album ensemble a-t-il vu le jour?



Radioinactive: Ca faisait longtemps qu'on parlait de faire un projet ensemble et, en fait, au départ, on comptait faire l'album avec différents producteurs. On a commencé dans ce sens et puis Busdriver m'a présenté Daedelus et tout s'est enchaîné naturellement.

Busdriver: On l'a embauché, on a obtenu un deal avec Mush et l'affaire était dans la poche.



HHC: Le 7" 'Touch Type' b/w 'Winthorp & Winthorp' produit par Daddy Kev et Paris Zax que vous avez sorti en tant que The Weather quelques mois avant l'album avec Daedelus provient donc de cette première étape où vous travailliez avec différents producteurs?



B: Ouais. On avait fait quelques titres avec différentes personnes et on voulait sortir ces 2 chansons. On avait aussi fait 'Somethingness', qui est sur mon album "Temporary Forever" et on avait enregistré 2 titres avec Anti-MC qui ne sont jamais sortis.



HHC: Comment s'est faite la connexion avec Daedelus?



B: Mon ami Znino du groupe Aim On Contact qui est sur Eastern Development m'a contacté et m'a proposé de travailler avec Daedelus sur son disque "Inventions". Je l'ai rencontré dans la foulée et j'ai fait une chanson avec lui intitulé 'Quiet Now'. Partant de là, Daedelus et moi avons commencé à travailler ensemble. J'ai vraiment été impressionné par sa musique. Il était totalement désinhibé, vraiment sympa et ouvert aux suggestions. J'ai vraiment été séduit par son approche musicale et on l'a donc engagé pour l'album de The Weather.



HHC: Au final, le disque est très créatif et clairement inclassable. Il part vraiment dans une multitude de directions. A quoi ressemblaient les sessions d'enregistrement?



B: Ca dépendait des fois. Ca s'est passé de plusieurs façons différentes. Mais globalement, c'était une façon assez standard de travailler, du moins pour des rappers de Los Angeles comme nous. On choisit un beat, on rentre chez nous et on travaille dessus. On écrit un truc, on va l'enregistrer en studio et, quand on arrange un peu le titre, des choses se passent. Du coup, on revient, on enregistre des trucs supplémentaires… C'est vrai que les titres de l'album peuvent paraître très décousus et sont très différents les uns des autres mais pourtant on a la même façon de bosser sur chaque titre.

R: Aussi, il y a une poignée de titres sur "The Weather" où on a enregistré nos raps en simultané et où on a superposé nos flows. En fait, on a écrit ces chansons ensemble, ce qui était vraiment amusant pour moi parce que ça me changeait un peu. On interagissait et on imaginait ensemble les concepts des chansons et nos routines. C'était vraiment quelque chose de différent pour moi sur cet album.





HHC: Beaucoup de gens (nous compris) considèrent que "The Weather" est le meilleur album de 2003. Quelques mois après sa sortie, que pensez-vous de l'album personnellement?



R: C'était vraiment un plaisir de travailler avec Daedelus. Il n'est pas un producteur de hip-hop à la base et il n'avait pas peur d'être créatif, de changer la donne pour partir dans des directions différentes de tous les gens avec qui j'avais travaillé dans le passé. Les instrumentaux qu'il a mis au point étaient vraiment stimulants pour nous (du moins pour moi): la métrique des morceaux, etc. Ce n'est pas ton "boom-bap" habituel. Donc c'était vraiment cool. Je pense que c'est bon d'essayer de sortir de ses habitudes pour aller ailleurs, vers l'inconnu. On n'avait pas de diagrammes nous disant ce qu'on faisait et où nous allions. On faisait juste les choses et c'était super.



HHC: Même si vos textes sont souvent liés par des concepts, l'association libre joue clairement un rôle important dans vos textes, en particulier sur "The Weather". Qu'est-ce qui vous attire dans ce procédé d'écriture?



R: Pour moi, au sein des combinaisons de l'association libre, tu trouves certaines sensations et idées qui une fois reliées les unes aux autres forment en quelque sorte un code. Tu écoutes un titre; c'est très condensé. Tu entends toutes ces idées différentes et ces images très visuelles, toutes combinées ensemble. Je pense qu'il y a beaucoup de sagesse dans l'humour. Tu prends toutes ces idées différentes, tu les mets ensemble et tu les lies ensemble d'une façon ou d'une autre… Ca te rappelle un peu que toutes les choses sont interconnectées, comme le dit la théorie des six degrés de séparation. Tu prends deux choses complètement différentes, tu les fous dans le même sac et des accidents intéressants se produisent. C'est tout le plaisir du hip-hop. Il n'y a aucune limite.

B: Moi, je cherche juste à maîtriser au mieux le support qui me permet de transmettre des pensées et des idées intéressantes. A mes yeux, je ne pense pas que beaucoup de ce que je fais, ou même de ce que Radio fait, soit de l'association libre. C'est juste que notre écriture a une certaine approche stylistique qui n'est pas aussi didactique que celle de la majorité des artistes de hip-hop. C'est juste le fruit de notre environnement. Beaucoup d'artistes de l'underground angelino du début des années 90 avaient une approche très honnête mais aussi astucieuse de leur musique. Et moi, je suis le produit de ça donc je reprends le flambeau. Ce n'est même pas une question que je me pose. J'aime juste écrire. Pas nécessairement avec l'association libre, juste essayer d'écrire et de faire en sorte que ce soit aussi intéressant que possible.



HHC: Vos textes sont souvent truffés de petites blagues. Vous prenez aussi plaisir à jouer de vos flows pour animer les instrus. Cette légèreté et cet humour, ça a l'air très important à vos yeux?



B: Ouais. En fait, le hip-hop était une grande fête au départ. (rires)

R: Je pense que les gens ont juste des façons différentes de voir les choses. Certaines personnes ont de l'humour, d'autres non. Je ne pense pas qu'il y ait une seule façon de faire du rap. Il y a une multitudes de façons de t'exprimer. C'est beaucoup plus facile de faire le genre de trucs qu'on fait et d'avoir une certaine insouciance qui transparaît dans la musique. En parlant du milieu d'où on vient, à Los Angeles, si tu décides de devenir un battle emcee par exemple, ça veut dire que tu vas devoir faire plein de battles et en perdre beaucoup. C'est une route difficile… Donc, sachant qu'il y a beaucoup d'artistes très doués à L.A. dans cette catégorie, je me suis plutôt crée tout ce monde de rimes qui n'était pas articulé autour des "Yo, je suis le meilleur" et de ce genre de trucs. Je me suis créé cette autre tangente qui parlait d'autres choses que de battles ou de sujets gangsta parce que tout ça ne me correspondait pas.





HHC: En parlant de l'école de flow californienne, il est clair que la scène de Los Angeles est vraiment très créative dans ce domaine. On trouve une multitude de styles différents et les artistes underground n'hésitent pas à pousser le truc très loin. Le flow semble jouer un rôle très important dans l'underground de la côte ouest et être un terrain d'expérimentation privilégié alors qu'on dirait que, dans le reste du hip-hop, les gens restent coincés dans un moule rigide et que les phrasés ne bougent plus beaucoup. D'où provient cette dichotomie selon vous?



B: Je ne sais pas vraiment. Je pense que la Californie est un endroit unique. Pour une raison qui m'échappe, nous avons plus le droit d'explorer. Les artistes sont moins inhibés. Je pense qu'il n'y a pas la même pression autour de toi qu'à New York ou dans le New Jersey. C'est différent. Je peux juste parler pour L.A. mais j'ai toujours senti que j'étais autorisé à partir dans des directions différentes.

R: Je pense que ça provient en partie de la façon dont L.A. est agencé. Je pense aussi qu'on peut établir un parallèle avec ce qui s'est passé avec la scène jazz de L.A. à une époque. A New York, les gens sont tellement serrés les uns contre les autres que tu te retrouves à rencontrer tout le monde tous les jours. Je pense que ça joue vraiment sur tes influences. Il y a beaucoup de gens à L.A. mais la ville est très étendue donc tu peux plus facilement rester dans ton monde à toi… et en plus il fait beau. A New York, si tu es enfermé dans un train et que tu as une centaine de emcees autour de toi qui rappent tous pareil, tu vas être influencé par ça.

B: Les gens ont toujours du mal à comprendre comment la scène gangsta rap et le hip-hop underground ont pu éclore et fleurir à la même époque à L.A. Les gens trouvent ça extrêmement étrange. Mais c'est parfaitement compréhensible si tu viens de Los Angeles. Ce n'est même pas un grand écart. Pour les gens de L.A., ça semble normal que Freestyle Fellowship, les Goodlifers et NWA existent, dans des parties de la ville relativement proches, tout en partant dans des directions différentes d'un point de vue artistique. Tout simplement parce que L.A. le permet.

R: Mais bon, si tu vas à L.A., il faut aussi voir que la scène dont tu parles est très très petite à l'échelle de la ville. Si tu prends la majorité des gens qui font de la musique à Los Angeles, ça ne va pas sonner comme ce que l'on fait, nous.



HHC: Je sais que vous avez récemment enregistré un titre avec TTC, que vous jouez sur scène pendant la tournée. J'ai entendu des rumeurs de projets plus approfondis avec TTC… Vous pouvez nous en dire plus?



R: Wow… On a cette chanson avec eux pour leur nouvel album à venir sur Big Dada. Pour le reste, on préfère qu'un certain mystère entoure les projets éventuels (rires). On n'en est pas encore sûr…





HHC: Comment se passe la tournée?



B: Je suis ravi. C'est dingue l'espèce de joie excessive que je prends à voir des Français se déchaîner sur notre musique. Ce tour a vraiment été très positif. Je suis content de voir que, dans tous les concerts et tous les endroits où on nous a accueilli, des gens se sont intéressés à notre musique et sont venus nous voir. C'est très flatteur. Ca fait du bien. Ca me donne de l'espoir pour le reste de l'année.

R: Je pense que cette tournée est un bon moyen de présenter différents types de musique et d'internationaliser le débat. Ca permet de réunir dans un même endroit des gens de provenances différentes. C'est bon pour nous, c'est bon pour TTC. On est présenté à leurs fans et avec un peu de chance ils sont présentés aux nôtres.

B: Je pense que TTC a vraiment un public optimal ici. Je suis content d'être là avec eux.



HHC: Qu'est-ce que ça vous fait d'être probablement plus populaire en Europe qu'aux USA?



B: C'est donc officiellement vrai!

R (riant): On se posait justement la question.

B: C'est fou que tu nous poses cette question parce qu'on avait justement des discussions très animées là-dessus et on se demandait si c'était le cas… et, en un sens, tu viens de le confirmer. C'est super en tout cas, parce que j'ai un peu l'impression que l'Europe est ce monde parallèle où on compte vraiment.

R: C'est à ce moment là que tu commences à réaliser pourquoi tant d'Américains, comme les musiciens de jazz, etc, ont déménagé ici. J'ai l'impression qu'on est dans un endroit beaucoup plus métropolitain. Les gens sont beaucoup plus impliqués dans l'art, etc. C'est super. C'est vraiment bien d'être ici et de faire ce qu'on fait.

B: C'est fou comment, même à un niveau gouvernemental, les pays européens se comportent vis-à-vis de l'art. Ils soutiennent vraiment les artistes et ils les aident pendant les périodes de vache maigre. C'est du jamais vu aux Etats-Unis. Ca se comprend que les gens parlent plus de nous ici en fait. En tout cas, c'est fantastique.



Interview de Cobalt & MelloW
Mai 2004

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