La première réunion sur long format d'Aceyalone et Abstract Rude "Who Framed The A-Team?" nous avait fait passer un bon moment à l'aube du nouveau millénaire mais il faut reconnaître qu'elle nous avait laissé un peu sur notre faim malgré la bonne volonté des 2 compères, la faute à des productions trop linéaires et inconsistantes. Avec le recul, cette union brille surtout par la présence du mémorable troisième round des Heavyweights. Alors qu'Aceyalone nous abreuve depuis d'un flot constant d'albums allant de sympathiques à décevants et qu'Abstract Rude s'est fait discret depuis la sortie de son dernier "P.A.I.N.T.", on attendait ce second volume des aventures de l'agence tous risques avec une certaine appréhension. Le duo allait-il répondre à nos attentes et retrouver de sa superbe?
A l'écoute de l'album, enregistré en grande partie au cours de leur tournée en Australie, on est tenté de répondre par la positive (même si des ratés sont encore au programme). Compte tenu du fait qu'il est quasiment acquis désormais que les 2 larrons ne nous proposeront plus jamais d'opus de la trempe de "A Book of Human Language" ou "Mood Pieces", il est tout à fait possible d'apprécier ce LP comme il se doit. L'alchimie réelle entre A.B. Barracus et Acey Uno fait en effet toujours son effet et est comme on s'y attendait le vrai liant de "Lab Down Under". Il faut dire qu'ils forment l'un des duos les plus marquants du hip-hop actuel sur disque tant leurs timbres de voix, leurs flows, leurs vocabulaires se complètent à merveille. Aceyalone avec ses rimes complexes s'entrelaçant pour former des canevas rythmiques changeants est le parfait contrepoids au flow plus direct (mais aussi plus chantonné) et à la voix de velours "so smooooooth" d'Ab. Chaque fois qu'on les retrouve ensemble sur un titre, l'équilibre est frappant. Surtout qu'ici Fat Jack est plutôt en verve.
Il nous livre par exemple une de ses meilleures compositions de récente mémoire avec 'Show'Em A Better Way'. Un piano angélique, quelques touches de trompette illuminées par un sample vocal du meilleur goût lors du refrain; on aurait difficilement pu faire mieux pour mettre en valeur la rétrospective/profession de foi des deux Project Blowdians faisant l'éloge de la créativité et de l'indépendance artistique. Son instrumental discret mais subtilement envoûtant pour l'irrésistible hymne aux belles femmes 'GB In Your Life' est aussi chargé de la chaleur que demandait le titre. Enfin, sa prod bounce pour 'What Time Is It?' est plus que réussie et risque de provoquer un nombre assez important d'arrachage de cou. Elle est le terrain de jeu idéal pour qu'Aceyalone et Abstract Rude testent à nouveau leurs flows double-time et nous montrent la perfection de leur exécution dans ce style. Bref, Fat Jack mérite une petite tape sur l'épaule et un macaron pour bon travail.
Mais les stars du jour restent clairement Aceyalone et Abstract Rude. Qu'ils chantonnent, rappent ou parlent, on ne peut s'empêcher de les apprécier. Plus trop de références aux personnages de la série "L'Agence Tous Risques" dans les textes comme vous l'aurez compris; The A-Team ont voulu se laisser de la liberté et s'enlever toute contrainte, surtout que l'album a été fait sur la route. Ils signent logiquement quelques titres clairement taillés pour la scène ('Pump Up The Jam', 'This Is Your Time Now'). Cependant, on a comme toujours avec eux le droit à quelques textes à décortiquer. En dehors du précité 'Show'Em A Better Way', le couplet d'Aceyalone sur le séduisant 'Day & Nite' est un grand moment. Sur quelques notes de claviers aux saveurs jazz cool, Acey pose en parallèle d'un solo de trompette un de ses meilleurs textes depuis longtemps, exploration poétique et introspective de la dualité jour/nuit. Un titre qui reste par ailleurs dans le crâne un bon moment et qui rappelle par moments les belles années Freestyle Fellowship. De son côté, Abstract Rude retrouve son partenaire de "Codename : Scorpion", Moka Only, pour un 'Every Breath' personnel mais aussi entraînant sur le besoin de profiter de la vie et de ses amis (auquel il convie intelligemment Aceyalone).
En dehors de tout ça, cet album est aussi l'histoire d'une rencontre : celle qui a eu lieu entre The A-Team et une partie de la scène australienne. Ne vous attendez donc pas à un album rempli à ras bord de rimes d'Acey et Ab Rude. Autant qu'un album du duo, ce nouvel opus est en effet un carnet de route ponctué d'apparitions inattendues, fruit de ce réel coup de cœur des 2 californiens pour le pays des Springboks… Il est donc aussi l'occasion pour nous de nous familiariser avec des artistes Aussies que l'on aura probablement l'occasion de réentendre lors du projet australo/américain qu'Ab Rude est en train de mettre en place. On retiendra d'ores et déjà le nom du producteur Dave Dog du groupe Resin Dogs (figures de proue du hip-hop aussie en provenance de Brisbane) qui ouvre l'album en beauté avec la ligne de guitare basse addictive d'un 'Pump Up The Jam' qui donne le sourire et fait hocher la tête. On aura d'autre part envie d'en savoir plus sur la poétesse/emcee MC Trey qui laisse son empreinte vocale sur 2 titres de qualité chargés de sens ('Movement', 'Day & Nite')…
Mais tout n'est pas parfait cependant. Quelques titres sont assez quelconques en particulier du côté de la production. DJ Sing de Sidney signe en particulier trois instrumentaux assez plats ('Keep Going', '2nd Sending', 'When I Spit'). L'instru sombre de 'Lab Down Under' s'essouffle après quelques écoutes. Côté micro, Maya Jupiter irrite les tympans et Ammbush est toujours un emcee aussi quelconque et dispensable (ses deux apparitions enfoncent le clou). Pas de nouveau round des Heavyweights au programme de ce "Lab Down Under "sinon. Pas de révolution sonore non plus. Pas de changement profond dans les habitudes d'Acey the faceman et A.B. Barracus pour ainsi dire. Mais on ne s'en plaindra pas trop en fait.
Car on sent qu'en défrichant cette scène australienne méconnue, Ab et Acey se sont ressourcés et ont pu retrouver par procuration un peu de l'effervescence de leurs premières aventures au sein du Project Blowed. Ils signent dans la foulée un album plaisant et plein de bons moments qui, malgré ses imperfections certaines, surclasse "Who Framed The A-Team?". Créatif, varié, distrayant et rythmé. Les fans du duo sauront donc quoi faire…
Cobalt Août 2003