2003 ne restera sûrement pas dans les annales comme un grand cru pour Project Blowed et ses affiliés… Ce serait plutôt le contraire à vrai dire. En dehors du sympathique "Lab Down Under" de The A-Team et du raisonnablement bon "Showtyme!" d'Abstract Rude & Tribe Unique (même s'il reste leur aventure la moins enthousiasmante), les déceptions se sont succédées à la vitesse des projets lo-fi qui inondent le web. Au rayon des déconvenues, le très discuté "Love & Hate" d'Aceyalone a sa place… mais le nullissime projet collectif "Project Blowed presents The Good Brothers" remporte la palme. Alors, dans ces circonstances, on accueille le premier album de DJ Drez avec un peu d'anxiété. Surtout qu'on sait somme toute assez peu de choses de ce DJ aux dreads gigsantesques en tant qu'artiste. S'il s'est répandu en mixes éclectiques ces dernières années et a posé ses scratches avisés sur à peu près tous les projets de ses connaissances, ses compétences de producteur restaient encore mal connues. Avec ses 72 minutes, "The Capture Of Sound" nous permet amplement de nous faire une idée plus précise des talents du bon docteur EZ.
A l'instar de ses mix-CD's, les productions de DJ Drez brillent par la diversité de leurs influences et de leurs couleurs musicales. Si le hip-hop est bien son moyen d'expression musicale favori, DJ Drez confirme ici à de nombreuses reprises ses goûts pour d'autres genres musicaux. Amateur des bonnes vibes et des sons organiques chauds, il parvient à obtenir sur ce premier opus un bel équilibre entre titres instrumentaux et morceaux rappés (voire chantés). Mixeur expérimenté, Drez a su agencer les plages de manière à ce que l'on soit porté naturellement d'un titre à l'autre, tout en renforçant l'impression de cohésion en utilisant des interludes intelligemment placés qui lient le tout.
Comme dit plus haut, DJ Drez profite de l'occasion pour se lancer sans retenue dans des excursions inattendues. Avec son association basse/batterie à géométrie variable, l'instrumental 'Make Way' est ainsi l'occasion d'une envolée jazzy réussie qui doit beaucoup au sublime saxophone de Khalif. A son tour, porté par une contrebasse de bon aloi, le piano léger de Marty Williams s'engouffre dans les espaces de la batterie toute en retenue du calme 'Illusions Hush' pour y distiller une poésie touchante. Le piano de 'Wandering Mind' finit de confirmer l'affection que Drez a pour le jazz cool. Mais il n'y a pas que du jazz au programme, bien entendu. Ainsi, 'Higher Mission' nous emmène sur le continent noir, au Sénégal plus précisément, où le son de la kora est incontournable et où les chants wolofs relaient les états d'âme de tout un peuple. Etonnamment, la voix de Bou Jou Badialy s'intègre sans mal au milieu des scratches et des changements de rythme de l'instrumental pour donner une collaboration réussie. Le mélange est aussi concluant lorsque Drez s'attaque au dub à grand renfort de reverbs et de basses épaisses et qu'il convie le chanteur reggae Rocky Dawuni à le joindre dans sa diatribe contre la prolifération incontrôlable de l'information qui anesthésie le sens critique de ses compatriotes ('Information Overload'). Jazz, dub, world music : DJ Drez vagabonde au gré de ses envies à travers les styles qu'il aime. L'éclectisme est donc de rigueur pour l'auditeur.
Logiquement, ce melting-pot d'influences se retrouve dans les productions "rap" de Drez. Dès le départ avec sa basse profonde et son clavier atmosphérique, l'envoûtant 'The Prescription' porte en lui un peu de toutes ces musiques qu'aime notre hôte. Sur ces vibrations apaisantes qui sentent la sensi, on retrouve avec plaisir le bon vieux Dr. Oop (du Blacklove Crew) qui vient poser quelques rimes relaxantes bien senties. Parfois planantes, parfois plus rythmées, les productions nous portent sans mal tout le long du LP, souvent ponctuées des cuts précis de leur créateur. En cours de route, on croise au micro Zaire Black, Blackwhole, Main Flow (ancien leader de Mood) ou Firewater (qui nous rassurent un peu après l'album très décevant de Voice Watson). Plutôt inspirés par les sons organiques apaisants de DJ Drez, les emcees accouchent souvent de textes spirituels voire mystiques, livrant sans fard leurs réflexions sur la vie ou la musique. Si le voyage se déroule sans heurt majeur, on notera néanmoins quelques baisses de régime et de petits incidents de parcours à l'instar d'un 'Wise Dread' aux samples un peu trop familiers, d'un 'The Otherside' soporifique et surtout d'un 'Funk Infected' franchement maladroit. Avec son refrain chanté platement et son groove facile, ce dernier détonne franchement du reste de l'album, poussant à appuyer sur la touche "fast forward" pour zapper la prestation peu ragoûtante d'une Medusa d'habitude plus fiable. Tout n'est donc pas irréprochable.
Mais, de toute façon, 3 titres justifient à eux seuls l'achat de "The Capture Of Sound". Il y a d'abord ce 'Hallways & Doors' aux contours changeants où DJ Drez retrouve The Grouch et Eligh après les avoir accompagné de ses cuts tout au long de leur récent "No More Greener Grasses". Une boucle de guitare modulée planante pour Eligh, une ligne de basse irrésistible pour The Grouch, puis on inverse les rôles… et Drez joue au chat et à la souris avec les différents mouvements de sa production pour mieux varier les plaisirs (dont le nôtre). Il y a aussi ce 'Last Show' qui donne enfin l'occasion à un Aceyalone impérial de retrouver une production à la hauteur. On est aux anges dès que le flow élastique d'Acey Uno prend le contrôle de ce titre d'outre-tombe fait de scratches étranges, d'une basse enveloppante, de percussions exotiques et d'un voile de voix fantomatiques. Pourtant il y a mieux. 'Quenchthisherethirst', pour ne pas le nommer. En s'associant avec le fondateur de Project Blowed pour ce titre, DJ Drez permet en effet à Abstract Rude de nous livrer ce qui est probablement son meilleur titre depuis la période "Mood Pieces". On retrouve là le feeling spirituel qui sied si bien à Ab depuis ses débuts au Good Life Café. Une flûte traversière poétique, une contrebasse subtile, des scratches à dose homéopathique, une rythmique inspirée, des rimes en forme de nourriture pour l'esprit, la voix sans égal d'Abstract Rude… Ca se passe de commentaire. Et surtout, ça s'écoute avec délectation et en boucle. Un petit chef d'œuvre.
Avec "The Capture Of Sound", malgré quelques temps faibles, le Project Blowed termine donc l'année sur une bonne note. Naviguant savamment entre les genres et les ambiances, Drez s'affirme comme un touche-à-tout de talent. Certains jugeront peut-être que le LP est un peu fourre-tout. Pour notre part, on préférera se réjouir de l'éclectisme bien pensé de ce premier album et de la réussite de DJ Drez dans chacun des genres musicaux qu'il aborde au cours de ce voyage de l'esprit. Une chose est sûre : dans le futur, il faudra désormais surveiller de plus près les agissements de DJ Drez. Avec la révélation de ce producteur nomade et inspiré, Project Blowed se pare d'une arme qui commençait à vraiment lui manquer ces dernières années. Le talent est là ; espérons maintenant que le collectif saura l'utiliser comme il se doit en ne le cantonnant plus au rôle de simple DJ et en mettant à profit les dons de producteur exhibés sur ce prometteur "The Capture Of Sound".
Cobalt Décembre 2003