Lancé sans trop de moyen depuis un petit magasin de Montreal, Marco à fait en trois ans de Bully Records un label dont on attend impatiemment chaque nouveau projet, donnant un second souffle au hip hop instrumental et à plusieurs producteurs qui semblaient maudits. Discussion avec cet homme de l'ombre très occupé. English version
Hip-Hop Core : Pour ceux qui ne te connaissent pas encore, peux-tu te présenter en quelques mots...
Marco: Je m'appelle Marco, je suis le boss de Bully Records. J'ai grandi dans les environs de Montreal et j'ai découvert le hip hop par le biais de mon grand frère qui écoutait Public Enemy. L'anglais n'est que ma seconde langue, donc les premières années je faisais plus attention aux beats qu'aux paroles. Ca doit être une des raisons pour lesquelles je sors surtout de la musique instrumentale.
HHC: Raconte-nous ton parcours. Comment as-tu monté ton magasin, puis Bully notamment? Quelles étaient tes motivations?
M: Il y a environ 6-7 ans de cela, je passais tout mon temps et je dépensais tout mon argent à Disquivel, un magasin de disques de Montreal. A l'époque, c'était un endroit connu des amateurs de sons. Un jour, ils ont eu besoin de quelqu'un pour remplacer l'espace d'un jour la personne qui s'occupait des rayons hip hop et musiques électroniques et il m'ont demandé de m'en occuper (même si le patron ne voulait pas que je bosse là à cause de mon bégaiement). Je suppose qu'ils ont été contents de moi parc'ils m'ont demandé de revenir bossé une fois par semaine. Après quelques mois, je me suis retrouvé à travailler 7 jours sur 7 et à m'occuper de la commande de la plupart des nouvelles sorties. Fin 2002 j'ai eu l'idée de sortir un disque avec les personnes que je connaissais (Sixtoo et Simahlak), puis le projet a commencé à se mettre en place et assez rapidement je me suis retrouvé à la tête d'un label.
HHC: Quelle est la "ligne editoriale" du label? Y'a t-il un "son" Bully'?
M: La seule ligne editoriale est de sortir de la musique qui reflète mes goûts musicaux. Je ne pense pas, surtout depuis l'an dernier en fait, que nos sorties aient un son spécifique.
HHC: Apparemment le label est co-géré avec Sixtoo... Comment s'est faite la rencontre? Quelle est vraiment son implication dans le label?
M: Je l'ai rencontré au magasin un an environ avant que je commence Bully et on a commencé à s'échanger des disques. Il s'est impliqué dans Bully depuis la première sortie en tant que designer graphique et ingénieur de mastering.
HHC: Comment es-tu rentré en contact avec les membres du roster (P-Love, Controller7, Matt Kelly, Elektro4, etc)? Etes-vous à la recherche de nouveaux artistes ou de gens qui ne seraient pas de Montréal?
M: La plupart des gens impliqués dans Bully sont des amis d'amis. Seules deux personnes sont entrées en envoyant leurs démos. Même si le label est basé à Montreal, seules 3-4 personnes du roster habitent ici. La plupart des artistes habitent aux Etats-Unis.
HHC: Le label commence à bien tourner désormais. Est ce que tu n'as pas envie de sortir un peu des pressages confidentiels et des 45 tours, pour élargir le catalogue, presser plus d'exemplaires ou faire des rééditions par exemple?
M: Non. Même si le label faisait beaucoup d'argent, ce qui n'est pas le cas, je continuerai à sortir des 45 tours en édition limitée. Aucune des sorties cds n'est limitée cependant.
HHC: Comment s'est faite la connexion avec Ninja Tune pour la compilation Lunch Money Singles? Est-ce que cette initiative a porté ses fruits à tes yeux? Y'aura-t-il d'autres collaborations?
M: Avant que je sorte la compilation, Jeff (qui s'occupe de Ninja Tune en Amérique du Nord) m'a contacté en m'offrant de nous aider pour la distribution. Je le connaissais bien avant Bully, via le magasin. Chaque fois qu'un de leurs artistes était en ville, il venait acheter des disques chez nous. Depuis lors, ils se sont occupés de la distribution du cd, qui n'est pas une édition limitée. Notre vente par correspondance se fait aussi via leur site.
HHC: Le label te prend-il tout ton temps ou fais-tu d'autres choses à côté?
M: Les deux premières années d'existence de Bully, je bossais au magasin. Puis en décembre 2004, il a fermé et je me suis concentré sur le label à plein temps. Il y a six mois de ça, Ninja Tune m'a demandé si je pouvais m'occuper de leur vente par correspondance. Je passais déjà du temps dans leurs bureaux à cause du projet commun et ils se sont finalement dit qu'ils allaient me donner un job. Donc au lieu d'avoir monté une partie "store" sur le site de Bully, je l'ai fait sur le leur.
HHC: Comment êtes-vous organisés? Combien êtes-vous à Bully?
M: A part Sixtoo, il n'y a pas d'autres employés. Je bosse pour Ninja Tune seulement 2 heures par jour et je passe le reste du temps à bosser pour Bully. Du coup, de 9h du matin jusqu'à 1h du mat, je travaille en continu. Je peux pas vraiment me payer des employés, mais la somme de travail ne m'effraie pas. C'est quelque chose que j'aime faire.
HHC: Le fait de bosser dans le milieu de la musique indé et d'être confronté à la réalité du business, t'a-til fait changer de vision en ce qui le concerne? Quelle est la plus grande leçon que tu aies tiré jusqu'ici en tant que boss d'un petit label?
M: Disons que si tu devais appliquer les règles du music business à n'importe quel autre type de business, on te rirait au nez et tu ferais banqueroute. C'est vraiment la chose la plus frustrante que j'ai jamais faite. Mais il y a de bons jours…
HHC: Est-ce que tu te sens concerné par le problème du téléchargement gratuit?
M: J'essaie de ne pas trop y penser. Bien sûr, quand tu passes tout ce temps et cet argent à sortir des disques, c'est frustrant de voir quelqu'un le ripper et le foutre sur internet. Mais je ne vais pas commencer à dire de quelqu'un qu'il est un voleur à cause de ça. La seule objection que j'ai, c'est quand les gens diminuent le travail des labels indépendants. Les gens doivent comprendre qu'un petit label fonctionne vraiment différemment d'une major. C'est pareil si tu compares un artiste qui vend quelques milliers de copies à un autre qui vend des millions.
HHC: Tu travailles avec des presseurs et des artisans locaux, je me trompe? C'est un point commun avec vos voisins de Constellation Records. Te sens-tu proche de leur politique de label?
M: Ouais, j'utilise le même imprimeur que les gens de Constellation. La notion d'indépendance et de débrouille est très importante pour moi. Pas en tant que notion/déclaration politique mais plus à cause d'une nécessité économique. Il faut dire aussi que je suis plutôt borné et qu'il y a "My Life, My Way" tatoué sur mon avant-bras.
HHC: Elargissons le sujet à Montréal maintenant. Parle-nous un peu de la ville et de la scène musicale locale.. C'est une ville qui semble particulièrement agréable pour les musiciens, avec une scène musicale très riche (Amon Tobin, Kid Koala, Sixtoo, Godspeed, etc)...
M: Ouais, c'est une ville super. Mais je ne me sens pas vraiment comme un acteur de cette scène. Je passe la plupart de mon temps à travailler et je vais raremenent à des concerts. En plus je vis à Verdun, qui est très éloigné du quartier cool. Et ça me convient tout à fait.
HHC: Quelle est l'importance de l'esthétique visuelle du label à tes yeux?
M: Je pense que l'esthétique d'un label est très important. Avant même que tu entendes la musique, l'artwork est la première impression que tu as. Je pense que c'est une partie de ce qui rend un disque spécial. Sans les visuels des pochettes, on achèterait peut-être juste de la musique sur iTunes ou Bleep.
HHC: Quelle est ton ambition pour le label? Penses-tu faire évoluer l'orientation musicale ou la politique de pressage?
M: Mon ambition est de pouvoir continuer de faire ce que j'aime aussi longtemps que je le peux. Continuer à sortir toujours plus de disques et de projets. Je pense qu'il y aura toujours un point commun entre tous les artistes de Bully, mais mes goûts musicaux sont assez vastes, donc on ne sait jamais.
HHC: Qu'en est-il exactement de tes futurs projets et de ceux du label?
M: Dans les prochains mois, on aura des sorties de Matt Kelly, Signify, Grandmaster Caz, Joe Beats, Meaty Ogre, Maker, One Speed Bike et d'autres. Il y a pas mal de choses sur lesquelles je travaille et vous pouvez vous attendre à voir sortir un 45 tours quasiment toutes les 2 semaines. On va aussi sortir l'album d'Elektro4 en vinyle en avril et represser le premier ep de Controller 7… Ca devrait se faire d'ici quelques semaines. Enfin j'ai lancé un nouveau label (comme je n'étais pas assez occupé) qui va s'appeller Bully Projects. La première sortie était un Megamix en 7" de Buddy Peace qu'on a réalisé pour hiphopvinyl.de en Allemagne. La seconde sortie qui sort ces jours-ci sera le bouquin de Other qui s'appelle 'Fight'. Il fait 88 pages, contient des gravures et des dessins sur linoleum et est limité à 1000 copies numérotées à la main. Il contient aussi un mini-cd de 15 minutes fait par Sixtoo. Il y aura aussi une série de cd éditions limités sur Bully Projects. Le premier sera fait par Matt Kelly.
HHC: Merci Marco.. Un dernier mot?
M: Je suis crevé. Désolé. Merci à tous ceux qui nous supportent et nous ont aidé.
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