Ghislain Poirier

Du fond de sa chambre Montréalaise, de l'autre côté de l'Atlantique, avec comme simple matériel un PC, une bardée de logiciels mais surtout une grosse dose de talent, Ghislain Poirier nous concocte depuis plusieurs années déjà un mélange musical étonnant entre hip-hop, électro, ragga et autres rythmes entêtants. Néanmoins les choses commencent seulement à devenir vraiment sérieuses pour lui. Après avoir sorti le très recommandable "Breakupdown" sur Chocolate Industries l'an passé, Ghislain fait un détour dans notre beau pays pour faire remuer les foules françaises. Et même si ce soir là à Reims, la foule était peu nombreuse, les quelques personnes sensées qui auront eu la bonne idée d'être de la partie auront pris leur pied. Sautant sur l'occasion, nous avons profité de sa venue dans nos contrées pour lui poser quelques questions, histoire de présenter un producteur qu'il faudra suivre de très près dans un futur proche. Don't smile it's Post-Modern.



Hip-Hop Core: Pourrais-tu te présenter brièvement pour les français qui ne te connaissent pas...



Ghislain Poirier: J'ai commencé à produire vers l'an 2000 avec des beats très ambiants, ce qui m'a amené à sortir mon premier album en 2001 "Il n'y a pas de Sud…" sur le label 12K, puis un second toujours très ambiant sur un label de Montréal. Puis j'ai commencé à sortir publiquement des beats que je n'avais peut-être pas le courage de sortir auparavant. Beaucoup de gens pensent que ce fut un changement radical mais en réalité cette idée est totalement fausse. Auparavant, je donnais dans la peinture et le dessin ; j'ai été aussi animateur sur une radio universitaire pendant 5 ans et suite aux interviews que je réalisais pour cette dernière je me suis rendu compte que c'était dans cette voie (ndlr: la musique) que je voulais m'engouffrer. A force d'écouter et de jouer les disques des autres, ça donne des envies! Et depuis je ne me suis jamais relâché...



HHC: Ta musique semble être influencée autant par le ragga ou l'électro que par le hip-hop. Penses-tu pouvoir atteindre un certain format "pop" avec cette diversité?



GP: Et bien, ce n'est pas mon intention première, même si je n'ai aucun problème avec cela. Je crois en l'universalité de la musique. Je crois en cette alternance sur un même album, entre musique pop très catchy, et l'instant d'après un manifesto politique. Cette contradiction génère des choses intéressantes. Que ce soit en tant que spectateur ou en tant qu'acteur du mouvement musical, je me sens très attiré par cela. Il est sûr qu'en tant qu'artiste, je produis dans le but d'être écouté, et cela ne me gênerait pas si une radio FM commerciale jouait ma musique, mais ce n'est pas à considérer comme une récupération, puisque je ne produis pas en fonction de cela.



HHC: J'ai cru comprendre que tu produisais principalement à l'aide de logiciels tels que Fruity Loops ou Reason. Pourquoi se tourner vers le laptop plutôt que des machines dites "conventionnelles" (MPC, Boss, Roland, etc...) utilisées par beaucoup de beatmakers encore aujourd'hui?



GP: C'est juste un concours de circonstances. Suite à mon expérience en radio, durant laquelle je travaillais avec des logiciels comme Cool Edit Pro, je me suis senti tout de suite très à l'aise avec. Même si j'y vois certaines limites, je continue à découvrir certains détours ou même raccourcis qui m'amènent à des choses intéressantes, donc je reste avec cette configuration par laquelle je continue d'explorer musicalement parlant. Ces programmes ne sont pas reconnaissables et n'ont pas d'identité contrairement à d'autres comme Reason, ils sont assez basiques mais c'est le producteur qui donne la véritable couleur au programme.
Cependant, si j'avais commencé avec une MPC, je m'y serai tenu, c'est certain. Il y a tellement de gens qui sont occupés à acquérir les dernières machines qui sortent les derniers sons qu'ils en oublient de les apprivoiser et de sortir leurs travaux.



HHC: Ne penses-tu pas que cette configuration peut d'une certaine manière limiter tes performances live?



GP: Bien sûr, je préfèrerai jouer avec mon bassiste et mon batteur. C'est ce que je fais sur Montréal, épaulé parfois par Omnikrom. Ce soir c'est l'équipement réduit, ce que vous allez voir sera un compromis. Il faut pas oublier le coût de toute cette opération... on ne peut pas toujours imposer ses vues (rires)!





HHC: Tu parlais d'Omnikrom et justement ils sont eux aussi "victimes" d'un catalogage dans le mouvement crunk, qu'en penses-tu?



GP: Tu sais certains considèrent que je fais aussi du favela funk, c'est ridicule...(rires). Sincèrement, je n'ai réalisé qu'une rythmique crunk, 'Pour Te Réchauffer' sur le street cd "Pour Les Filles Vol.2" de Cuizinier. Le reste, que ce soit 'Rivières De Diamants' ou autre, c'est plutôt une approche pop voire neptunesque (rires)! Si les gens se plaisent à décrire ma musique en tant que telle tant mieux pour eux, personnellement je ne suis pas du même avis. En fait il y deux pôles dans ma musique: hip-hop et électro ; qui constituent le spectre sur lequel viennent se greffer des ambiances ragga, reggae ou encore favela funk. Pour revenir au mouvement crunk, ce dernier m'intéresse beaucoup du fait de son coté novateur musicalement parlant.



HHC: Sur l'intro 'Copier Copier' de "Breakupdown", tu abordes le sujet du téléchargement illégal. Quelle est ta position là dessus?



GP: Je trouve que tout ça est un faux débat, que ce n'est pas illégal. Les amendes et la répression que certains pays font à ce sujet, je trouve ça complètement farfelu et inutile. De façon plus large, c'est à l'industrie de la musique de s'adapter à ce phénomène, comme elle a su s'adapter à l'avènement de la cassette ou du disque compact. Si cela peut aider des artistes comme moi à propager leur musique et bien moi, je dis tant mieux. La musique peut ainsi traverser les frontières et permettre de tourner dans des pays où l'on n'a pas de réelle distribution et ça, c'est génial. D'ailleurs, je downloade beaucoup de mp3's et ça ne m'empêche pas d'acheter des disques.



HHC: Tu as sorti "Rebondir EP" en début d'année. Dans quelle optique s'est fait cet EP? Est-ce une transition entre "Breakupdown" et ton prochain album?



GP: Comme l'album "Breakupdown" avait pris du temps à sortir, je voulais offrir quelque chose de plus récent comme son, quelque chose qui permette de voir où j'en étais. De plus, j'avais accumulé quelques tracks que je voulais absolument sortir le plus vite possible. Je ne voulais pas attendre deux ans. Le "Rebondir EP" est donc en effet une sorte de transition naturelle vers mon prochain album que je commence tranquillement à travailler. Aussi, c'était une façon d'installer la première pierre de mon label Rebondir Records que je démarre, un label pour sortir ma musique sans attendre d'être approuvé par telle ou telle personne.



HHC: Presque en même temps que "Rebondir EP", tu as sorti "Bounce Le Remix", une collection de remixes d'artistes principalement mainstream. Le résultat est vraiment très réussi! Qu'est-ce qui t'as donné envie finalement de les regrouper et de les sortir?



GP: C'est un peu par défi que j'ai fait "Bounce Le Remix". Souvent j'entendais des commentaires à savoir que ce que je faisais n'était pas hip-hop. Alors j'ai eu l'idée de faire ces remixes pour montrer qu'avec des acapellas que les gens connaissent, je pouvais mettre mes beats et que ça passait très bien. J'ai joué beaucoup de ces remixes dans mes sets de DJ et la réponse est toujours positive. J'ai l'intention de faire un volume 2, idéalement d'ici la fin de l'année 2006. J'ai déjà commencé à travailler sur des nouveaux remixes.





HHC: Comment s'est passée la collaboration avec Beans sur le morceau 'Cold As Hell' de ton dernier album?



GP: C'est assez étrange en fait car tout s'est déroulé via le label Chocolate Industries. A l'époque, nous recherchions un rapper pour apparaître sur un single, et Chocolate a joué les intermédiaires. Je ne connaissais pas Beans personnellement, mais j'aimais beaucoup ses disques. Je ne l'ai vu que six mois après à Montréal mais toute l'affaire s'est faite de façon très business (rires)!



HHC: Pourtant à l'écoute, on n'a pas l'impression de ce coté business qui résume beaucoup de soi-disantes "collaborations" qui inondent le marché!



GP: Oui, je suis assez content du résultat mais il faut dire que c'est un peu comme aller au casino (rires)! On ne sait jamais sur qui ou quoi on va tomber dans ce genre de deals!



HHC: Radioinactive est présent sur le morceau 'Propaganda' sur "Rebondir EP". Est-ce que cette collaboration s'est faite à distance comme pour Beans?



GP: En fait, j'ai partagé la scène avec Radioinactive à Montréal à la Casa Del Popolo il y a 3 ans environ. On avait bien sympathisé et on avait eu l'idée de faire un morceau ensemble. Quand il a terminé sa tournée, je lui ai envoyé un beat et voilà comment ça s'est enchaîné.



HHC: Toujours au sujet des collaborations, tu es présent sur la dernière compilation du jeune label français Hip Notik Records avec le morceau 'Close The News'. Pourquoi le choix de participer à une compilation d'un label débutant, français de surcroît?



GP: Tout s'est passé au moment où la sortie de "Breakupdown" a été repoussé. J'ai saisi l'opportunité de travailler avec eux car je viens parfois en France. C'était l'occasion de donner une idée aux gens de l'album qui est sorti 6 ou 8 mois plus tard. Et puis, il faut dire que je suis toujours intéressé par ce qui se passe hors des frontières Québécoises.



HHC: En ce qui concerne la vie musicale Québécoise, existe-t-il à ton sens des gens comme toi ou encore Omnikrom qui vont avoir la possibilité d'émerger de cette scène locale?



GP: Tout dépend de la volonté de chacun. Tu sais il faut prendre beaucoup de temps, pas forcément pour créer à proprement dit, mais justement pour bien cerner la façon dont tu vas aborder ta carrière. Je suis déjà très content qu'Omnikrom ait la possibilité et surtout les "guts" de venir en France et de délivrer des morceaux pas forcément abordables, notamment chez nous où la plupart des rappers refusent de travailler sur de telles productions.
Il y a un certain temps, une vague tech-house a déferlé sur le pays avec en tête de file Akufen, mais la hype s'est depuis estompée puisque génératrice de beaucoup de clones, au sens négatif du terme. Donc d'une certaine façon, j'ai profité de ce phénomène avec Omnikrom pour pouvoir sortir nos albums ailleurs que chez nous (ndlr: Ghislain travaille notamment et surtout avec les Etats-Unis, preuve en est sa dernière apparition sur le EP promo "Chocolate Swim" du label Chocolate Industries sur lequel il apparaît en tant que remixeur de Lady Sovereign aux cotés de MF Doom ou encore RJD2.).
Les soirées "Bounce Le Gros" ont et continuent d'ailleurs d'offrir une plate-forme intéressante pour ceux encore inconnus du grand public. Je n'hésite pas à jouer certaines démos dans ces soirées qui sont des prétextes à écouter de la musique fort dans un contexte de fête.





HHC: Justement en parlant des soirées "Bounce Le Gros", quelle en a été la genèse?



GP: En 2005, je jouais beaucoup en tant que DJ ; activité (pour la petite anecdote) que je n'affectionnais pas réellement auparavant. Je passais autant de grime que de favela funk, de ragga ou du hip-hop... Le point commun à toute cette programmation était le coté basse très sourd que j'aime perpétuer tout au long de mes mixs. Cependant, j'étais assez frustré de ne pas pouvoir imposer mes choix musicaux, et par faute de temps, j'ai décidé d'arrêter jusqu'au jour où TTC est passé dans le coin. On m'a contacté pour savoir si je voulais organiser leur after-party, puisque je les connaissais et j'ai accepté tout en sachant que j'allais endosser toute la responsabilité de l'évènement.
Le projet était né: une soirée régulière et mensuelle de 22h à 3h avec cette liberté totale au niveau du choix de l'invité et de sa teneur musicale, tout en maintenant cette culture du partage. Aujourd'hui "Bounce Le Gros" c'est la soirée où découverte et danse se mélangent subtilement: j'aime imposer aux gens présents certains choix musicaux, parfois de façon presque effrontée. Mais quand les gens se mettent à crier dès qu'ils entendent quelque chose de nouveau c'est totalement jouissif! D'habitude, ils crient quand ils reconnaissent... (rires)



HHC: Cette question doit revenir souvent, cependant j'aimerai avoir ton avis. De par sa position géographique et son passé historique, penses-tu que le Québec se doit de développer sa propre identité musicale?



GP: Je ne pense pas... Il n'existe que des comètes qui traversent le paysage musical... Ok, il existe la vague folk, pop Québécoise, mais si on parle de musique urbaines, telle que celle que nous faisons, ce ne sont que des comètes. Je ne considère pas que ce soit Le son Québécois, même si les journalistes veulent y croire.



HHC: Pour conclure, quel est le futur de Ghislain Poirier?



GP: Très occupé (rires)... J'ai fait pas mal de trucs ces derniers temps: un remix pour The Clipse qui est paru sur leur mixtape "We Got The Remix", un projet de remix pour un groupe rock british assez connu mais je garde la surprise vu que j'attends que ce soit approuvé. Je leur ai envoyé une rythmique zouk/ragga (rires)!! Je reviens en France pour Dour, les Eurockéennes de Belfort et j'organise une soirée "Bounce Le Gros" le 6 juillet à Paris. D'ailleurs, je tiens à dire que la dernière fois à Nantes l'ambiance était similaire à celle que nous avons à Montréal et c'était complètement hallucinant! Sinon des dates en Angleterre, aux Etats-Unis, le lancement de "Rebondir EP" mais ça me laisse le temps de bosser sur "Bounce Le Remix Vol.2", des collaborations notamment françaises avec le groupe Ambitieux de Rennes, un album en prévision pour 2007. J'aimerais continuer à étonner les gens et aller là ou les gens ne m'attendent pas, même si cela reste très prévisible d'après moi!



Interview de Phara et Aaron
Photos de Romain Klapka et Sébastien Baritussio
Juillet 2006

Vous pouvez commander "Rebondir EP" et "Bounce Le Remix Vol.1" directement sur le site de Ghislain Poirier : www.ghislainpoirier.com.

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