DJ Damage

Membre du Double H et des Jazz Liberators DJ Damage est un homme qui sait prendre son temps, que ce soit sur mixtapes ("Independant Addict"), sur CD ("Rotation Result"), ou sur maxis ("JazzLiberators") la qualité reste son maitre mot. Loin d'être dans la course à la nouveauté ce DJ aime nous faire partager ses coups de coeurs et cela n'est pas pour nous déplaire! Allez, coup de projecteur sur ce personnage discret qui le mérite amplement.

Hip-Hop Core : Présentations ?



DJ Damage : DJ Damage. J'ai 35 ans et j'ai commencé il y a très longtemps. Mon premier disque de rap, je l'ai découvert en 79 par le biais d'un ami qui avait une cousine qui avait de la famille aux Etats Unis et qui ramenait de la musique, dont le premier Sugarhill Gang. Le rap, pour nous, c'était du funk parlé, ni plus ni moins. Il n'y avait pas de focalisation sur le mouvement hip-hop. A la suite j'avais vu une photo dans un magazine ricain ou anglais avec un mec qui posait la main sur un disque, ça m'a un peu perturbé. Il y a eu les débuts en France avec l'émission de Sydney. Avec le recul c'est un peu confus, je sais plus trop ce qui est arrivé en premier. Il y avait radio RDH, Radio 7… J'avais un goût prononcé pas que pour le hip hop mais pour tout ce qui faisait danser les gens. Mon premier achat de disque de rap, ça doit être Frankie Smith - "Double Dutch Bus". On montait sur Paris en train pour aller chercher trois quatre vinyles avec notre argent de poche. Maintenant, c'est vingt ans de ma vie passés à acheter des disques et à récupérer les disques de la famille. Autour de moi, il y avait toujours un peu de musique. Très tôt, j'aimais le jazz. Si tu veux savoir, mon tout premier disque, un petit scoop, j'avais quatre ans quand j'ai hoché la tête sur "Get Back" des Beatles, mes parents m'ont acheté le 45t. C'est mon vrai premier disque.



HHC : Quand est-ce que tu t'es rendu compte que tu devenais DJ ?



D : Héhé ! C'est une maladie insidieuse. A quatre ans, je savais déjà ranger les disques dans les bonnes pochettes ! Après j'ai décroché jusqu'à douze ou treize ans. Mon père étant électricien, il avait monté la discothèque d'un de ses potes et c'est là que j'ai commencé à voir une cabine de DJ, des platines, etc… Là j'ai commencé à assister le DJ, à faire des séries slows comme un bon blaireau, et heureusement, à l'époque, on se permettait des séries de musique moins commerciales que dans les discothèques classiques de maintenant.



HHC : On dit souvent qu'être DJ est un avantage quand on se lance dans la production. Qu'en penses tu ?



D : Je ne pense pas ça du tout. Je connais de très bons DJs qui sont de piètres producteurs et réciproquement. Il y a beaucoup de producteurs qu'on veut mettre en avant en tant que DJs, et qui ne sont que des sélecteurs. Par exemple, si tu veux faire un refrain scratché, c'est un plus. DJ Revolution, il s'éclate pour les refrains, mais est-ce qu'il est à même de composer de la musique et découper des samples dans le bon sens, je ne sais pas.



HHC : Comment es tu arrivé à la production ?



D : A l'heure où les sampleurs sont arrivés, je bossais encore sur magnéto à bande, jusqu'en 92-93. J'ai reculé au maximum mon entrée dans le numérique. Fin quatre-vingt, avec un pote on faisait des petits remixes édités, à la façon electro de l'époque, comme Omar Santana, Latin Rascals. Je suis de l'école du medley, du mégamix. J'allais voir Dee Nasty, je lui en lâchais pour qu'il les passe sur Radio Nova en exclu, et nous dans notre émission. Mais ça m'est aussi arrivé de faire un mégamix pour l'anniversaire d'un pote, juste pour le fun. Je passais quarante heures à découper des bouts de bande microscopiques pour faire les caisses claires ! J'ai acheté un sampleur S950 vers 1994, en retard, quand les autres passaient au S1000 ! Je m'en servais d'abord pour faire des jingles, des remixes pour la radio, parce qu'on avait pas la possibilité de les presser sur vinyle.



HHC : Comment as tu intégré le Double H ?



D : Cut, je le connaissais depuis longtemps, depuis l'époque de IZB. On s'était vu plusieurs fois mais on ne peut pas dire qu'on était amis. Je connaissais aussi un peu Dee Nasty. Au départ, nous, on était à 50 bornes de Paris ; un groupuscule de deux ou trois potes DJs un peu seuls au monde, et tout autour de Paris je crois que c'était pareil. Il y avait les mecs de Paris et les autres. Ca fusionnait pas vraiment. Il a fallu beaucoup d'années pour que les gens se mettent à discuter et à se rendre compte qu'on avait le même discours. L'intégration au Double H s'est faite en 1996. Pone et moi avions fait des championnats de France ensemble. Cut était dans le jury et il a aimé la prestation. A l'époque, ils étaient cinq dans le Double H et ils devaient amener chacun un nouveau DJ. Je connaissais aussi LBR depuis longtemps.



HHC : Aujourd'hui tu t'intéresses encore au turntablism et à a la scratch music ?



D : Alors, à la scratch music, oui. J'ai des potes qui sont les Birdy Nam Nam qui sont en train de faire un album monstrueux. Ils m'ont réinteressé au truc. Parce qu'au départ, il y avait le DJ, point barre, et ensuite on a commencé à spécialiser les mecs. J'ai l'impression qu'il y a beaucoup de robots à reproduire les vidéos, avec aucun feeling. Techniquement, ils défoncent mais ils ne dégagent rien. C'est assez dramatique, tout le monde se calque un peu et l'état d'esprit qui règne dans ce milieu-là est assez peu fraternel. Ce sont des espèces de petits singes savants pour moi. Et la scratch music, ça me parle, mais ce que je reproche aux albums de DJ c'est d'avoir l'impression d'écouter sur disque ce que tu entends aux championnats. Pour moi, la scratch music c'est créer de la musique à partir des platines. Il y a certains tracks de Q-Bert qui me plaisent mais pas tout. Tandis que ce que font les Birdy Nam Nam, c'est un produit artistique léché et ça me parle en tant que mélomane.



HHC : Qui sont les DJs qui t'influencent ?



D : Tout le monde est DJ aujourd'hui, tu n'as plus de points de repère ! Moi je crois que Q-Bert a marqué toute son époque et même encore maintenant avec son pote Mixmaster Mike. Cut Chemist, c'est vraiment un tueur. Ses sets sur 45 tours, ça calme tout de suite. Le mec a un niveau, et une oreille... La liste est longue, il y a tellement de styles de DJs. Je focalise aussi sur les DJs qui produisent comme Spinna. Je suis une sorte de groupie de Spinna !



HHC : Comment est née la compilation ?



D : C'est une suite logique des mixtapes. Si ce n'est qu'à l'époque où je faisais ces mixtapes, personne ne s'intéressait à l'univers dans lequel j'étais. J'avais parfois l'impression d'être seul au monde. Bien sûr, il y avait les proches et tous ceux qui avaient vécu le début des nineties avec les Pete Rockeries etc. D'un autre coté j'avais de plus en plus de maxis, donc il y avait quand même des artistes, donc j'étais moins seul. Mes tapes se vendaient mais aucune maison de disque n'aurait prit le risque il y a quelques années de sortir une compilation comme ça. Mais, même aujourd'hui, si Cut n'avait pas pris le risque de pousser au cul Universal, c'est pas sur que ce serait sorti.



HHC : Quelle est la différence avec les mixtapes ?



D : C'est la suite logique des tapes avec trois tracks inédits de Jazz Liberators que je forme avec Mahdi et Dusty, et un remix d'Asheru et Blue Black. Au niveau du son, c'est plus bossé. Le sous-titre de la compilation c'est "Independent Addict Vol. 5". C'est la même chose que les tapes en mieux !



HHC : Les services juridiques de Universal ont eu du mal à obtenir les droits des morceaux ?



D : Ahah ! Non, tout s'est passé intra-muros chez Double H. On leur a livré clef en main la compilation, le concept, la pochette... J'avais fait une liste de titres que je voulais que j'ai donné longtemps en avance, sachant que plus on a de temps mieux c'est. Et comme c'est de l'indé, c'est relativement simple. Le seul track qu'on n'ait pas eu c'est Jurassic 5 'Freedom' qui dépend de Universal Monde. Ils doivent avoir des dossiers jusqu'au plafond et ma demande est au bas de la pile ! Les indépendants sont plutôt contents d'être sur une compilation qui est distribuée plus largement que leurs maxis le sont habituellement. C'est assez simple à obtenir. Mais le mauvais coté, c'est qu'il faut leur courir après parce qu'ils font tout eux-mêmes. Les mecs sont à la fois sur scène, derrière la scène, aux machines et au bureau ! J'avais quelques titres dans la manche en plus, au cas où, mais comme on a pris le truc en amont, il n'y a pas eu trop de surprises. Et puis, bibi à bien bossé !



HHC : Comment se sont passées les collaborations avec les artistes étrangers ?



D : Ca se fait toujours un peu à l'arrache, quand les artistes passent pour un concert, par le biais de gens comme 90BPM, SLurg, Hip Hop Resistance. C'est surtout par rapport à leur passage et nos envies. On n'a pas envie de collaborer avec tous les groupes qui passent en France, mais on n'a pas les budgets (pour le moment) pour les faire venir spécifiquement.



HHC : Qui sont les Jazz Liberatorz plus précisément ?



D : Un concepteur de son Mahdi, un DJ Dusty et moi même. On se connaissait depuis un petit bout de temps et on a décidé il y a trois ans d'unir nos forces. Eux bossaient déjà ensemble sous le nom de Ben & Dusty. On a les mêmes ambitions, les mêmes goûts musicaux et chacun apporte son background. J'ai toujours été le mec du boulot en équipe. C'est plus convivial, même si, à un moment, j'ai besoin d'être seul pour peaufiner les choses parce que je suis un peu le maniaque du groupe. A trois cerveaux, tu réfléchis mieux qu'à un seul.



HHC : Tu as fait partie de 8 April Team, Double H et maintenant Jazzlib… Tu es un homme d'équipe, ou tu manques de confiance pour faire les choses seul ?



D : Maintenant, non. Peut-être quand j'étais plus jeune, c'était ça. J'ai toujours eu l'esprit famille, j'ai besoin de monde autour de moi. J'ai quand même eu de longues périodes solo, quand je bossais en club. J'ai fait des émissions de radio seul. J'ai pas de problème à ce niveau là, mais j'ai besoin d'émulation. Mais chacun a le droit de faire ses trucs de son coté, on n'est pas liés contractuellement.



HHC : Concrètement, comment se répartissent les rôles dans la création d'un instru ?



D : Ca dépend, c'est différent à chaque fois. Des fois, Mahdi va arriver avec une idée de boucle. Il va la proposer, on va la découper et ça va stagner dans les machines et on laisse tomber. Un soir je vais être chez moi, je vais la réécouter, la découper différemment, je trouve une tournure sympa, je fais écouter à Dusty le lendemain et il tape un beat. Ca paraît compliqué mais, pour nous, c'est naturel Mais on fait aussi des morceaux un peu en solo qu'on sort sous le nom Jazz Lib.



HHC : Il y a des instruments live sur tous vos maxis, comment ça se passe ?



D : Là, c'est une série de 3 maxis avec une face avec un rappeur invité, où tout est fait aux machines. Moi, j'ai toujours aimé les musiciens et j'estime qu'il faut leur donner leur place. Alors, sur chaque maxi, il y a en face B un featuring d'un musicien. Sur le premier, c'était un flûtiste Rico ; sur le nouveau c'est un clavier et sur le dernier on ne sait pas encore tout à fait. Sur le premier, l'idée était de faire un thème sur lequel il peut se coucher. On avait ouvert le sample et on le refermait (filtré/non filtré), on faisait un peu apparaître le sample de temps en temps, et c'était à lui de s'inspirer de la mélodie et de l'air pour donner libre cours à son imagination. Au final, il est autant compositeur que nous.



HHC : Tu es aux platines de "Bum Rush" tous les mardi soirs sur Skyrock. Que penses-tu de Skyrock ?



D : Moi, j'écoute pas du tout la radio, à part TSF et Nova. Skyrock ne vise pas des gens comme moi. Le cœur de cible, c'est pas des mecs de 35 ans, donc ça ne me parle pas. Quand Cut m'a proposé de faire cette émission, j'étais réticent. Mais étant donné le réseau de diffusion, ce serait dommage de ne pas en faire profiter les gens. Parce que je ne fais pas ça pour moi, c'est pas vraiment lucratif. Je me sers de leur réseau pour promulguer ma vision du hip hop. Après, ma position est celle d'un mec de 35 ans face à une radio pour les mômes de 15 ans. Ils font ce qu'ils ont à faire, je ne suis pas Don Quichotte. Il y a d'autres problèmes dans le monde.



HHC : C'est pas frustrant de faire une émission entre 2 et 6 h du matin ?



D : Je suis un peu le Macha Béranger du hip hop. D'un commun accord, c'est rarement moi qui commence l'émission. Parce qu'il faut des trucs qui pètent derrière Difool. Mais je sais que les gens qui veulent écouter mes sets les enregistrent. Je suis le DJ le plus écouté en différé.



HHC : Est-ce que tu pourrais imaginer faire une compilation de rap français ?



D : Si j'arrive à trouver 10 noms de rappeurs français avec qui j'aimerai travailler, c'est le bout du monde. Et il y en a avec qui j'ai déjà travaillé donc ça ferait un peu réchauffé. Ma culture hip hop n'est pas rap français. Quand j'ai commencé à écouter du rap, il n'y avait pas de rap français. Il a fallu attendre la fin des années 80 pour que ça prenne un certain essor. Les débuts de NTM et de IAM, ça m'intéressait. Mais j'ai jamais eu de rappeur qui me raconte des choses qui viennent m'alpaguer. Ou alors il y a des trucs super lascar qui sont tellement sincères que ça te parle. Les premiers trucs de Booba par exemple. A priori c'est pas pour moi, mais ça m'a parlé. Sa nonchalance, sa façon de poser, l'énergie aussi parce que je suis DJ avant tout. Sinon, c'est des rappeurs comme les Svinkels ou Triptik. Je trouve que les rappeurs français sont ghettoïsés par rapport à la culture hip-hop. On a fait une famille de rap français qui n'avait pas la culture hip-hop à un moment.



HHC : Ta collection de disques ?



D : 2/3 hip hop et 1/3 rare groove. Rare groove, ça veut rien dire mais c'est jazz, soul, funk. J'ai jamais compris pourquoi les gens du hip hop dénigraient la house et réciproquement. Il y a eu une période, vers 86 où tout le monde était en adéquation. Et d'un seul coup, c'est parti en V, alors que moi j'ai plein de potes dans la house et j'ai toujours aimé ça. Dans la house aussi, il y a des intégristes. Le bon petit mec du garage qui habite à Bastille, il ne faut pas lui parler de hip-hop ! Les Masters At Work et consorts, leur premier métier, c'était de faire des breakbeats de hip-hop. Moi, j'ai toujours suivi cette scène là et la scène anglaise. Je pense que l'Angleterre est le premier vivier de musique électronique. J'ai toujours suivi l'acid jazz, les trucs de Mo'Wax. Je peux toujours jouer un truc de house classique ou pointu et après un titre hip-hop underground. Il y a quelques temps, tu faisais ça on te jetait de pierres.



HHC : Que penses tu de Final Scratch ?



D : J'ai vu une démo. Est-ce vraiment l'avenir du truc ? J'en sais rien. Après moi, collectionneur de vinyle, je sais pas trop quoi en penser. Si c'est l'avenir, c'est l'avenir, sans être fataliste. C'est trop frais pour avoir du recul. Je sais que les vinyles pèsent une tonne, etc. Si ça permet de se balader avec juste une petite mallette et jouer tout ce que tu as dans ta discothèque, tant mieux. Mais il ne faut pas non plus que ça crée une génération de DJs sans vinyles, ce serait malheureux. Il y a beaucoup de gens qui se retrouvent avec internet à avoir au bout de deux mois un background musical qu'ils ne méritent pas. La musique se mérite. Je suis le premier à télécharger des choses que je n'ai pas. Mais le jour où je trouve le vinyle, je l'achète ; ne serait-ce que par honnêteté vis à vis de l'artiste, mais aussi pour le bonheur de posséder le disque. Parce que je suis matérialiste, comme tous les DJs. Traîner des heures dans des boutiques pour trouver la perle rare, c'est pas comme allumer son ordi et l'avoir tout de suite. Le tout tout de suite, c'est pas vraiment bon. Il faut un peu en chier. Le mec qui a fait le morceau a dû en chier pour le faire. La musique se mérite. Sinon, pour Final Scratch, j'ai des disques qui sont des pièces uniques que je n'ose plus sortir en soirée. Si Final Scratch me permet de pouvoir les faire écouter aux gens, c'est chant-mé.



HHC : Tes 5 disques fétiches ?



D : Beatles - Get Back
MFSB - Love Is The Message
Pete Rock - All Souled Out
Roy Ayers en général
Le premier Roni Size



HHC : Tes 5 Mixtapes fétiches ?



D : DJ Premier - New York Reality Check
Q-Bert - Demolition Pumpkin Head Squeeze Music
DJ Spinbad - Rock The Casbah
DJ Fab - Underground Explorer
Slurg - I Used to Love Rap



Propos recueillis par Omar et Bachir
Photos de Sébastien Rabany
Mars 2004

P.S. : Le cd "Rotation Result" et les maxis des Jazz Liberators sont toujours diponibles chez tous les bons disquaires.

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