Billy Jam

Véritable mémoire de la old school californienne Billy Jam est ce que l'on appelle un boulimique : radio, presse, label, tout y passe. Acteur et spectateur de l'essor du turntablism durant les années 90 à San Francisco cet homme a côtoyé tout ceux qui ont fait la réputation de cette ville en terme de DJing. Sa passion reste entière, tout comme son engagement politique et son amour de la culture Hip-Hop. Entretien avec cet old timer qui n'en est pas un. English version

Hip-Hop Core: Comment es-tu arrivé dans le hip hop?



Billy Jam: J'ai grandi entouré d'un père DJ et d'un frère qui était non seulement un musicien mais aussi un gros collectionneur de vinyles. Donc depuis tout petit j'ai toujours écouté beaucoup de musique (de la musique traditionnelle Irlandaise à la country en passant par le rock et le reggae etc.) et j'ai pris l'habitude de toujours aller trouver des musiques différentes : glam rock, reggae roots, ska, funk, disco et punk. Alors quand j'ai découvert le hip-hop, j'ai tout de suite accroché. C'était en 1979 quand ma famille a quitté l'Irlande pour s'installer à New York. Ensuite j'ai continué à m'intéresser au hip hop et à suivre son évolution au cours des années avec de nouveaux disques et de nouveaux artistes. Mais le hip hop était loin d'être le seul style auquel je m'intéressais à l'époque et ce qui m'intéressait ce n'était pas tant le côté rap/MC, mais plus le coté novateur de la production, l'approche deconstructioniste et en particulier les collages de samples. C'étaient vraiment plus les producteurs que les rappeurs qui me fascinaient à l'époque.



HHC: Peux-tu nous parler de ton ancien fanzine. Pourquoi s'est-il arrêté ?



BJ: C'était au milieu des années 90, après avoir écrit pour beaucoup de magazines de hip hop comme The Source, Vibe, XXL, San Francisco Chronicle, etc. Mon magazine s'appelait "No Joke" (ensuite rebaptisé Strivin) et je le faisais avec un ex-membre de Hip Hop Slam qui s'appelle Doxx. Ce qui en faisait un fanzine unique, c'était qu'on ne traitait que du hip hop et du rap de la Bay Area. Et même si on n'en sortait que 500 exemplaires environ on avait un vrai poids et on aimait la controverse (par exemple quand j'avais écrit une lettre ouverte à la radio commerciale KMEL leur demandant solennellement de renoncer à utiliser le mot hip-hop pour décrire leur format... Résultat : ils m'ont banni de la radio, et ont menacé de bannir tous les artistes qui parlaient de moi.)



HHC: Ton site semble remplacer ce fanzine aujourd'hui?



BJ: Oui le site le remplace d'une certaine façon... le web est un bon moyen de toucher le plus grand nombre – bien plus qu'un fanzine imprimé à la main et photocopié à quelques centaines d'exemplaires.



HHC: D'ailleurs ton site ne traite pas seulement des USA. On a même vu un article sur TTC. C'est important pour toi cette dimension internationale?



BJ: Oui. Le Hip-hop n'est pas qu'Américain. Il l'a été mais il a vite dépassé les frontières. Pour moi des groupes comme TTC ou tous les autres groupes français que j'ai découverts grâce à Reiko Underwater ou Bachir sont beaucoup plus originaux et novateurs que la plupart des rappeurs Américains. Depuis des années, j'essaie d'en connaître un maximum sur les scènes hip-hop des différents pays que j'ai pu visiter, que ce soit la France, l'Irlande, l'Angleterre et l'Australie et j'ai pu constaté dans ces quatre pays que depuis la fin des années 80 leurs scènes sont passée d'un stade d'imitation à un stade d'innovation. J'ai honnêtement l'impression que ce n'est plus uniquement aux Etats Unis qu'on trouve le meilleur hip hop aujourd'hui.



HHC: Tu accordes aussi une place importante au graff ainsi qu'à la politique. Comment se fait le choix des sujets?



BJ: Dans la vie on ne peut pas se désintéresser de la politique, et à New York on ne peut pas, ou plutôt on ne pouvait pas éviter les graffiti, surtout à la fin des années 70 et au début des années 80 quand j'y habitais. A l'époque j'adorais voir ces oeuvres d'art réalisées illégalement dans l'espace publique. J'aimais même les tags. Alors quand, quelques années après, en 1984, j'ai commencé la radio (sur KALX à Berkeley), j'ai voulu parler du graff et donner mon point de vue par ce biais. En plus de mixer, je faisais des interviews et deux des premiers reportages que j'ai fait étaient sur le scratch et sur le graff. Pour celui sur le graffiti, je suis parti à la recherche du graffeur Chico dans tout le Lower East Side et je l'ai interrogé sur son art et sur ce qui le poussait à graffer.



HHC: Quel effet ça fait d'être gouverné par Schwarzy?



BJ: Surréaliste... Tragiquement surréaliste....ou plutôt génial! En plus de Dubya, il y aura maintenant encore plus de samples de discours incroyables que les DJ de Destruction Massive pourront utiliser!



HHC: Que penses-tu de la politique extérieure américaine en ce moment notamment en Irak?



BJ: C'est nul. Bush est un crétin. Mais un crétin qui a le pouvoir est le crétin le plus dangereux. J'ai grandi en Irlande, j'ai vu les dangers de l'impérialisme britannique sur l'Irlande Du Nord et j'ai vu qu'il faut des générations pour réparer les dommages causés par le meurtre de milliers de civils innocents par les forces militaires occupantes. Ainsi, l'impact négatif de la présence des forces de la coalition américaine en Irak va être ressenti terriblement par les générations futures pendant des décennies aux Etats Unis et aussi dans tout l'Occident. Ecoutez l'album "WAR" pour plus de détails sur mon point vu sur Bush et sur l'Irak.



HHC: Peux-tu nous parler de ton label quels sont les futurs projets?



BJ: L'album de Operation Ivy, une session qu'ils avaient fait pour mon émission en 1987. Aussi j'ai un nouveau projet qui s'appelle Skratch Pistols (DJ Pone, moi et d'autre gens comme Tim Armstrong de Rancid). Nous travaillons sur une version DVD de la compilation "WAR" ainsi qu'une collection des meilleurs freestyles que j'ai vu dans mes émissions de TV/radio de ces 20 dernières années. Et j'ai aussi des surprises.



HHC: Pourquoi avoir sortie un volume 3 en forme de Best of des "Turntables by the Bay"?



BJ: On n'a pas fait ça. Tu dois confondre la version CD de "Turntables by the Bay" avec la version VINYLE de "Turntables by the Bay Vol. 3" - ce sont deux choses différentes...mais on peut facilement les confondre.



HHC: Les pochettes de ces disques sont souvent réalisées par Doug One, que devient il, quels sont vos liens?



BJ: Des artistes incroyablement doués ont réalisé des visuels pour Hip Hop Slam : Dawgisht, Mars-1, Damion Silver, Andrew Kushin, Ryan Tanner et bien sur Dug-One (alias Doug Cunningham). Il y a un peu plus d'un an, Doug a déménagé à New York City où il travaille sur plein de projets. Il travaille toujours avec Q-Bert, avec Thud Rumble et avec moi... Il devrait faire les illustrations pour le livre que j'écris sur Q-Bert. Je crois aussi qu'il travaille sur une version dessin animé du livre pour enfants "Turntable Timmy".



HHC: Chaque compilation sortie sur ton label dispose d'un livret détaillé sur chaque artiste avec une bio, un mail, etc. Tu veux rapprocher les DJ's de leur auditeurs?



BJ: Oui. Je crois qu'on n'en sait jamais assez sur un artiste. En tant que fan de musique c'est ce que je regarde en premier quand j'achète un disque ou un CD et en tant que journaliste c'est aussi un réflexe que j'ai. Et puis quand quelqu'un est prêt à dépenser de l'argent pour un CD, on doit lui donner le maximum pour son argent.



HHC: Tu viens de la Bay Area qui représente un certain eldorado pour les dj's. Est-ce que la scène turntablist est toujours aussi intense?



BJ: Si on considère le nombre de jeune DJs qui se lancent chaque année, oui c'est toujours aussi intense. Par contre si on parle de l'intérêt réel que le genre suscite, on est dans une période morne. Je parle de la Bay Area, parce que je remarque qu'en dehors des USA, dans des pays comme l'Angleterre et la France, il y a une résurgence de nouveaux DJs talentueux et une vraie hausse du niveau.



HHC: Dans toutes les périodes que tu as connues qu'elle est ta préférée et pourquoi?



BJ: Je dois avouer que ma période préférée était la période allant du milieu à la fin des années 90. Vers 1984 aussi, c'était une période excitante. Mais aussi maintenant, en 2004, je vois apparaître ce qui deviendra sûrement un nouveau sous genre : les DJ's scratcheurs digitaux.



HHC: Es-tu dans le même état d'esprit que certains old timers qui pensent que c'etait mieux avant ?



BJ: Hey, ne m'appelle pas "Old Timer" :) et, non, je ne pense pas comme ça. Il y a encore de la bonne musique aujourd'hui et il y aura toujours de la bonne musique.



HHC: Qu'en est-il de la bio de Q-Bert? Comment travailles-tu dessus, as-tu des consignes? Que penses-tu de sa carrière actuelle (Vestax tour….) et de ses détracteurs qui ne voient en lui qu'un très bon businessman.



BJ: Je suis en train de terminer la bio de Q-Bert en ce moment et je peux te dire que de ce que je peux voir il est vu et respecté comme étant un des plus grands DJ's. Quant à le considérer comme un "businessman", ça ne peut-être que l'image négative qu'une minorité jalouse veut donner de lui parce qu'il est plus facile de chercher la faute chez les autres au lieu de travailler ses skills. Ca les aide à masquer temporairement leurs propres insécurités en tant que DJ.



HHC: Tu as contribué au désormais légendaire "Ego Trip's Book of Rap Lists" comment c'est fait le lien, et peux tu nous parler de ta liste?



BJ: Ma liste couvre les débuts du hip-hop west coast des années 80. Les gens de l'équipe d'Ego Trip me connaissent personnellement depuis longtemps, ils savent que je suis un des premiers journalistes hip-hop sur la côte ouest (j'ai commencé à écrire sur la scène de la Bay Area dans The Source en 87/88, et jusqu'en 92), et que j'avais fait de longues recherches sur le sujet quand j'ai rédigé les notes de pochettes de la série de compilations West Coast Rap.



HHC: Tu apparais dans le doc "Scratch" de Doug Pray, comment juges-tu ce projet avec le recul en sachant que ce doc a fait l'objet de critiques de la part de nombreux dj's (D-Styles, Jazzy Jeff...)?



BJ: Je ne savais pas que D-Styles avait critiqué "Scratch". Je sais qu'il n'était pas dans le film, ce qui est dommage car il est l'un des meilleurs DJ's et des plus originaux aujourd'hui (son groupe Gunkhole est fantastique !). Mais à ceux qui critique, je dis : allez-y, faites votre propre film ou fermez la !! J'adore le film, mais je dois reconnaître que je suis juge et partie puisque j'étais impliqué dans la pré-production, j'ai aidé le réalisateur Doug dans ses recherches et j'ai organisé beaucoup d'interviews. En fait c'est aussi moi qui lui ai trouvé le titre (Scratch) et conseillé de laisser tomber le titre provisoire (Vinyl). Dans vingt ans, ce film, et surtout sa version DVD, seront aussi importants et influents que l'est "Wild Style" aujourd'hui.



HHC: Est ce que tu suis et apprécies cette nouvelle école dite de la "scratch music"?



BJ: Bien sûr!! Il n'y a qu'à lire ce que j'écris sur hiphopslam.com pour s'en rendre compte, ou écouter les disques qui sortent sur mon label Hip Hop Slam... Tout ça, ce sont des choses que je fais pour l'amour de l'art.



HHC: Considères-tu le scratch comme de la musique? Cette scratch musique est-elle forcément Hip-Hop?



BJ: Oui oui oui. Bien sûr. En fait j'adore ça ! C'est pour ça que je sors plus de disques de scratch que n'importe quel autre label, même si j'y perds de l'argent - car ça ne se vend pas bien même si c'est incroyablement novateur. Malheureusement, la plupart des fans de musique préfère acheter des disques de rap qui - même quand ils sont bons - n'atteignent pas le niveau d'innovation de la plupart des albums de DJ/turntablists.



HHC: Que penses-tu du logiciel Final Scratch, et de la possibilité de scratcher et mixer des CD's?



BJ: J'adore les nouvelles technologies et je trouve ça stupide de les snober parce que c'est différent ou moins "organique". Souvenez-vous qu'avant c'étaient les platines qui étaient les nouvelles technologies et que certains artistes les snobaient en disant que le scratch n'était pas "vraiment de la musique". Les gens doivent ouvrir leurs oreilles et leurs esprits quand ils écoutent de la musique et qu'ils réfléchissent à comment elle est faite.



HHC: Parles nous de ton émission de Radio!



BJ: Pour le moment, je m'occupe du Sunday Morning Cultural Affairs show sur KALX 90.7FM à Berkeley, qui est une émission hip hop qui parle de divers sujets culturels, politiques et sociologiques. En ce moment, la guerre de merde en Irak est un des sujets les plus chauds.



HHC: Quels sont le premier et le dernier disque que tu aies acheté?



BJ: Premier : Temptations - "Cloud Nine 7"" (Motown). Dernier : Charizma & Peanut Butter Wolf - "Big Shots" (Stones Throw)



HHC: La dernière claque sonore?



BJ: Aujourd'hui... et à chaque fois que j'écoute une nouveauté. C'est à dire quasiment tous les jours.



HHC: Peux tu nous parler de ta collection? Un top 5 de tes LP's et mixtapes?



BJ: J'ai une grosse collection de disques, CD's, cassettes, MiniDiscs, et même d'autres formats... je les aime tous et j'aimerai avoir plus de temps pour écouter tout. Je n'ai pas vraiment de préférence, mais j'ai des périodes où j'écoute plus un artiste ou un style. Mais je dois dire que mes artistes préférés sont Too $hort et A Tribe Called Quest et que certaines de mes mixtapes favorites sont la première Q-Bert ("Demolition"...) et la dernière de DJ Jester.



HHC: Un message pour les lecteurs et lectrices d'Hiphopcore.net?



BJ: Pour les lecteurs d'Hiphopcore.net, je dirais : Merci d'avoir pris le temps de lire cette interview et j'espère que vous garderez toujours l'esprit ouvert pour les nouvelles musiques quel que soit le genre, parce qu'il y a des bonnes choses partout...
Sinon, dédicace à Bachir Krewner (de www.hiphopcore.net et www.welove.online.fr) pour toujours nous parler du hip-hop underground français et particulièrement des DJ's, à Gloria (aka Reiko Underwater) de www.tsunami-addiction.com pour nous avoir brancher sur des artistes français étranges et cool qu'on adore et à DJ Pone (le français) pour toutes les confusions entre toi et le DJ Pone américain… On t'invite à une battle DJ Pone vs. DJ Pone. (pour de vrai:). Sinon, big up à tous les graffiti artists, emcees, breakers et DJ's de France. Peace.



Propos recueillis par Bachir
Et traduits par Slurg
Mars 2004

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