Humble maestro d'un turntablism ingénieux et décomplexé, Kid Koala a maintenant plus de 10 ans de carrière discographique en recherche à travers des sonorités rock, jazz ou hybride. C'est aussi lui qui dessine les pochettes de ses propres disques, autant dire un b-boy créatif et prolixe à la sensibilité musicale en mouvement. Retour sur l'ensemble de son parcours et quelques mots sur ses nouveaux et futurs projets. English version
Hip-Hop Core: Pour commencer, peux-tu te présenter?
Kid Koala: Bonjour, on m'appelle Kid Koala. Je viens de Montréal, Canada.
HHC: Quand as-tu commencé à scratcher et pourquoi?
KK: J'ai commencé en 1988, j'avais douze ans à l'époque et c'était juste un de ces trucs, tu sais, quand tu as cet âge-là tu es toujours en quête d'un médium à travers lequel tu puisses t'exprimer. Pour certains c'est le skateboard, pour d'autres c'est le graffiti, pour d'autres encore c'est le sport. Pour moi c'était le scratch.
HHC: Et comment as-tu découvert cette forme d'expression?
KK: La première fois que je l'ai découvert, à mon souvenir, c'est juste en l'entendant dans des morceaux, j'étais à Vancouver donc j'étais à la campagne en quelque sorte, je ne connaissais pas de DJ's plus vieux, j'étais trop jeune pour aller dans les boîtes ou aller voir des sets, donc tout ce que j'ai appris je l'ai appris en écoutant des albums et en essayant de comprendre quels étaient les mécanismes derrière ces sons ; du coup j'expérimentais beaucoup et j'étudiais beaucoup aussi. En gros c'est ça. Mais avant ça, musicalement, j'ai commencé à jouer du piano lorsque j'avais quatre ans, donc ma formation musicale était plutôt classique. Ce que j'aimais dans les platines c'est que je trouvais ça beaucoup plus expressif, alors que ma formation classique était très stricte et très ciblée sur comment jouer d'une certaine façon, la façon dont les morceaux ont été joués depuis des centaines d'années, c'est très astreignant, et tout ce que je jouais était en vue d'un concours de piano ou un examen. De fait, cette approche a tué la magie de la musique pour moi. Alors que le scratch, à l'inverse, il n'y avait pas vraiment d'avenir là-dedans, tu le faisais parce que tu aimais ça, tous les gens qui le faisaient étaient tombés amoureux de cette forme d'art, et c'est ce qui m'a vraiment attiré vers cette scène musicale. Ça semblait être une philosophie, une forme d'expression jeune, et le thème central était toujours "fais quelque chose d'original, ne te préoccupe pas de ce que tu as pu entendre jusque là, en début de soirée ou ailleurs, quand c'est à ton tour de te mettre derrière les platines il faut que tu y mettes de ta personnalité". Donc ça me paraissait très expressif.
HHC: Quels sont tes premiers souvenirs liés à la musique hip-hop? Y-a-t-il un DJ qui t'a fortement influencé à l'époque?
KK: A l'époque… On parle de la période à laquelle j'ai commencé, à savoir la fin des années quatre-vingts, donc Public Enemy, les productions du Bomb Squad forcément, Daddy Rich, Jazzy Jeff, Mr Mix de 2 Live Crew. Mais ça c'était l'époque à laquelle j'ai découvert le scratch, et puis une fois que je suis tombé amoureux de cette forme d'art j'ai tout suivi, ce qui sortait comme ce qui avait précédé, et j'ai ainsi découvert Flash et les premiers disques, je me suis vraiment plongé dedans et j'ai beaucoup étudié. Tu reprends vraiment un statut d'élève. Donc pour moi mes premières influences remontent à l'année où j'ai commencé, en 1988. Et puis avant ça, je n'avais pas d'argent pour acheter de la musique, c'était pas comme maintenant où il te suffit de cliquer sur un bouton pour écouter des morceaux, il fallait que je livre des journaux et que j'économise pour acheter un maxi par semaine. Je me souviens, j'allais au magasin de disques tous les mardis et là, je tombais sur un disque de Public Enemy par exemple, et ça c'était avant même que tu puisses faire une pré-écoute, le disque était scellé alors je me disais "Ok, je vais tester" et heureusement pour moi, il y avait beaucoup de disques qui m'inspiraient à cette époque. Le travail de Prince Paul et Stetsasonic, De La Soul, tout ça était totalement moderne.
HHC: L'époque à laquelle tu as découvert le hip-hop correspond à une période très expérimentale. Tu parlais de Prince Paul, la façon dont il utilisait les samples peut sonner parfois comme ce que toi ou d'autres DJ's tels Cut Chemist peuvent faire aujourd'hui.
KK: Carrément, je pense que Paul a été une source d'inspiration énorme pour beaucoup de gens parce qu'il a ouvert les bacs de disques en quelque sorte, il a révélé tout le matériel à exploiter, il a dit "tu peux utiliser tout ce que tu veux, tout ce que tu trouves, du moment que lorsque tu formes un tout ce soit cohérent, alors fais le". J'ai beaucoup appris de cette leçon. Ça fait un peu partie de toute la gamme de possibilités propre aux instruments, en ce sens où, tu peux prendre n'importe quel morceau enregistré sur vinyl – et il y en a tellement que c'est déjà quelque chose de plus ou moins infini – et ensuite le multiplier par toutes les techniques et toutes les manières dont tu peux tordre le morceau pour en extraire de nouvelles mélodies, créer de nouvelles rythmiques. C'est un instrument aux possibilités exponentielles et c'est ce qui me plaît, et j'essaye vraiment de garder cet état d'esprit lorsque je cherche des sons ou lorsque je prépare un set.
HHC: L'exploiter au maximum?
KK: Je me fous de savoir d'où vient la musique du moment que ça vient du cœur, je me fous de savoir si c'est un gars qui joue avec des verres, quelqu'un qui chante du blues accompagné d'une guitare, un groupe de funk, de jazz, du gospel, une gigue irlandaise, un joueur d'accordéon, du moment que ça vient du cœur de la personne qui joue, ça me plaît. C'est ce que j'aime dans le scratch, je trouve que c'est un instrument très tactile, lorsque tu arrives à sentir l'aspect humain de la chose, c'est ce qui rend la chose intéressante à mes yeux. Je me souviens de la première fois que j'ai entendu du scratch, c'était… Je n'avais pas de notion de comment le mec faisait pour produire des sons pareils mais je percevais déjà qu'il avait appris à prendre une phrase et à bégayer chaque mot jusqu'à créer un nouveau rythme, mais pour faire cela il fallait maîtriser l'instrument, et ça m'intriguait.
HHC: A quel moment - et comment - as-tu su que ta passion pour le scratch était plus qu'un hobby? Quand t'es-tu rendu compte que tu allais vivre de ça, et comment est-ce que ça a affecté ta vie?
KK: Je pense que le moment où je me suis rendu compte que ça allait affecter ma vie a été la première fois que je m'y suis essayé. Ça représentait tant de possibilités pour moi. J'ai essayé, et ça m'a retourné le cerveau. Il s'agit de sons qu'on n'aurait même pas pu imaginer il y a un certain temps, tu apprends à faire plein de choses, les possibilités sont exponentielles. Pour ce qui est d'en faire mon métier, encore aujourd'hui je suis surpris quand les gens viennent me voir jouer, parce que quand j'ai commencé à la fin des années 80 les DJ's ne partaient pas en tournée, ne prenaient pas l'avion, ne sortaient pas leurs albums solo…
HHC: ...et ne travaillaient pas avec des groupes.
KK: Ouais, donc le fait que j'aie eu cette opportunité, j'en suis très reconnaissant. Je dirais que les choses se sont concrétisées pour moi lorsque Ninja Tune m'a signé en 1996, à l'époque j'enregistrais des cassettes et je faisais du scratch dans un groupe de musiciens live et on faisait des concerts, j'apprenais à jouer en live, je découvrais comment rattraper le coup si la cellule glisse et tout un tas d'autres choses encore avec mes platines, mais ça restait avant tout un hobby et une passion. Alors je pense que c'est devenu un plein temps à partir du moment où Ninja Tune m'a signé, ils m'ont envoyé en tournée et j'ai commencé à voyager et à rencontrer d'autres musiciens, à apprendre ce que c'était d'enregistrer en studio et à voir comment marchait l'industrie du disque.
HHC: Le fait de beaucoup voyager a-t-il influencé ta musique?
KK: Carrément, tu ne peux pas voyager et ne pas en être inspiré, il y a tant de différents endroits à voir qui peuvent enrichir ton son et ton oreille, et puis en même temps, où que tu ailles, ça se ressemble un peu aussi dans la mesure où les gens qui s'intéressent à la musique et qui viennent à tes concerts veulent tous se retrouver dans l'art. Et tous les gens sur scène tentent de communiquer quelque chose. Ces lignes, ces connexions sont pour moi l'essence même de ce que représente le deejaying, c'est comme si tu prenais deux sons qui ne se connaissent pas mais tu les assembles et ils créent une nouvelle relation et ça… C'est un peu comme une sorte de dating service un peu bizarre (rires), tu essayes de créer des couples et parfois ça marche, parfois non, mais quand ça marche, ça donne des combinaisons incroyables.
HHC: Tu as évoqué le fait que dans le milieu dans lequel tu as grandi le scratch n'était pas pris au sérieux, et que jusque là tu faisais de la musique parce qu'on t'y forçait, que tu n'y prenais pas de plaisir. Comment est perçue ta musique par ta famille et tes proches?
KK: Eh bien ces derniers temps mes parents viennent aux concerts et ma famille me soutient vraiment beaucoup. J'ai commencé ado, à un âge où on est tous un peu rebelles, on s'enferme dans sa chambre, on n'est pas sociable, on passe tout son temps à s'entraîner, mes parents trouvaient ça problématique, et puis ils se disaient que c'était une phase. Mais en réalité je cherchais juste une manière de m'exprimer, et je pense que quand mes parents s'en sont rendus compte, quand ils ont commencé à venir aux concerts et qu'ils se sont dit : "il ne fait de mal à personne, il essaye juste de créer une bonne ambiance, de créer quelque chose, de jouer et de partager la musique avec le public" ils se sont dit que c'était une bonne chose. Même si mes parents sont très traditionnels, mon père est docteur, enfin c'est un scientifique, ma mère est comptable, alors l'industrie musicale c'est quelque chose qu'ils ont du mal à comprendre, mais lorsqu'ils viennent aux concerts ils passent vraiment un bon moment. Bon, il faut comprendre que mes parents ne sortent pas, donc ils sont là "oh tu veilles tard, tu vas en boîte, on a entendu parler d'un incendie dans une boîte et des gens n'ont pas réussi à sortir et sont morts" et ma mère m'appelle pour me dire "regarde bien où se trouve la sortie de secours" et je lui réponds "maman, c'est pas comme ça la plupart du temps, tu devrais venir voir par toi-même", et c'est là qu'elle se rend compte, il s'agit de partager la musique, c'est le fait de partager cette expérience, unir les gens et partir sur une même vibration, alors je pense qu'elle a compris maintenant.
HHC: Tu as travaillé avec Dan The Automator. Peux-tu nous en parler?
KK: C'est également en 96 que j'ai rencontré Dan à New-York, et on s'est tout de suite bien entendus. Je pense qu'on partage une même sensibilité musicale.
HHC: Des ambiances très prononcées, c'est très produit mais il y a de la finesse.
KK: Nous parlons le même langage musical. Alors quand il me demande certains passages, il va me dire "là il faut qu'il se passe quelque chose" et je vais dire "ah, j'ai une idée" et parfois il va être plus précis, "je pense que ça devrait devenir un peu plus aérien ici, suite à quoi il faudrait un break mélancolique", et je lui réponds "j'ai le morceau parfait pour ça", et je l'intègre et on expérimente, on travaille vraiment bien ensemble. Les projets que l'on fait se font vraiment par amour de l'art et de la musique.
La première fois qu'on a travaillé ensemble c'était pour Handsome Boy Modeling School, j'ai juste scratché sur quelques morceaux, puis j'ai bossé sur le Deltron 3030 et j'ai scratché sur tous les morceaux, et puis j'ai fait Lovage avec Mike Patton, Dan et Jennifer Charles où j'ai également scratché sur tous les morceaux. On a aussi fait plusieurs tournées ensemble et ça a vraiment été une expérience incroyable. Actuellement on fait pas mal de suites à tous les projets que je viens d'évoquer, et puis on a aussi bossé ensemble sur Gorillaz.
HHC: Quelle a été ta contribution à la musique de Gorillaz?
KK: On me demande juste de faire les platines donc je n'écris pas les chansons, j'arrive une fois que c'est fait et j'essaye d'y apporter quelque chose. Pour moi mon rôle dans Gorillaz est beaucoup moins important que dans les projets de Deltron ou Lovage. Pour ces projets là, Dan et moi étions dessus dès le début, à se passer des trucs, je lui mettais quelques morceaux et il tentait d'y ajouter des choses, puis me les re-balançait, et puis on le filait à Del ou à Mike. Là par exemple, je viens de finir les platines sur le nouveau Deltron, et tous les beats sont finis aussi, quant à Del la dernière fois qu'on en a parlé, il en était à la chanson sept.
HHC: Oui, il a un nouvel album qui est sorti donc j'imagine qu'il travaille aussi sur la promo en même temps…
KK: Ouais. Mais le truc avec Del c'est qu'une fois qu'il se met dedans, il enchaîne l'écriture. Une fois qu'il est focalisé là-dessus, il est parti.
HHC: Ça a l'air d'être un sacré personnage, un peu étrange même.
KK: Il a un esprit très créatif, C'est clair. Avec les projets Deltron, les trucs que j'ai pu entendre sont vraiment incroyables, je pense même que le nouveau Deltron est bien meilleur que le précédent. Et puis il y a aussi un nouvel album de Lovage, j'ai déjà commencé à scratcher dessus mais on attend que Mike et Jennifer apportent des textes pour que je puisse m'inspirer de ça aussi, après il suffira d'ajouter des couches et à mixer le tout et on sera bons.
HHC: Qu'écoutes-tu en ce moment? Y-a-t-il des choses sorties récemment qui t'ont plu, ou écoutes-tu plutôt des vieilleries?
KK: J'écoute de tout en fait, un album qui m'a vraiment fait halluciner en termes d'arrangements et de performance est "Lady In Satin" de Billie Holiday, un de ses tout derniers enregistrements. Beaucoup de gens n'aiment pas ce disque, trouvent que sa voix y est trop abimée. Mais je trouve justement que c'est encore plus puissant, parce qu'elle doit presque forcer… Quoi qu'il en soit elle a une voix superbe, mais après tant d'années de souffrance, je pense que pour certaines personnes ce disque ne fait pas partie de la musique de Billie Holiday, alors que pour moi je trouve sa performance dessus incroyable. J'aime aussi "In Rainbows", le nouvel album de Radiohead, forcément, c'est très très brillant. Pour ce qui est du hip-hop, Eyedea & Abilities, les beats qu'utilise Abilities, je les trouve incroyables. Je crois qu'ils sont de Minneapolis. On m'envoie des albums parfois et là j'ai tout de suite voulu savoir qui c'était.
HHC: Quels sont tes projets?
KK: Mon prochain projet est une bande dessinée, ça parle d'un moustique qui joue du jazz à la clarinette dans une grande ville, ça fait environ trois cents pages et ce sont des photos de maquettes, de modèles miniatures et de figurines. On travaille sur le bouquin actuellement et je suis également en train d'enregistrer la bande originale donc ça c'est mon gros projet en ce moment. J'ai aussi un projet rock, une sorte de mélange de platines et de Black Sabbath. J'ai testé pas mal de choses qui sont en fait issues de ce projet dans mon set de ce soir (cf. festival Garorock à Marmande dans le Lot-et-Garonne), ça s'appelle The Slew, le groupe est composé de moi et de Dylan Frombach qui vient de Seattle. Ca fait quelques années qu'on bosse sur ce projet mais on entre en phase de mixage en avril avec Mario Caldato, Mario C des Beastie Boys, on veut que le son en jette, je pense que Mario comprend à la fois l'aspect rock du projet mais aussi l'aspect hip-hop, le son que ça doit donner, donc je suis très enthousiaste avec ce projet, ça devrait sortir sur Ninja Tune j'espère l'année prochaine. Donc il y a ça, The Slew, Deltron, le nouveau Lovage, le bouquin, et lorsque ce dernier sera prêt je vais faire une tournée spéciale, sans piste de danse, ça va juste se passer dans des jazz clubs et dans des cabarets, avec un quartet, une double basse, un piano, quatre platines, ça fera office de lancement du livre et ça permettra de présenter l'histoire, les personnages, la bande son… J'ai juste envie de tenter de nouvelles choses.
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