DJ Scientist

DJ et producteur allemand, fondateur du label berlinois Equinox Records, DJ Scientist est un personnage influent du hip-hop underground de l'autre côté du Rhin. Actif aux platines depuis le milieu des années 90, il est aujourd'hui l'une des figures de proue d'un renouveau hip-hop allemand qui abolit les frontières des genres et ne se fait pas prier pour explorer les musiques à la marge ; les breakbeats solidement ancrés dans une culture à laquelle il contribue activement depuis de nombreuses années. Il nous a accordé un peu de son temps pour parler de lui, de son label et de la musique qui l'entoure en général. English version



Hip-Hop Core: Peux-tu te présenter pour ceux qui ne te connaissent pas? D'où viens-tu et qu'est-ce qui t'a amené au hip-hop?



DJ Scientist: Je m'appelle DJ Scientist. A la base, je suis de Munich. En 2005, j'ai déménagé à Berlin. J'ai commencé à toucher aux platines comme DJ/turntablist hip-hop en 1995 et j'ai fait mes premiers beats vers 2001. En 2002, j'ai créé les labels Audiac et Equinox Records. Par ailleurs, je suis l'une des principales personnes investies dans le magazine hip-hop/electro allemand DEAD Magazine. Je travaille sur d'autres projets aussi en parallèle (pour le site RapHistory.net et les soirées associées par exemple).

Je ne sais plus trop quand je me suis vraiment intéressé au hip-hop... mais c'est vers la fin des années 80 que j'ai copié mes premières cassettes de rap. Il y avait du Run DMC, 2 Live Crew, Eric B. & Rakim et Tone Loc. Je n'avais que des K7 à l'époque. Le premier CD de rap que j'ai acheté, c'était le premier album des Fu-Schnickens en 1992. J'étais aussi dans le graffiti et le skateboard à l'époque... C'était l'époque où le skate passait d'une attitude punk / hardcore vers un style plus orienté vers le hip-hop.



HHC: Tu es donc DJ et collectionneur de disque? Quand as-tu débuté en tant que turntablist?



S: Comme je l'ai dit, avant que je commence à faire le DJ, j'étais déjà un vrai passionné de musique. J'empruntais beaucoup d'albums et de CD's à mes amis, mes voisins... que j'enregistrais ensuite sur K7. Quand j'ai commencé à toucher au DJing en 95, tout ce que je voulais c'était pouvoir mixer, "cuter" des disques et faire quelques mouvements techniques sur les platines (comme le "back spinning"). A cette époque, il y avait encore de mauvaises tables de mixage avec des crossfaders vraiment pourris ; le terme "turntablist" n'existait pas encore. Je crois que ma première table était une "Gemini Scratch Master" - mais c'était une blague comparée aux tables d'aujourd'hui. Vers la fin des 90's, il y a eu l'incroyable boom du turntablism avec des crews comme les Invisibl Skratch Piklz et les X-Men. Au même moment, Vestax sortait ses nouvelles tables qui ont changé le monde du DJing hip-hop et j'étais moi-même membre de différents crews de DJ's/turntablists.

Mon habitude de collectionneur de disques est né via ce rôle de DJ. A cette époque, tu ne pouvais mixer que si tu avais le disque en vinyle, il n'y avait ni Serato, ni Final Scratch. Au début, j'achetais les disques juste pour pouvoir les faire tourner sur la platine. Plus tard, quand j'ai commencé à produire, j'avais aussi besoin de samples. C'est là que j'ai commencé à rechercher des disques vieux et peu connus, qui n'avaient pas encore été samplés.



HHC: DJ et label manager représentent un travail à plein temps pour toi?



S: Oui.



HHC: Quand et comment as-tu décidé de créer Equinox Records? Quelle était l'idée derrière la création du label?



S: Je ne pourrais pas dire exactement quand j'ai décidé de créer un label. C'était un processus logique après tout ce que j'avais déjà fait. J'ai toujours aimé la musique. Puis j'ai commencé à faire le DJ. Au fil des années, j'ai rencontré beaucoup de gens qui étaient aussi DJ's, qui faisaient des soirées et certains sortaient déjà des disques. Je me suis ensuite mis à produire, au même moment que pas mal d'amis. Quand Internet a commencé à devenir plus important, c'était plus simple de rentrer en contact avec des gens d'autres villes ou d'autres pays qui étaient attirés par les mêmes choses que moi. A un moment, j'ai senti qu'il y avait tout un potentiel et une créativité qui ne demandait plus qu'à être rassemblé autour d'un projet commun.





HHC: Pourquoi as-tu décidé de créer un sous-label, Audiac?



S: A la base, Equinox Records est un label concentré davantage sur les musiques électroniques en général. Audiac est un label orienté purement hip-hop, beats et turntablism.



HHC: Equinox regroupe différents styles musicaux avec un lien commun : l'utilisation de breakbeats. Existe-t-il une ligne musicale que tu essaies de suivre pour les sorties du label?



S: L'idée originelle que j'avais concernant le "son" du label était représentée par le terme "musique organique/électronique". Au début, je pensais aussi à monter un label qui se concentrerait complètement sur les musiques créées à partir de samples et de breakbeats. Mais dés le début, il y a eu des artistes qui ne travaillaient pas du tout de cette manière. Arcsin, par exemple, un très bon producteur new-yorkais (qui vit maintenant en Californie), crée une musique électronique et utilise très rarement des samples ou de vieux breaks de batterie. Néanmoins, même si certaines musiques sur Equinox ne sonnent pas vraiment comme du hip-hop, la plupart de nos artistes viennent directement de la sphère hip-hop. Je dirais que le lien entre toutes ces musiques est ce background hip-hop. Mais ça n'est pas non plus le cas pour tout le monde sur le label. Je veux juste pouvoir sortir de la musique de qualité qui compte, pour moi, et que je voudrais acheter si j'étais dans la position du consommateur.



HHC: Quelles étaient tes influences quand tu as commencé tes deux labels? Existe-t-il des structures qui peuvent être montrées en exemples par rapport à ce que tu fais?



S: J'ai eu des influences assez diverses. Je crois que la principale en ce qui concerne Equinox, c'était les labels créés et/ou gérés par des DJ's ou qui avaient un lien avec la culture DJ. D'un côté, il y avait les principaux labels electronica, breakbeats, ce qu'on appelait "trip-hop" du début jusqu'au milieu des années 90 : Ninja Tune, Mo'Wax et quelques autres. Ceux-là ont été assez influents pour moi.

Et puis il y avait le vinyle et la culture DJ en général. A l'époque, tu ne pouvais trouver les trucs bien que sur vinyle. Beaucoup de musiques terribles n'étaient pas disponibles en CD. Pour les DJ's, les vinyles étaient essentiels. J'ai toujours apprécié les labels qui présentaient un son particulier et qui défendaient une certaine qualité. En lisant le nom ou en voyant le logo, tu savais que tu pouvais acheter le disque sans même l'avoir écouté tellement tu avais confiance et tu aimais leur son. Equinox essaie de tendre vers ce type de son spécifique - plutôt que vers un genre.

J'ai aussi été vraiment influencé par le fait de collectionner certains types de disques, notamment des albums de rock psyché ou de krautrock. Au début des années 70, tu avais souvent des pochettes et des packagings magnifiques et très travaillés qui ont beaucoup influencé les artworks réalisés pour les sorties Equinox.





HHC: Tout le monde sait qu'il n'est pas du tout évident de créer sa propre structure indépendante avec les difficultés économiques et surtout les transformations du business de la musique actuellement. Tu travailles sur Equinox depuis plusieurs années maintenant. Quelle a été le principal enseignement que t'as apporté l'immersion dans ce business de la musique?



S: Hé bien, j'ai pas vraiment envie de me plaindre mais tout le monde sait qu'il ne s'agit pas simplement de musique quand tu cherches à vendre des disques. Les distributeurs, les boutiques, les magazines ne se fient qu'à la popularité d'un artiste au lieu de se fier à leur propre opinion concernant la musique elle-même. S'ils n'ont jamais entendu ton artiste ou le nom de ton label, ils ne t'écouteront probablement même pas, ils ne parleront pas de toi, ils ne feront pas passer un de tes titres en radio, etc... C'est comme un cercle vicieux. C'est très difficile pour les labels et les artistes indépendants d'être reconnus par le public.

Ce dont nous avons besoin, ce sont de nouveaux labels, de nouveaux distributeurs, de nouveaux magazines, de nouveaux artistes. Bien sûr, il y a déjà beaucoup de nouveaux labels et de nouveaux artistes. Et il y a énormément de nouveaux "médias" via Internet, comme les blogs, les webzines... mais ils ne sont pas assez importants – ils n'ont pas de réel pouvoir. Ce que je pense – et ce même sur le "marché" indépendant – c'est qu'il existe un système en place qui régit l'ensemble du marché de la musique. En Allemagne, par exemple, la plupart des plus gros magazines sont gérés par une seule et même entreprise. Mais les ventes de disques sont en chute libre et l'industrie est en train de passer de plus en plus à une distribution digitalisée avec moins de revenus pour les ventes, il n'y a pas beaucoup d'argent à investir. Les petits labels survivent difficilement. Donc s'il vous plaît, supportez les indépendants!



HHC: Combien de gens travaillent pour Equinox/Audiac? As-tu des employés? Comment est-ce organisé?



S: Il y a des gens qui travaillent pour Equinox concernant les relations presse, le booking... J'externalise des emplois comme la réalisation du nouveau site web et j'emploie un stagiaire de temps à autre. Il y a donc quelque personnes qui travaillent pour Equinox mais pas de véritables employé, non.



HHC: Qui s'occupe de la distribution des sorties Equinox/Audiac?



S: Nous sommes distribués par Kudos Records au Royaume-Uni et tout ce qui concerne le digital, c'est Finestunes.net qui s'en occupe (ce sont eux qui mettent nos sorties sur iTunes, etc...). En plus de ça, nous avons notre propre distribution et les deux plus importantes "mailorders" allemands HHV et Vinylkingz travaillent avec nous.





HHC: Il y a une majeure partie de producteurs et de rappeurs allemands dans le "roster". Nous sommes voisins mais, en France, on n'entend pas vraiment parler de ce qui se passe en Allemagne en terme de rap/hip-hop (je pense que c'est la même chose pour vous concernant la France). Peux-tu nous parler du rap/hip-hop allemand? Existe-t-il des scènes importantes dans les grosses villes comme Munich, Berlin...? Y-a-t-il des artistes qui sont considérés comme des pionniers pour le rap allemand des 80's ou des 90's?



S: Pour être honnête, je n'ai jamais vraiment écouté de hip-hop allemand. Je pense donc être la mauvaise personne pour répondre à cette question. Je pense que la plupart du rap allemand était vraiment nase comparé au rap/hip-hop en provenance des Etats-Unis.

Néanmoins, il y a eu un fort mouvement hip-hop en Allemagne dès le début des années 80, qui comprenait aussi le graffiti et le breakdance. Il y avait donc aussi de bons rappeurs. Je pense par exemple au groupe munichois Main Concept qui a été plutôt influent au début des 90's, avec un MC charismatique, un bon DJ et un bon producteur. Main Concept étaient l'un des rares groupes de rap allemand que moi et mes amis aimions vraiment à cette époque. Il y avait aussi d'autres artistes relativement connus et respectés comme Torch & Advanced Chemistry, DJ Mirko Machine, DJ Stylewarz et les Stieber Twins. Un peu plus tard, tu as eu des groupes comme Doppelkopf ou RAG qui ont été assez influents du milieu jusqu'à la fin des 90's, avec une approche lyricale plus abstraite.

A la fin des 90's, quand certains de mes amis et moi commencions à être plus impliqués dans l'enregistrement et la production, il y avait ce nouveau hip-hop indépendant qui se développait avec Company Flow, Army Of The Pharoahs, Rebel Alliance, Sir Menelik, Living Legends, Rubberroom, Shape Shifters, Aceyalone et le Project Blowed... mais aussi les artistes qui ont ensuite formé Anticon: Sole, Buck65, Dose One, Sage Francis, etc... Je crois que ce mouvement indépendant a influencé pas mal de rappeurs et de producteurs en Allemagne alors que la plupart des gens se sont tournés vers le "mainstream" ou sont restés bloqués sur les mêmes trucs et les mêmes formules. Pour ce que j'en sais, les pionniers d'une première vague de ce qu'on pourrait appeler "hip-hop expérimental" en Allemagne ont été des groupes comme Mnemotrauma, 88:Komaflash, Ground Zero (le crew de turntablists dans lequel j'étais), Misanthrop, Scheiterhaufen, Xndl & The Offbeat Turntable Mechanics, Deckard... et sûrement d'autres que je ne connais pas.

Parmi les premiers labels allemands à sortir du "abstract hip-hop" tu avais Subversiv, Oi Da Mo, Audiac, Quiet (de Suisse) mais aussi Project: Mooncircle. Il y avait une scène à Berlin aussi ; avec des trucs étranges comme Taktloss et des artistes comme Sichtbeton et Long Lost Relative par exemple.

Aujourd'hui, il y a une seconde vague avec des rappeurs et des groupes comme Audio88, HPA, Soda, Materpfahl, Cocon, et beaucoup de bons producteurs hip-hop électro et expérimental comme Playpad Circus, DJ B-Ju, Asup, Snatchatec, Smokey131, Karhu, Oslar Ohlson et Desad par exemple.



HHC: Au fil des années, tu es entré en contact avec quelques musiciens étrangers comme 2econd Class Citizen du Royaume-Uni ou Ceschi – dont le dernier 7" est sorti chez Equinox récemment. Peux-tu nous parler de ces rencontres?



S: Equinox s'est toujours concentré sur la promotion d'artistes internationaux. Je suis en contact avec des producteurs originaires des Etats-Unis, du Royaume-Uni, du Canada, mais aussi de France. J'ai entendu parler de 2econd Class Citizen via Myspace. J'avais été vraiment marqué par un de ses morceaux qui s'appelle 'Wishing Well' qui était sorti à cette époque sur son premier EP indé "Divided Reality". C'était exactement ce que je cherchais pour mon label. Son deuxième EP, "Wyred Folk" est donc ensuite sorti sur Equinox.

Pour Ceschi, je l'ai rencontré grâce à Noah23. Quand Noah et moi étions en tournée en 2005, il m'a donné une copie CD-R du premier album de Ceschi, "Fake Flowers". C'était un album enregistré à l'arrache mais j'ai tout de suite aimé son flow, sa voix et sa musique. Peu après la tournée, je suis entré en contact avec lui par e-mail et Myspace. Il a aimé mes beats et j'ai commencé à lui envoyer des instrus de temps en temps. Mais nous n'avions encore rien enregistré parce qu'il était occupé par d'autres projets (son groupe TOCA ou son deuxième album "They Hate Francisco False") et j'étais moi aussi très pris parce que je déménageais à Berlin à ce moment-là.

Courant 2007, je lui avais demandé s'il voulait partir en tournée avec Equinox, Noah23, 2second Class Citizen, DJ Snatchatec et moi. C'est comme ça qu'on s'est vraiment rencontrés et qu'on est devenus amis. Pendant son séjour à Berlin, il a écouté pas mal de mes beats dont certains qui l'ont vraiment inspiré au point de commencer immédiatement à écrire quelques paroles. Depuis, nous avons enregistré à peu prés 20 morceaux qui verront le jour sur le LP qui doit sortir sur Equinox début 2009. On y retrouvera quelques invités dont Myka 9, qui va sortir son prochain album sur le label Fake Four Inc de Ceschi (ndlr: "1969" produit par Factor), 2Mex, Awol One, Sole et quelques autres.





HHC: Si on jette un œil aux pochettes des sorties Equinox, on peut dire que les questions artistiques semblent très importantes pour toi. Qui est le dessinateur ou le designer?



S: Les artworks sont tous réalisés par Raincoatman. Et oui, ils sont très importants pour Equinox. Il y a un style unique et une méthode particulière selon laquelle ces artworks sont réalisés.



HHC: Il n'y a pas beaucoup de groupes de rap ou de rappeurs européens qui peuvent être considérés comme influents à l'échelle du continent mais, depuis plusieurs années, il y a énormément de producteurs qui sortent de partout et un certain nombre de scène qui mélangent hip-hop instrumental et sons électroniques (et parfois même des trucs plus dancefloor, je pense aux travaux du collectif LuckyMe par exemple) qui apparaissent ici et là. En tant que producteur et gérant d'un label, te considères-tu comme partie prenante de cette "évolution"?



S: Hé bien, je ne sais vraiment pas. Nous sommes probablement impliqués dans cette transformation, ou peut-être pas. Je pense que Equinox est encore trop petit pour vraiment atteindre les gens à une échelle plus importante. J'ai simplement toujours voulu promouvoir de la musique de qualité excitante, nouvelle, avec une légère référence à ce qui a été fait par le passé. Si notre musique influence d'autres personnes, c'est une bonne chose.



HHC: Quelle est ton ambition pour Equinox? Peux-tu nous parler des projets à venir? Vas-tu continuer à sortir des maxis et des 10" ou comptes-tu démarrer de nouvelles choses?



S: En 2009, on va se concentrer davantage sur des sorties d'albums plutôt que sur les singles. Le nouveau disque de 2econd Class Citizen s'appellera "Madrugada" et il est prévu qu'il voit le jour en coopération avec Project: Mooncircle. Il y a aussi l'album que je réalise avec Ceschi et je suis vraiment impatient de le sortir. Il y aura de nouvelles choses aussi, avec des sorties de Deckard ou Geste qui sont en cours de réalisation. En plus de ça, nous venons juste de créer un nouveau sous-label, Equinox.Digital, qui se concentrera exclusivement sur la promotion de musiques digitales qui ne seront pas pressées en vinyl. On a aussi une nouvelle tournée en mai prochain.

On va donc essayer de faire avancer les choses pour Equinox et de sortir de la musique excitante pour les auditeurs.



HHC: C'est maintenant ton moment, tu peux parler de ce que tu veux: un dernier mot?



S: Merci beaucoup pour l'interview. Merci à tout ceux qui ont lu ceci. J'espère que ça n'était pas trop ennuyeux, haha.



Interview réalisée par Newton
Janvier 2009

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