Lieu: Twenty One, Paris.
Date: Dimanche 9 décembre 2007.
Mauvais temps hier soir sur Paris. La pluie, le vent. Autant de raisons de ne laisser personne à la porte du Twenty One Sound Bar. D'autant que la soirée promettait d'être haute en couleurs avec, en tête d'affiche, deux personnages bien connus. Tassés dans tout ce que peut contenir l'unique salle exigüe du bar de la rue de la forge royale, les habitués du lieu avaient tôt fait de former un petit cercle du côté des quelques laptops et autres claviers déjà branchés pour l'occasion. Juste de quoi laisser la place aux performers de se dégourdir les jambes. Car il s'agissait bien d'une de ces soirées où la chaleur et l'enthousiasme étaient plus recherchés qu'un petit bol d'air à l'extérieur tant il ne fallait pas manquer une miette de ce que nous proposaient Laitdbac, le label de ces dames, et Submass, association organisatrice de concerts déjà co-responsable de la venue, entre autres, de Radioinactive et LA Jae (des Shapeshifters) l'été dernier.
Aux alentours de 20h. Avec un peu de retard sur l'horaire, un petite mise en bouche avec la performance au micro d'un MC floridien (Jester?) résident visiblement dans nos contrées et déjà aperçu pour d'autres concerts par ici. La performance est solide de bout en bout, d'un bon niveau, surtout compte tenu de l'absence de répétition avec le DJ local (d'où quelques passages désynchronisés mais vite effacés par la dextérité de ce premier rappeur surprise). De quoi dérider les nouveaux entrants qui tombent la veste, se dirigent vers le bar et commencent à se mettre dans l'ambiance.
Une ambiance qui allait être pleinement surchauffée par l'arrivée dans le demi-cercle de Icon The Mic King, emcee originaire de Philadelphie, multiple vainqueur de battles en tous genres et acharné notoire du micro. A ses côtés, Yarah Bravo, femcee miniature mais piquante du groupe One Self (aux côtés de Blu Rum 13 et DJ Vadim). Le duo est récidiviste, puisqu'il avait ouvert, trois jours auparavant, le concert de Jeru Tha Damaja au Batofar. Leur show rôdé et énergique offrit une introduction toute trouvée pour la suite des évènements. Un warm-up comme on en fait peu de la part d'artistes visiblement habitués à donner beaucoup. Alternant morceaux solos et prestations en duo, alors que le public parisien restait visiblement égal à lui-même et peinait à rentrer dans le jeu des deux rappeurs, c'est en fin de prestation que les quelques derniers récalcitrants pour donner de la voix allaient s'avouer définitivement conquis. Se bandant les yeux avec le tissu lui servant à recouvrir son abondante chevelure, Icon se préparait à un freestyle enflammé pendant que Yarah invectivait le public et lui demandait s'il souhaitait voir un exercice jamais vu. Saisissant toute une panoplie d'objets divers et variés prêtés par des membres de l'audience, Icon avait pour tâche de les reconnaître au toucher et de les incorporer dans ses propos inarrétables. Se sortant magistralement de cet exercice plutôt risqué, même s'il se montrait par moments décontenancé par l'incongruité de ce qui lui était fourni pour examen, Icon fut finalement applaudi à tout rompre pour chacune de ses bonnes réponses.
Un déferlement de cris et d'exclamations qui allait servir de rampe de lancement à la deuxième partie de soirée. Derrière le bar, dans le coin réservé aux machines, c'est un jeune homme un peu stressé qui prépare ses appareils pour un court show de 20 minutes : The Stalker, comme il se fait appeler ; un des membres de Parallax Records (obscure structure digitale ayant pour le moment pour seul fait d'arme de proposer une jeune femme aux attributs très avantageux en guise de visuel et quelques sons par-ci par-là sur divers profils MySpace). A la ville, il est rédacteur pour votre webzine préféré et fondu de cinéma ; une passion qui a son importance puisque retranscrite dans les quelques morceaux préparés et arrangés pour l'occasion. Des beats majoritairement sombres, habillés d'extraits sonores de films en tous genres, difficiles à reconnaître pour le non-initié. Le public est indulgent pour cette première prestation en public qui en appellera sûrement d'autres dans le futur. The Stalker est de toute façon comblé puisque la soirée lui aura permis de cotoyer de près Subtitle et Thavius Beck ; les deux Californiens ayant souhaité faire passer le jeune français avant leurs propres shows afin de lui assurer la présence d'un public fourni.
En plus d'être d'une gentillesse rare, Giovanni Marks est un performer hors pair. Non content d'enchaîner les concerts en France et aux alentours, toujours égal à lui-même, il donne tout ce qu'il a, sans mentir sur ce qu'il est. Ce dimanche soir fût sûrement, de l'avis de ceux qui ont eu la chance d'assister à ses prestations dans nos contrées, son meilleur set solo en France. Une quinzaine de beats prévus pour l'occasion, rien de plus. Si quelques-uns sont connus et provoquent des cris frénétiques dans certains coins du bar, la plupart des sons proposés sont pour notre plus grand plaisir d'obscures rythmiques aux BPM affolés. Pour décorer ces compositions hautement personnelles, Subtitle était venu avec peu de matériel : simplement sa mémoire, ses chorégraphies inimitables, son goût immodéré pour le show au milieu de la foule, son bavardage incessant et surtout son rap tout-terrain grâce auquel il lui fut possible de freestyler sans discontinuer durant une bonne partie des 50 minutes de son set. Une performance qui avait tôt fait de conquérir un public déjà tout acquis à sa cause. Massé à proximité du géant californien, le fan club réuni à proximité du comptoir ne se faisait pas prier pour lui demander d'en remettre une couche, tout en reprenant en choeur quelques couplets identitaires ('Young Dangerous Heart', 'Tell Her To Come Overrrr', 'People Talk About Us') et en s'abreuvant de freestyles servis sur tout et n'importe quoi.
Alors que Subtee décide de gâter son public en invitant son collègue Thavius pour quelques morceaux estampillés Lab Waste, une petite surprise de dernière minute non-prévue au programme va finir de mettre en ébullition la salle entière. Tez, un jeune homme blond maigrelet équipé de lunettes à épaisse monture noire et d'un tee shirt CocoRosie (groupe à la sonorité géniale avec lequel il collabore par ailleurs) entre dans le cercle et s'empare d'un des micros. Une démonstration de beat-boxing incroyable s'enclenche alors tandis que les deux californiens ont tôt fait de caler leurs flows sur ces rythmiques diaboliques pour une dizaine de minutes de pure folie (dont la version incroyable de '2 in 1' en ayant résulté).
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Dancefloors bounce like a basketball"
La salle exhulte, l'ambiance est à son paroxysme. C'est le meilleur moment pour lancer le set de Thavius ; ce dernier invitant l'ensemble du bar à venir danser et se donner sur les morceaux prévus pour l'occasion. Les BPM montent encore d'un cran, ne reste que la fureur et le bruit des productions de Thavius qui avait renoncé à rapper pour offrir une vision instrumentale de ce qu'un des meilleurs producteurs à l'heure actuelle est capable de faire. Dans le public, nombre de connaisseurs se préparent alors à se délecter de ces productions sombres (reconnaissables entre mille) aux effets multiples qui ont déjà offert un écrin de choix aux raps de NoCanDo ou de son compère Subtitle. Mais depuis peu, les deux membres de Lab Waste ont décidé de se tourner vers des morceaux plus dansants et ce set en est une preuve indiscutable. Si une démo d'une poignée de morceaux avait tourné confidentiellement avant d'être exposée au grand jour pendant la tournée, Thavius avait choisi hier soir de perdurer dans cette veine en n'offrant plus qu'un lien ténu avec son hip hop originel: une électro jouissive et nerveuse, flirtant avec les rythmiques technoïdes mais à l'identité clairement affirmée ; le producteur calant ici et là un ou deux morceaux plus connus des quelques afficionados qui n'en finissaient plus de se déhancher frénétiquement devant lui pendant que Giovanni Marks s'attelait derrière son clavier pour quelques apparitions sonores rappelant comme il se doit son propre travail de production sur ses albums solos.
C'est aux alentours de 23h30 que la soirée touche à sa fin. Prés de 3h30 de concert quasi ininterrompu, une ambiance survoltée qui tint notamment à l'étroitesse des lieux mais qui n'en fût pas moins des plus sincères. D'ailleurs, comment ne pas être enthousiaste ? Quand des artistes comme Subtitle ou Thavius Beck décident de donner tout ce qu'ils ont, rien n'est feint. Ils y vont à coeur joie, se faisant plaisir avant tout, que ce soit sur la scène du Nouveau Casino (quelques jours plus tôt) ou dans un lieu plus convivial au beau milieu de la foule. Dans ces conditions, se laisser emporter est simple : il suffit de suivre le fil de la voix inarrétable de Giovanni Marks ou celui des productions denses et profondes de Thavius Beck. Car non contents de proposer un second show en quinze jours sur la capitale, les deux musiciens ont pour principe d'offrir sans cesse de l'inconnu, de l'enthousiasmant et plus qu'il n'en faut d'énergie à revendre. Pas de doute, il fallait être au Twenty One ce dimanche soir.
Article de
Newton, le 10/12/07.
Photos de
Kreme.
Décembre 2007