Festival "Scènes d'été" du Parc de La Villette, Paris, dimanche 31 juillet 2005, 17 heures 30. Chapitre un : Psykick Lyrikah. Sur scène: Arm, Robert le Magnifique, Olivier Mellano, à la fois heureux et désolés d'être là. Heureux de se dire, certainement, qu'ils n'aspireraient pas à faire quoi que ce soit d'autre sur cette terre. Désolés, peut-être, de ne pas pouvoir établir plus de lien tangible avec ce public clairsemé et disparate, public de concerts gratuits, serti d'enfants et de quelques vieux ; désolés parce que c'est eux, plus que parce que c'est nous. De manière étrange, Arm harangue de son phrasé pur et de son peu de gestes une fosse qui restera invariablement vide pendant tout le set; seule une rasta violette et trois gamins évadés s'aventurant dans ses abords. 'La Sphère', 'Vois', 'Le Dernier Chapitre'. Les sombres et subtils morceaux s'égrènent pendant trois quarts d'heure à mesure que la fumée végétale s'étend – signe d'aise, malgré tout. Un temps Robert le Magnifique se fait teknoïde, Olivier Mellano hardeux, pendant qu'Arm demeure égal, écorché. A la fois grave et doux dans l'apostrophe. Digne. Ce mot n'a-t-il vraiment pas sa place ici ? Robert n'arrive pas, ne peut pas s'empêcher de reprendre dans son bouc les paroles du emcee rennais, premier fan naturel de leur belle musique. Le titre 'Ma ville' prend un tour spécial en plein cœur de La Villette, au centre de l'été, quand la cité se trouve dans sa vraie lumière, quand on ne saurait tricher ni se réfugier hors de son spectre. On est dedans, simplement, totalement, comme Psykick Lyrikah s'immerge dans les sons et dans la profondeur d'une sensibilité urbaine, jamais aussi universelle que quand elle décrit avec force nuances la vision d'une ville. La vie envers et contre tout d'un lieu dont les habitants les moins visibles résistent avec volonté, avec cœur. Et avec le rap.
"Courage et patience, l'arche est faible et sous l'absence qu'elle absorbe elle cèdera" répète Arm inlassablement, à la fin des 'Lumières Sous La Pluie' et de leur concert trop court. Même sans micro, il continuera de psalmodier son texte, alors que Robert le Magnifique scratchera furieusement pour mener cette aventure musicale jusqu'à son envoi.
Peu à peu l'arène se remplit, à mesure que s'agitent sur scène les quatre jeunes emcees du crew anglais Raw-T. Un nom qui, scandé en VO tout au long des morceaux, déploie tout son pouvoir drolatique en français –
unintentional joke, that is. Le spectacle évoque un remake de Kriss Kross treize ans plus tard. L'ensemble arrache un sourire.
Allez, bientôt 19 heures, TTC, rap jeu et gratuité. La fosse est maintenant bondée. Succès, médias dits indépendants, etc. Plus de piercings, plus de marques, plus de tout. Et en attendant plus de son, du funk pour patienter. De la sueur raisonnablement car le temps est idéal. Téki Latex, tee-shirt rose "Yo MTV Raps", devise avec Tido Berman tout en scrutant la foule. Toisant les têtes connues, ils se font l'un à l'autre quelques commentaires bien sentis. Cuizinier et DJ Orgasmic le Toxicologue caressent leurs cheveux longs. Apparemment peu de membres de l'audience prendront des notes. Soudain Téki, impatient, entame les hostilités par une formule définitive :
"On va le faire comme à la maison, parce qu'on est à la maison !". 'Ebisu Rendez-vous', début en douceur. Les quatre gaillards déroulent, expliquent entre deux raps qu'ils reviennent de vacances. Non pas sur les routes du tour de France, mais au Québec où ils étaient encore la veille pour des concerts. Jet lag en pleine figure. 'Je n'arrive pas à Danser', 'De Pauvres Riches'. Ambiance de nonscience. Et puis bientôt, déjà, Téki est en transe et tel Tony Starks fait tournoyer autour de ses spasmes une serviette éponge blanche. Cuizi pousse sa voix de pimp fluet, Tido conserve ses lunettes noires : c'est 'Le Chant Des Hommes'. Une poignée d'aficionados donne l'impression naturelle d'évoluer dans le salon des TTC, squat flamboyant quelque part entre la rue du Dragon et la porte de La Chapelle. Les autres, à l'instar du sosie de Billy Bob Thornton au premier rang, semblent encore incrédules face au degré d'ironie outdoor développé par le show en marche. 'Du Sang Sur Le Dancefloor' énerve un peu plus tout ce beau monde. Sur ce lointain hommage à Michael Jackson, détourné mais pas vraiment acquitté, Téki réinvente une Macumba fever jusqu'à ce qu'Orgasmic lâche ses samples de 'I Like To Move It Move It'. Les ondes se diffusent désormais partout dans la foule. Téki Latex et Cuizinier kiffent visiblement. Tido Berman, highscore, ne se départit pas d'une pause laidback et répand le groove autour de lui. Il est 20 heures 15 et dans les foyers de France le JT des chaînes hertziennes est à son faîte. Téki écrase une bouteille de Cristaline entre ses mains, il réclame son comptant de bruit. Tido freestyle sous les chœurs de ses alcooliques. Téki Latex (sex machine) freestyle derechef. Alors qu'Orgasmic donne du micro, les trois emcees réalisent la performance de rapper sur une boucle de Lenny Kravitz, inaugurant 'Qu'est-ce qu'on mange ce soir?', un titre du récent street CD de Cuiziner "Pour Les Filles". Celles-ci sont d'ailleurs conviées sur scène pour un habituel final foutraque et jovial. C'était les TTC, hors du club. Silence relatif. Rappel ? Pas rappel ? Supsense artificiel : hurlements de plaisirs, rappel. On vous danse dessus, on vous tape sur l'épaule de joie. C'était donc TTC dans le club. Démence.
Article et photos de
Billyjack Août 2005