Lieu : Nouveau Casino, Paris.
Date : 1er Décembre 2005.
La rumeur bruisse le long du couloir menant au Nouveau Casino : le rap saurait résumer la vie. Hi-Tekk et Nikkfurie, deux frères de Noisy-le-Sec, Seine-Saint-Denis ("là où les bronzés n'font pas d'ski") sont accompagnés sur scène de Saphir le Joailler et de DJ Fab pour le dire : "Les gens parlent comme un sampler". C'est La Caution. Ceux qui te remplacent séance tenante Métro-Boulot-Dodo par 'Chômage, Voitures, Nuits Blanches'. C'est peut-être parfois simpliste – en tout cas toujours puissant, efficace. Lâchée en concert, La Caution étonne bientôt par sa détermination et la solidité de ses interprétations. 'Player' lance la machine, ghettoblaster en bandoulière. Il n'y aura pas eu de round d'observation, le KO du public sera du reste prononcé très tôt. Dans une ambiance survoltée, les titres semblent s'enchaîner mécaniquement, dans une surenchère de son et de punchlines. Mais ça n'est pas tout à fait ça. En réalité, les deux frangins sont plus que jamais sous le feu des projecteurs et ils ont choisi les armes pour répondre. Ils sautent d'un titre à l'autre sans transition et se déchaînent dans l'avalanche pour ne laisser aucun répit à quiconque. C'est peu dire qu'on l'attendait ce deuxième album, ce retour des fils prodigues. Deux enfants issus de l'immigration marocaine, purs produits de la banlieue, se produisent en public pour assurer la relève du rap français. Même Télérama en parle. Même Télérama leur met la pression en indiquant que leurs prestations scéniques n'ont pas toujours été convaincantes. Et les voitures viennent à peine de cesser de brûler à travers la France, depuis peu les mots-clés "banlieues", "émeutes urbaines" et "Sarkozy" ne sont plus achetés sur Google par l'UMP ; alors il semblerait de bon ton que La Caution s'exprime. Qu'elle représente. En ce 1 er décembre 2005.
Et quoi? Silence. Place aux textes, dansez sur nos instrus et kiffez tant que vous pouvez. Ce que La Caution avait à dire est déjà présent sur les 31 titres de son double album "Peines de Maures / Arc-en-Ciel Pour Daltoniens". C'est vrai, pourquoi en rajouter? On comprend la position du groupe : plutôt que de tergiverser sur le seuil de débats politico-médiatiques avortés, d'une dénonciation stérile et d'autres verbiages divers, il préfère mettre tout son soin à entretenir la portée de ses textes et l'authenticité de son travail sur la musique. Et au diable leur présence ou absence des listes noires décortiquées dans un hémicycle rouge cardinal! Un morceau comme 'Dernier Train' montre bien tout le talent d'évocation que La Caution est capable de déployer ; au terme d'une description chirurgicale du quotidien fade et agressif du Nord de Paris, la sentence tombe :
"Cesse donc de te plaindre / Prends le dernier train". Vous voulez d'un groupe qui parle des préoccupations de la "jeune génération"? 'Connasse' / 'Antimuse' : les deux lascars appellent un chat un chat. Les couplets se succèdent pour dire ce que c'est d'être habité par ce qui vous dépasse : les femmes. Un coup on s'énerve, un coup on s'humilie, mais peu importe, Nikkfurie et Hi-Tekk veulent garder un peu de leur superbe quand ils donnent de l'amour ou en reçoivent. Un peu de leur superbe pour rythmer leurs lyrics. Là où les TTC appuyaient le trait l'an dernier en susurrant 'Bâtards Sensibles' pour se faire pardonner leur 'Girlfriend', La Caution prend le parti d'une certaine assurance. En témoignent les airs de RZA qu'adopte Hi-Tekk avec son béret Kangol, ou encore l'aisance de Nikkfurie sur 'Je Te Hais' :
"Je te hais, beaucoup plus que tu ne t'aimes / Je m'aime beaucoup plus que tu me hais". Virtuose du rap.
L'impact de chaque titre est tel qu'on se surprend à craindre que le show s'arrête prématurément. Sur 'Arcade', ôde régressive aux vieux bouzins Atari et consorts, le feu d'artifice fait participer le public qui soudain pogotte, stage-dive et hoche sévèrement de la nuque. Pour 'Boîte de Macs' et 'Personne Fusible', les voix féminines de China et Mai Lan apportent une touche de douceur et de frisson. Et les mâles de souffler enfin un peu. Hi-Tekk se fait plaisir sur 'Faut-il?', Nikkfurie continue de bluffer son monde avec ‘Impossible'. Puis le noir finit par venir. On sent déjà la troupe des Kourtrajmé qui s'agite en coulisses avant que 'Thé à la Menthe' n'ouvre les rappels dans une hystérie absolument totale. Le-morceau-français-qu'Hollywood-a-aimé se charge d'une force incroyable dans cette petite salle alterno de Ménilmuche. Quand plus ou moins tout le monde se donne rendez-vous sur l'estrade, les deux emcees décident de descendre dans la fosse. Un bon concert d'un bon groupe de rap français, c'est rare mais c'est simple. Simple comme ça. Intense, prenant. "Le Kourtrajmé Gang arrive en avion dans ta maison". Quelques quidams auront beau hurler 'Asphalte Hurlante' jusqu'à cessation de paiement des cordes vocales, les deux compères s'en tiennent à leur double production récente et ils ont raison : ça faisait bien longtemps qu'on se languissait, de Paris jusqu'à Nice, d'obtenir à nouveau un jour ce grain de qualité dans le rap d'ici. A la fin d'un concert qui claque comme celui-ci, on reste plus que jamais sous l'emprise du style La Caution…OUJDA POWER!
Article et photos de
Billyjack Janvier 2006