L'industrie du rap a la faculté de fabriquer des étoiles dont l'aura attire les B-Boys, comme le miel attire les mouches. Leur exposition est souvent de courte durée, et au final on s'aperçoit que sur l'échelle de rentabilité artistique, elles ne valent pas plus de 50 cent. En marge des circuits médiatiques, évoluent des activistes dont l'occulte travail de sape au service du Hip Hop n'est connu que de quelques initiés. Bobbito Garcia, la plus célèbre tranche de concombre de la culture Hip Hop, est de ceux là.
Son histoire débute sur un playground situé à la 98th avenue à New York entre Broadway et Amsterdam, où à la fin des 80s, entre deux paniers à trois points, les Beanuts, Zev Love X, Kurious Jorge, Pete Nice et MC Serch échangeaient des rimes sur des beats produits par la bouche de Lord Sear. Le Rock Steady Crew et des grapheurs comme Doze ou les Cold Crush Brothers (ceux qui ont fortement inspiré Jurassic 5), entre autre, en avaient fait leur terrain d'entraînement. Bobbito Garcia, alors qu'il n'était qu'un simple joueur de basket du collège Wesleyar University à Brooklyn où il apprenait l'art de couper les cheveux, y rencontra un graffiti writer nommé Sake qui le présenta à Pete Nice et MC Serch en 1988. Une solide amitié naquit entre les 3 hommes, à tel point que Bobbito fut nommé responsable de la création capillaire sur la pochette du "Cactus Album" de Third Bass. Après cette expérience, voyant que l'avenir dans la coiffure du jeune Garcia était sévèrement compromis, ces derniers le présentèrent à Dante Ross qui travaillait à l'époque comme directeur artistique pour Tommy Boy Records. La rencontre fut déterminante. Bobbito lâcha la tondeuse, commença une carrière de journaliste en free-lance, et obtint un emploi de coursier chez Def Jam en 1989. Il y resta 4 années. Au bout de quelques mois, il fut nommé à la promotion, et en 1993 il termina sa carrière dans l'entreprise comme directeur artistique au coté de Russell Simmons. Ce dernier fut un véritable mentor. Il lui inculqua les préceptes qui devinrent ceux de la stratégie directionnelle de Fondle'em. Def Jam, à cette période, avait une vision artistique intègre et novatrice. Les dirigeants du label étaient recrutés dans les milieux alternatifs, et essayaient d'adapter le public à la musique qu'ils produisaient, et non pas l'inverse. De plus, ils privilégiaient les réseaux des collèges radios plutôt que les grands médias pour la promotion de leurs disques. En 1990, dans les locaux de Def Jam, Bobbito rencontra un certain DJ Adrian B, qui était étudiant à la Columbia University. Ensemble, et avec Kurious Jorge, ils harcelèrent les dirigeants de WKCR, qui était une radio non commerciale spécialisé dans le Jazz, pour monter leur propre émission sur la culture Hip Hop. En Octobre de la même année, le "Skinny Bones Show" était né. Après la défection de Kurious, et le changement de nom de Adrian B, ils optèrent pour "The Boogie And The Barber (le 1er pseudo de Bobbito)", puis pour "The B-Side" et enfin pour "The Strech And Bobbito Show", le tout en l'espace de deux mois. Entre deux complaintes de trompettes et de break de batteries, la crème de l'underground New-Yorkais de l'époque y fit ses premières armes radiophoniques. De 1990 à 1998 Nasty Nas, Biggie Small, Shawn Carter, O.C., le Wu au grand complet, El-P, les Juggaknots, Cage, Artifacts… se succédèrent aux micros de Strech Armstrong et Bobbito. Ils recevaient environ 150 demos par semaine et ne gardaient que les meilleures. En 1996, ils furent recrutés par Hot 97, LA radio Hip Hop de New York. En 1998, les lecteurs de The Source élirent "The Strech & Bobbito Show" la meilleure émission de radio de l'histoire du Hip Hop. La même année, ils se séparèrent. Bobbito Garcia dit encore de Strech qu'il fut
"the best DJ on the radio, his blends was bananas, his selection was incredible (in Mugshot spring 2002)."
En 1989, Bobbito Garcia écrit son premier article en free-lance pour The Source magazine, puis il noircit les pages de One Nut Network, Straight From The Lip, Flavor… En 1992, il obtient une colonne régulière dans Rap Pages, et l'année d'après dans Vibes Magazine. En 1991, il publia une revue sur la poésie, Minded Straight, qui s'arrêta au deuxième numéro. Ses articles étaient largement inspirés par Gil-Scott Heron, et prenaient leur source dans son amour pour le Basket et la culture Hip Hop.
En 1993, il monte avec Pete Nice, le label Hoppoh qui avait un deal de distribution avec Columbia. L'aventure ne dura que 2 années. Outre les problèmes relationnels avec son partner in crime, la major interféra dans toutes les décisions. La première sortie officielle du label fut l'album "Constipated Monkeys" de Kurious. Le distributeur leur ordonna de suivre, pour la promotion du disque, la stratégie qu'il avait choisie. Résultat : l'album fut pressé à très peu d'exemplaires, qui ne se sont pas vendus faute d'avoir été markétés correctement. Il a tout de même connu un important succès critique et est devenu quelques années plus tard, le saint Graal des crate diggers. Columbia leur imposa Count Bass D, puis refusa qu'ils signent Mudbones, le groupe de Cage (qui sortait tout juste d'un séjour prolongé en hôpital psychiatrique) et KMD après que le groupe se soit fait virer d'Elektra suite au conflit sur la pochette de l'album "Black Bastards" (la maison de disque voulait qu'ils changent le dessin de couverture (qui représentait un noir pendu) pour des raisons commerciales, le groupe refusa et dû attendre 7 ans pour que le disque sorte officiellement… sur Subverse Music). L'indépendance recherchée ne fut jamais atteinte. Bobbito et Pete Nice préfèrent mettre fin au label, plutôt que continuer à se faire manipuler par Columbia.
En 1995, Bobbito Garcia rencontra Richy King, qui était l'heureux propriétaire d'un petit réseau de distribution et d' un magasin de disque à Brooklyn, qui s'appelle encore Fatbeats. Ce dernier mis en confiance par la réputation de découvreur de talent de Bobbito, accepta de l'aider dans la création du label réellement indépendant qu'il ambitionnait de mettre en place après l'échec d'Hoppoh. Fondle'em voit le jour au cour du mois de décembre 1995. Le but était de créer l'outil idéal pour mettre en valeur des artistes et des morceaux, qu'il diffusait dans son émission et qui végétaient dans l'underground. En 1996, il dit à un journaliste :
"my vision with fondle'em is to target die-hard Hip-Hop head." La première sortie fut l'album des Cénobites. 29 disques suivront, tous ont marqué l'histoire du Hip-Hop jusqu'à la compilation "Farawell Fondle'em" qui solde la fin de la structure, après 6 ans d'activités. Outre la qualité des disques et des artistes qu'il a révélés, Bobbito a mis en place une ligne de conduite alternative qui peut se résumer à cette phrase :
"no marketing, no videos, no stickers". Il refusait de suivre la politique des majors qui conditionnent, encore aujourd'hui, les goûts des acheteurs potentiels grâce à la publicité. Il réfute le terme d'underground et ne sortait que des disques estampillés HIP HOP. A part l'album des C énobites et celui de MF Doom, toutes les références du label ne sortaient qu'en vinyles. C'était là aussi un acte militant. A l'époque, ce support indispensable au travail des DJ et donc à la survie de notre culture, était en voie de disparition, victime des ambitions des grandes maisons de disques qui voulaient le remplacer par le CD, beaucoup plus rentable. Accessoirement, cela incitait son public à acheter des platines. Le fonctionnement du label était basé sur des relations de confiance entre les dirigeants et les artistes. Ils ne signaient pas de contrat et partageaient les bénéfices à hauteur de 50/50. La plupart des piliers de Fondle'em était des amis de Bobbito. Il rencontra MF Doom en 1989 lors de l'enregistrement du titre 'Gasface' qui figure sur le deuxième album de Third Bass (alors qu'il faisait encore parti de KMD et qu'il s'appelait Zev Love X). Il abîma ses fonds de pantalons sur les mêmes bancs d'écoles que Mad Flow Grimm. Il est le pote d'enfance de Kurious et de Lord Sear. Il est à la base de la rencontre entre El-P et J-Treds… En 2001, il mit fin au label qui représentait son "avant-garde Hip Hop side" et monta Fruitmeat qui correspondait plus à ses envies du moment et sur lequel il ambitionne de sortir des disques Hip Hop, mais aussi Soul, Funk, Afro Beat, Latin Jazz… Parallèlement à ses activités dans l'industrie musicale, Bobbito mène plusieurs carrières différentes. En 1987, durant une saison, il a joué au basket à un niveau professionnel dans l'équipe des Piragua de Puerto Rico. En 1991, il publia un article pour The Source qui s'intitulait "Confession Of A Sneakers Addict", qui plut fortement aux dirigeants de Nike qui l'embauchèrent comme consultant. Il apparaît dans 35 spots de pub de la marque (certains furent réalisés par Mr Complex), dont la campagne Freestyle qui a fait le tour du monde. En 1996, il ouvre deux magasins de seconde mains, un spécialisé dans les disques de funk, soul, jazz et la musique latino, l'autre de basket, qui s'appelait Bobbito Footwork, et où a travaillé, entre autre, Yakballz. Tous deux ont fermé leurs portes au cour de l'année 2000. En 2002, il a publié "Where'd You Get Those ?", un livre sur la culture des sneakers à New York de 1970 à 1984. Il continue sa carrière de journaliste dans l'excellent magazine Wax Poetics (qui semble devenir la bible des crate diggers). Enfin, à l'époque du "Strech & Bobbito Show", il du apprendre l'art du deejaying pour subvenir aux absences de son collègue. Il continue toujours, et officie dans les soirées underground New-Yorkaise sous le nom de DJ Cucumber Slice.
Celui dont le premier choc musical fut le break de batterie de The Mexican de Babe Ruth, a déjà rempli l'équivalent de 5 vies de B-Boys normaux, et même si ses activités radiophoniques semblent être terminées, il reste une référence pour tous les activistes de la culture Hip-Hop.
MelloW Mai 2003