"New Orleans my birthplace ya heard me
Where money's more important than the person"
- 'Money On My Mind' ("Tha Carter II", 2005)
Lil Wayne est né et a grandi dans un des quartiers les plus violents de la Nouvelle Orléans, Holygrove. Bien avant d'avoir du poil, il s'essaie au rap à l'écoute des Pimp Daddy et UNLV locaux ; il rêve qu'il va devenir un rappeur à la mode, et c'est de son âge. Et puis comme dans tout conte, il y a la rencontre d'une bonne fée, à savoir Baby a.k.a. The Birdman à une séance de dédicace organisée par le boss de Cash Money Records en l'honneur de Lil Slim, une signature du label en provenance d'Holygrove. Wayne se présente devant le patron, rappe, et repart avec un numéro de téléphone sur un bout de papier. Classique. Quelques mois plus tard, le gamin est intégré au roster Cash Money… Il a à peine 12 ans et n'a plus ni père, ni beau-père (meurtres). Un psychologue vous expliquerait cela bien mieux que moi mais on comprend assez vite la place qu'a pu prendre Baby dans la vie de ce pré-ado arrivé bien trop tôt à maturité. Lui qui, en 2005, vient de reprendre des études de psychologie à l'Université de Houston, aura sûrement le temps de revenir sur ce parcours, le cul dans un large canapé en cuir.
"C'est comme un fils pour moi, alors je suis fier de lui.
Ce n'est pas seulement une victoire pour moi et le label,
il représente encore plus la Nouvelle Orléans."
- Baby a.k.a. The Birdman, commentant la place de numéro 2 au Billboard de "Tha Carter II".
D'emblée (soit dès sa première apparition en 1995 sur l'album "True Story" de son team-mate B.G.) les textes du jeune Dwayne Carter ne sont pas ceux d'un gamin de son âge. La faute, vous l'aurez compris, à un environnement plutôt brutal. Extrait :
"Niggas be tryin to creep
So you better watch your back
Fore a Holly Grove nigga run all in your set
So much love for them niggas out that Y 17
That Holly Grove in affect, its all good
It goes...check it...
'H' is for High
Like we always get
We gettin blunted, sessed, smokin Bobo Bush
Then the 'O' is for Olly, bracin real, real niggas
Double 'L' is for Low Life
Who love to pull the trigga
The 'Y' is for Yes y'all
Yes, Yes, my brotha
I'm Baby G from that Grove motha f**ka
The 'G' is for Gat
The 'R' is for Ratta tat!
I'm his back Boom Boom Boom
'Cuz its like that
'O' is for Only
Only Holly Grove
The 'V' is for Villion
Them wild, wild, soljas
'E' is for Eagle
Yes the Eagles took me through some real, real, gangstas
Out the Y 17"
Rappelons tout de même que lorsqu'il écrit cela le bougre n'a pas treize ans. En 1997, quand "Get It How You Live" sort, il est le plus jeune des Hot Boyz, et sans doute un des plus talentueux à s'exprimer sur les beats de Mannie Fresh. Aux cotés de Juvenile, B.G., et Young Turk, Wayne fait parler la poudre et l'album atteint en quelques semaines les 500 000 ventes dans le sud des USA. Un succès qui encrera le nom de Lil Wayne dans la tête des fans. Le succès des Hot Boyz se vérifiera quelques mois plus tard avec l'accueil réservé à la sortie d'un deuxième album, "Guerilla Warfare", en plein cœur d'une période très faste pour le label Cash Money (avec le premier album des Big Tymers, "How You Luv That?", et surtout l'incroyable succès du "400 Degreez" de Juvenile).
"I don't have to prove anything, because my growth as a rapper and as a lyricist can be heard in my music."
A 16 ans, Lil Wayne a l'opportunité de démarrer son parcours solo, sous l'aile protectrice de "papa" Birdman et grâce au formidable accélérateur de carrière qu'a représenté le groupe Hot Boyz pour Juvenile, B.G. et lui. Ainsi en 1999 sort "Tha Block Is Hot", entièrement mis en son par l'indispensable Mannie Fresh. Wayne y reçoit le coup de main bien utile de tous ses partenaires de label, rendant le projet sans doute moins personnel. Pas grave, nombreuses sont les séquences où Weezy crache à la gueule du sud son venin, encore un peu jeune, en cours d'affinage. Une période de maturation qui durera 5 ans, et deux albums, encore imparfaits, "Lights Out" et "500 Degreez".
"I'm the best rapper alive since the best rapper retired."
En 2004, la référence de son "Tha Carter" est évidente : Jay-Z, le modèle désormais retiré du circuit. C'est le début de l'épanouissement, la naissance d'un artiste complet. Le succès débordera assez largement les frontières du sud. Weezy déclame un rap plus fin que la plupart de ses collègues du dirty south. Une vraie personnalité s'affirme aux entournures, une vraie plume aussi. Les trois quarts des morceaux réconcilient le rap pompier avec la qualité lyricale. Lil Wayne est sur le point d'entériner l'idée qu'il existe un dirty south de qualité supérieure.
"So many doubt cuz I come from the south but when I open up my mouth, all the bullets come out"
- 'Shooter' ("Tha Carter II", 2005)
Bien sûr que ca sentait bon, qu'il aurait fallu écouter "Tha Carter" comme un heureux présage; mais qui pouvait sérieusement s'attendre à ce que la suite soit aussi maîtrisée? Le featuring sur le single 'Soldier' des Destiny's Child ne nous avançait pas tant que ça…
Le buzz a pourtant enflé tout au long de l'année 2005, à grand coup de mixtapes toutes plus alléchantes les unes que les autres. Lil' Wayne, qui au contraire de bon nombre d'anciens soldats du label Cash Money a choisi de rester fidèle à Baby (tout en créant une sous structure, Young Money Entertainment), a enregistré en quelques semaines le disque que personne ne voyait venir. Une suite, sobrement intitulée "Tha Carter II", qui a véritablement propulsé son auteur dans une nouvelle catégorie. Passé chez les poids lourds, chez les héritiers crédibles, réconciliant le sud avec l'émotion, l'écriture, l'humour, le génie, avec un rap unique, inédit, mais rempli de références, il a plus que réussi un pari qui paraissait suicidaire. Cerise sur le gâteau, le succès commercial est au rendez-vous. De quoi encourager le bonhomme à suivre une voie qu'il a lui même tracée.
Déjà Universal s'affole et envoie un contrat par jour, Cam'ron voudrait voir le phénomène intégrer le Dipset, les rumeurs le donnent en beef avec la terre entière… Autant d'éléments qui annoncent la naissance d'une légende, pour peu que l'on croie que l'histoire du rap bégaie lorsqu'un talent hors du commun émerge.
Pendant ce temps, de son domicile de Miami, le nouveau prince prépare la suite… Avec son groupe Young Money (au sein duquel il partage le micro avec Curren$y, Mack Maine, et Boo), et en solo, avec la promesse d'un Carter III, IV, V… Quelque chose qui sonne désormais comme une dynastie discographique. Nouveau Jay-Z? Nouveau Biggie? Nouveau Nas? Nouveau Tupac? Nouveau Rakim? Juste un rap génial, fait pour faire de l'argent. Qui dit mieux? Au sud, personne.
Checkspire Mai 2006