Membre de Raw Produce aux côtés de Pitch, Cadence entre dans la catégorie des producteurs polyvalents capables de manier le micro et les platines avec autant de dextérité que la SP. Ancien représentant de la Coalition du Massachusetts qui a vu passer dans ses rangs Mike Ladd et DJ Revolution, hip-hopper actif depuis le début des années 90, Cadence est loin d'être un débutant… Entre 1995 et 1998, le duo Raw Produce a ainsi sorti plusieurs maxis, un EP "Refrigerator Poetry" et a loué ses talents de production à bon nombre de rappers. Pourtant, aux yeux de beaucoup, ce nouvel album sera une révélation. Car depuis 1998, il est vrai que Raw Produce avait quelque peu disparu de notre radar ; non sans raison. En effet, Cadence a été contraint de mettre un frein à sa carrière lorsque sa mère s'est trouvé atteinte d'un cancer des poumons. Seul membre de sa famille, il a accompagné sa mère dans sa bataille désespérée contre la maladie pendant 3 ans. Après le décès de sa mère, Cadence décida de revenir en force dans le rap et d'y laisser définitivement son empreinte. En parallèle de l'enregistrement du premier LP de Raw Produce "The Feeling Of Now" (annoncé chez Female Fun), il s'est ainsi attelé à la réalisation de son premier album solo pour le compte de Day By Day : ce "Cadence Poisons The Minds Of The Children".

Comme on s'y attendait, ce projet est vraiment le sien puisqu'il prend en charge toute la production et les scratches en plus d'assurer son devoir microphonique (aidé à l'occasion par Mr. Lif, Quite Nyce ou Cee-Rock "The Fury"). Armé d'un flow classique et rudimentaire, Cadence utilise sa voix avec émotion et conviction comblant ainsi ses petits manques techniques par un surplus d'âme et de personnalité. D'un point de vue textuel, il affectionne clairement un hip-hop réfléchi et intelligent sans pour autant mettre de côté une légère touche d'humour. S'il méprise les rappers qui gaspillent tous leurs couplets à raconter n'importe quoi et n'ont pas conscience du poids des mots ('The Mighty Pen', 'I Want To Talk To You', 'Not For A Minute'), il fait en sorte de ne pas tomber dans les mêmes travers et de mettre du contenu dans ses textes sans faire du rap "conscient" (dans le sens "chiant") pour autant. Nous détaillant à maintes reprises son processus créatif ('Take A Chance', 'What I Do'), Cadence tient surtout à nous faire comprendre ses motivations et sa démarche. Refusant de baisser les bras face aux obstacles qui se sont dressés devant lui ces derniers temps, il se montre combatif et déterminé à réaliser ses rêves quels que soient les efforts à fournir pour y parvenir ('The Odds', 'I Am Myself', 'Always') et ce même s'il est difficile de soigner les plaies béantes qu'il porte encore dans son cœur ('An Ounce of Prevention'). Au lieu de s'apitoyer sur son propre sort comme beaucoup de emcees le font à moindre frais, Cadence a préféré utiliser sa rage à des fins positives. De ce bouillonnement interne sont nés quelques textes d'anthologie. Comment ne pas citer le superbement écrit 'The Ballad of Sallie Mae' qui, sous la forme de l'innocent récit d'un amour de jeunesse tournant au vinaigre, se révèle être une critique acerbe des compagnies financières qui accordent des prêts étudiants à tour de bras pour mieux tenir les jeunes diplômés par les cordons de la bourse ? Comment passer à côté de l'acide 'An American Dream' qui montre avec humour l'inanité d'une société basant la reconnaissance et le mérite sur l'argent même si celui-ci a été gagné malhonnêtement ? Comment ne pas être en accord avec l'attaque directe et argumentée de Cadence contre le pantin belliqueux qui dirige son pays à l'heure actuelle ('W.') ? Comment oublier le manifeste pour la paix 'Vengeance Or Victory' qui fait l'état des lieux documenté d'une Amérique toujours sous le choc des attentats de 2001 et où la production se fait plus choquée qu'à l'accoutumée pour mieux coller aux interrogations du monde entier ?

Ce titre nous amène à évoquer une constante de Cadence : l'excellence de sa production. Là où son flow peut parfois paraître fragile, sa production impressionne par sa richesse. Imbibée de jazz jusqu'à l'os, elle évoquera sans doute chez certains quelques comparaisons (toutes proportions gardées) avec les sieurs Pete Rock ou Diamond. Car en effet, Cadence s'avère être un maître de l'agencement des samples, faisant entrer et sortir ses boucles avec un réel savoir faire et un sens inné de l'à-propos. Ses productions sophistiquées et complexes sont la force la plus criante de "Cadence Poisons The Minds Of The Children". Autour d'ossatures piano-basse tour à tour mélancoliques, oppressantes ou dynamiques, Cadence utilise souvent des boucles de xylophones ou de guitares surmontées de quelques nappes de violons perçantes ('The Odds') pour un résultat changeant et réellement envoûtant. Le résultat est jazzissime à souhait ! Surtout que Cadence a eu le bon goût d'utiliser sans retenue du saxophone pour donner encore plus de dimension et d'épaisseur à ses compositions. Nostalgique sur 'Take A Chance', "Coltranien" sur 'What I Do' ou déchirant sur 'Vengeance Or Victory', le sax est un élément non négligeable de la réussite de cet album. En plus, Cadence n'a pas oublié de saupoudrer le tout d'une bonne dose de scratches bien placés pour faire bonne mesure… Entre le Premieresque 'I Want To Talk To You', le sombre 'Teach', le minimaliste 'W.' ou le tout simplement magistral 'Take A Chance', chacun pourra y trouver son compte au niveau musical.

Au bilan, "Cadence Poisons The Minds Of The Children" est un LP très bien produit, personnel, varié, intelligent, musical et engagé qui confirme tout le bien que l'on pouvait penser de Cadence. Son classicisme de façade en rebutera peut-être certains mais tant pis pour eux... Cadence a su surmonter des moments difficiles pour revenir aujourd'hui encore plus fort et nous fournir un premier album de haute facture. Bravo à lui. Encore un bon coup de Day By Day et nous voilà maintenant dans l'attente de la sortie de "The Feeling Of Now"…

Cobalt
Mars 2003