Illogic
Write To Death [Volume 1 : My Hand Hurts]

Avec sous le bras deux excellents disques: "Unforeseen Shadows" et "Got Lyrics?", considérés dans certains cercles comme des classiques, chaque nouvelle sortie d'Illogic est un petit événement… Surtout qu'elles sont rares et que le prodige de Columbus a encore une marge de progression énorme vu son jeune âge. On attend ainsi son troisième opus "Celestial Clockwork" depuis plus de 2 ans. Alors lorsqu'une sortie exclusive comme ce nouvel album pressé à mille exemplaires et uniquement distribué sur deux sites sélectionnés par Illogic lui-même (dont www.hiphopinfinty.com) se présente, la rareté de la pièce suscite une attention encore plus particulière. Encore plus lorsqu'on sait qu'Illogic se charge lui même d'un artwork personnalisé pour les heureux acheteurs de l'album, griffonnant au marqueur noir quelques esquisses et le titre de l'album sur un boîtier gris. Les textes (et leur exécution) ont toujours été la grande force d'Illogic, ce petit plus lui ayant permis d'entrer quasi-instantanément dans la cour des grands lyricistes au sortir de l'adolescence. C'est donc sans surprise lorsqu'on connaît sa passion pour la poésie et le spoken-word que son nouveau recueil s'intitule "Write To Death [Volume 1 : My Hand Hurts]". Car en dehors du clin d'œil à ce produit fait main, c'est bien d'écriture qu'il s'agit, de textes forts et de concepts travaillés.

L'album s'ouvre d'ailleurs sur un poème spoken-work (le seul du LP) 'I Need A Pen' où la voix d'Illogic n'a pour autre qu'accompagnement qu'un léger écho… Ce silence animé simplement par les mots permet de constater que les vers d'Illogic se sont encore affûtés avec la maturité et qu'il arrive désormais à entrelacer sens, jeux sur les sonorités et images abstraites à la perfection. Dès le second titre, la différence la plus importante avec les projets antérieurs d'Illogic se fait entendre. En effet, contrairement aux habitudes, ce n'est pas Blueprint (peut-être trop occupé par la sortie de "The Weightroom" et la multitude de projets de Weightless Records) qui est en charge de la production mais l'inconnu au bataillon DJ Eyamme. Ce changement de concepteur sonore donne au projet une résonance inédite dans la discographie d'Illogic. Ne vous attendez donc pas à du boom-bap bien repéré mais plutôt à des compositions en constant mouvement où les nappes atmosphériques ont la part belle. Ainsi, DJ Eyamme se révèle à nous et met en place des ambiances bien plus obscures et difficiles d'approche que les compositions plus directes du membre de Greenhouse Effect. La complexité de certaines de ses œuvres impressionne. Remplissant ses instrumentaux d'une multitude de petits détails discrets (bruitages, murmures, samples à faible niveau sonore au second plan, percussions sortant de l'ordinaire), superposant les samples mystérieux, il installe des ambiances uniques, évolutives, embrumées, boueuses et instables qui ne s'apprécient pleinement qu'après des écoutes répétées et évoqueront inévitablement chez certains des comparaisons (toutes proportions gardées) avec Odd Nosdam par endroits… Son titre instrumental 'Distance From The Sun' consacre d'ailleurs sa maîtrise des déséquilibres entre une batterie épileptique contenue, des explosions de sons brèves mais intenses et un sample de violon filtré donnant un côté oriental intrigant à l'ensemble.

Balisés d'images étranges, les lyrics d'Illogic ont toujours le pouvoir d'attraction ambivalent des meilleures pièces spoken word. Au milieu de battle rhymes lettrées fortes en punchlines ('Angelic Bombs' mais aussi 'Severed Fingers', sa flûte légère et son "You want peace and I wanted pieces of your body floating in bleach") et de textes poétiques bien plus abscons ('1992', 'I Am Not Strange'), on distingue quelques pièces immédiatement remarquables : 'Possible 666' qui n'est ni plus ni moins que le récit déstabilisant de la première et unique expérience hallucinogène d'Illogic ; 'Centered' où Illogic enchaîne toutes les petites activités qui font son quotidien sur un fond de violons grandiloquents… Il y a aussi cette prise de position 'War' où Illogic nous plonge dans l'esprit d'un jeune irakien voyant son pays attaqué par les troupes américaines. Une prise de position qui sonne juste et qui, nourrie d'une foule de détails vivides, évite le manichéisme primaire qui pollue le discours de nombre de ses collègues. Le flow fluide et maîtrisé d'Illogic s'adapte aux textes et ne souffre d'aucune faiblesse, Illogic n'hésitant pas à moduler sa voix lorsqu'il le faut pour souligner certains passages ('Severed Fingers').

Si les bons moments sont donc légion, la perle de l'album se trouve néanmoins sûrement dans les premières mesures du LP avec 'Write for What?'. Une guitare fantomatique, quelques scratches réalisés sur un beat posé puis une boucle de piano ponctué de quelques cuivres explosifs… puis une flûte traversière rêveuse entouré de chants gothiques… L'instrumental de DJ Eyamme suit au pas les errances d'un Illogic qui nous décrit une à une ses raisons d'écrire ainsi que les destinataires de ces textes lancés dans l'inconnu. L'alchimie entre le producteur et le emcee est ici à son top.

Loin d'être donc une réunion de morceaux faits à la va-vite pour faire patienter les fans en attendant la sortie de "Celestial Clockwork", ce premier volume de "Write To Death" s'avère une pièce maîtresse dans la carrière d'Illogic, nous permettant de le découvrir sous un autre jour et de découvrir le talent de DJ Eyamme. Ceux qui trouvaient les productions de Blueprint trop simples pour le talent d'Illogic trouveront sûrement ici de quoi se réjouir. Cependant, le côté sombre, crade, planant et parfois abstrait de cet album fait que ce projet n'est pas destiné à toutes les oreilles. Bien plus exigeant de l'auditeur que les deux premiers essais du poète de l'Ohio, ce cadeau destiné aux inconditionnels n'en contient pas moins autant de trésors. Très personnel, dense, cohérent, riche en idées, on ne regrettera en fait que la courte durée de ce 10 titres (28 minutes)… Mais on en redemande. Et on profitera de cet apéritif comme il se doit. Sans modération…

Cobalt
Juillet 2003
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Label: Autoproduction / Dove Ink Records
Production: DJ Eyamme
Année: Juin 2003

01. I Need A Pen
02. Write For What?
03. 1992
04. Angelic Bombs
05. Distance From The Sun
06. Severed Fingers
07. I Am Not Strange
08. Possible 666
09. Centered
10. War (feat. DaVu)

Best Cuts: 'Write For What?', 'I Am Not Strange', 'Centered'

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