2004 fut une année mitigée pour le Chocolate Boy Wonder. La suite tant attendue des aventures du "Soul Survivor" s'est avérée bien décevante et pour le moins éloignée des qualités de son prédécesseur… Quant à sa collaboration avec Edo G, elle s'est soldée par un album certes solide et engagé, mais loin des attentes que l'on pouvait nourrir. Seules quelques lumières éparses ont entretenu l'aura du légendaire producteur. L'angoisse de voir s'écrouler une figure qui nous a été aussi chère commençait à pointer le bout de son nez. Mais gageons que pour 2005, Pete Rock saura faire taire les rumeurs qui soulignent ce léger (mais indéniable) fléchissement...
Avouons que ça démarre mal. L'annonce de ce projet n'a suscité qu'un engouement discret, qui au fil des jours précédents sa sortie, s'est mué en une sorte d'indifférence polie. Il faut dire qu'il y a de quoi. Sur le papier en tous cas. Car ces quinze morceaux ne sont ni plus ni moins que les "chutes" de "Soul Survivor 2". Et alors là, on se dit : "Merde, si ces morceaux ont été écartés de la sélection finale d'un album comme ça… ça doit pas être fameux"
. Il est vrai que vu sous cet angle des morceaux non retenus sur un album décevant au final, ça n'a rien de franchement passionnant. Autre erreur de communication; l'album a brièvement été annoncé comme étant la suite de "Petestrumentals" avant de devenir plus simplement (et seulement) "The Surviving Elements". Tous ces éléments ont participé à enterrer l'album avant même qu'il ait vu le jour et à souligner la chute visiblement inexorable d'un des plus grands producteurs de tous les temps… Il est vrai qu'avec l'arrivée de ce nouveau disque naissait en nous l'angoisse de voir nos craintes se confirmer. A tel point qu'on envisageait même sérieusement de ne pas l'écouter, comme pour ne pas savoir, de peur de découvrir le pire. Mais détrompez-vous vite, parce que l'album est bon. On a ici à faire à un Pete Rock (quasiment) tout neuf. Il se dégage de sa musique un sentiment de changement. Rien de radical, plutôt une mutation sourde et fine, mais toutefois sensible. Plusieurs productions reflètent un léger renouvellement, une nouvelle mixture pourrait-on dire. Pete nous propose des rythmes assez éloignés de son répertoire habituel. Il est intéressant de noter qu'il ne tente pas de nous ressortir une formule qui pourtant tourne très bien, et ce depuis des années. Sa musique évolue, et c'est tant mieux. Et pour ceux qui s'interrogent, ne vous inquiétez pas, malgré ces modifications notables, le "son" Pete Rock est toujours là.
Mettons tout de suite un élément positif en relief: nous allons ici nous confronter à la seule musique de Pete Rock. Ici, pas d'intervenant de mauvais goût comme cela avait été le cas sur de trop nombreux morceaux de "Soul Survivor 2". Pas de Postaboy, de Kardinal Offishall version mainstream ou de refrains r'n'b malvenus. Non. Seulement Pete, armé de sa SP et de samples puisés dans son intarissable collection de vinyles. L'album s'ouvre avec 'You Remind Me', un morceau s'appuyant sur un sample familier, ce qui est assez étonnant de la part du producteur (qui ne s'est jamais vraiment mis en évidence par la flagrance de ses sources). Vous aurez donc peut être reconnu la voix du grand Al Green et quelques accords de son magnifique 'Let's Stay Together'. Arrangé de cuivres lourds et de kicks étouffés, Pete met l'accent sur le travail mélodique en le soulignant d'une pointe agressive par le biais d'un snare assez fat doublé par une cymbale. C'est donc dans le souci de rester captivant que les éléments peuvent paraître en légère contradiction. Parce qu'il est vrai que ce beat surprend. Et ce sera le cas à plusieurs reprises au long de l'album. Pete Rock semble avoir renouvelé un peu sa boite à rythme; pas seulement dans ses sonorités, mais aussi dans ses cadences. Il suffit de passer à la piste suivante ('Hop, Skip & Jump') pour s'en éclairer davantage. Si la basse est caractéristique, le synthé électro-funk utilisé ici est assez stupéfiant. On retrouve encore ailleurs cette volonté de "sonner" un peu eighties, mais avec une relecture personnelle orientée space-funk. C'est le cas dans 'Hip 2 Hip', qui possède de vifs relents de cette époque ou encore dans 'Glowing' et surtout 'Standard', qui démarre par un beat assez club mais dévoile rapidement une facette bien différente de celle qu'il introduit. Handclaps à la place d'un snare, basse funky, jeu de hi-hat langoureux, Pete s'amuse à jouer avec ces codes qu'il connaît bien. C'est aussi pour cette musique riche en références qu'on aime le producteur. Il réinterprète le son du passé jusqu'à le faire sien, travail que Pete accompli avec un savoir faire que l'on ne peut lui discuter.
La nature même du projet appelle à une certaine conventionalité musicale. Voire, à s'attendre à écouter des pistes qui tournent en rond. C'est bien sur le cas à travers quelques productions mais ce type d'album a des limites qu'on ne peut pas repousser. Même si on s'appelle Pete Rock. N'oublions pas qu'il s'agit d'instrumentaux initialement destinés à être rappés. Il faut donc en avoir conscience et juger cet album pour ce qu'il est, et non ce qu'il aurait pu être une fois habillé de couplets et de refrains. '(Pimp) Strut' par exemple est un morceau qui rencontre vite le désintérêt. On l'aurait volontiers imaginé caché à la fin d'une autre piste, seulement pour quelques secondes qui auraient finalement éveillé une curiosité plus vive qu'une fois étalé sur cinq minutes… Il se dégage un peu la même sensation à l'écoute de 'Flying', 'Marching On' et surtout 'Midnight And You', une production vraiment tiède dont le minimalisme flirte d'un peu trop près avec un r'n'b douteux. La mélodie quant à elle a cette saveur mielleuse de porno soft des années 70. Ca peut être amusant quelques instants mais après on passe. Et si on veut faire le difficile, on peut bien sur noter quelques imperfections par ci ou par là, des défauts de finalisation, de découpages, comme ce petit bout de sample mal nettoyé qui fait un 'click' dans 'Smoking Room Only' et 'U Are What U Are'. Mais objectivement, pourquoi aller décortiquer le détail si l'ensemble est de qualité?
A l'écoute de cet album, une chose devient claire : une légère relecture de "Soul Survivor 2" semble s'imposer. Si en effet le deuxième volume de la série s'avérait faible à de trop nombreux endroits, c'est avant tout par les nombreuses erreurs de casting. Certes, Pete n'est pas innocent, car il aurait lui aussi pu être bien plus pertinent et dans le choix de ses invités et dans les orientations musicales de son projet. Enfin, laissons cet album de coté et terminons l'analyse de celui qui nous occupe aujourd'hui. Pour tous ceux qui ne se retrouvent pas dans les morceaux précédemment examinés, ne vous inquiétez pas, parce que Pete Rock vous a concocté quelques productions à sa sauce. 'Fairground' est plus vif. Il repose sur une basse serrée dont les accords provoquent instantanément l'impression de retrouver un style qu'on connaît bien. Le savoir-faire fait le reste; des éléments associés avec justesse, mélodie scintillante et notes au synthés évitent la stérilité de la boucle. Même chose pour 'U Are What U Are'. Ca fleure bon le boom bap et le sample court pris dans un morceau de soul, le tout avec une légère émanation wu-tangienne. La boite à rythmes est elle aussi d'époque. Quant à 'Intrigue', le dernier morceau de l'album, il s'ouvre à peu près par le même jeu rude de hi-hat que l'on trouvait au début de 'You Remind Me'. L'introduction et la conclusion se font donc écho. Mais là où la première piste se révélait entraînante par sa mélodie, la dernière l'est bien plus par la rugosité de son beat, par ces quelques notes de piano qui résonnent en s'entrechoquant avec les variations d'une basse qui leur est associée dans un écho commun. Ces quelques notes de piano contiennent toutes les saveurs d'une conclusion qui pourraient induire une suite, un adieu déguisé en invitation à un passage à autre chose, ou vers autre chose. Comme trois petits points à la fin d'une phrase laissent suggérer que l'histoire s'écrit encore…
Si le morceau qui conclue cet album est aussi la première planche d'une passerelle vers les nouvelles aventures du Soul Brother Number One, alors attendons-nous à vivre encore bien des jours heureux. La conclusion va donc être simple, cet album est très bon. Il faut bien entendu le prendre pour ce qu'il est, quinze pistes destinées à être normalement habitées par des rimes et des métaphores mais qui se présentent ici complètement nues. Et ainsi déshabillées, ces productions nous apparaissent déjà bien resplendissantes. Alors que certaines des productions de "Petestrumentals" finissaient par tourner en rond, on a ici envie d'aller jusqu'au bout de chacun des morceaux, pas pour savoir si une variation va voir le jour mais plutôt pour vivre jusqu'à son terme un plaisir qui naît dès les premiers accords, les premières notes de basse ou le premier jeu de cuivres.
Finesse Février 2005