Edo. G – Pete Rock. Deux noms qui signifient beaucoup pour les amateurs de Hip Hop. Deux artistes aussi passionnés que ceux qui les ont découverts et qui ont grandi avec leurs disques. Deux survivants d'une ère où l'expression Hip Hop soulignait un art pur, une forme musicale avec des valeurs, bien éloignées de celles que représentent aujourd'hui une multitude d'artistes qui s'autoproclament héritiers de cette culture et donc de cet age d'or auquel Edo. G et Pete Rock ont tant apporté. Avec quelques classiques à la ceinture et une notoriété à peine entachée par certains projets loin d'égaler leurs premiers faits d'armes, ils nous reviennent, intègres et fidèles aux valeurs qu'ils ont toujours défendues, se partageant l'affiche d'un disque de dix morceaux, concentrés en samples soyeux et en rimes acérées.
Même si leurs deux dernières sorties respectives n'ont pas laissé une marque très profonde dans nos oreilles, un album d'Edo. G quasi intégralement produit par Pete Rock a encore de quoi susciter plus qu'une simple curiosité. Et en nous remémorant leur collaboration sur "The Truth Hurts", on est en droit de penser que les deux old timers pourraient très bien nous avoir concocté un petit bijou. Ca commence en tous cas très bien avec 'Boston' qui est aussi le premier maxi tiré de l'album et qui se révèlera au final en être un des meilleurs morceaux. On est rapidement en terrain familier, quelques accords de guitare, une basse souple et intense, des scratches judicieux et l'ajout d'autres éléments afin d'ajuster au mieux une production lustrée dans le plus pur style de la maison Soul Brother. Edo. G n'est pas en reste et nous propose de bons couplets, abordant sa musique et sa place dans la scène hip hop de Boston. Dès lors le ton est donné, Edo. G semble retrouver sa pugnacité et Pete Rock sa science pointue du beat.
Malheureusement, dès la deuxième piste, cette impression se trouve contredite par une production un peu poussive, trop réglementaire pour être un minimum passionnante. Cela n'empêche pas Edo. G de se montrer présent au micro, et ce disons le tout de suite, tout au long de l'album. Car c'est bien le point fort de ce disque, Edo. G nous apparaît encore comme un sémillant jeune homme sur ce projet et propose une constance lyricale qui force le respect. Sur 'Boston' il nous rafraîchit la mémoire et vient se rappeler à elle à coup de punchlines agressifs:
"I'm a throwback from the 90's, whose return is timely, for hip hop consciousness that's grimy". Sur 'School'em'
, il met une bonne claque à l'industrie du rap et donne une leçon aux jeunes qui veulent se lancer dedans :
"I'm unsayed by the industry's masquerade, school young niggas without the financial aid / and my crusade is for every Black man to be paid and be a self made". Conscient, on vous avait prévenu. Sur la même lancée, il aborde des sujets maintes fois évoqués sur 'Voices' avec ici une vraie chaleur, soutenu par une production utilisant un chœur pour mélodie, associé avec une basse lourde, le tout dans une épuration qui fait la part belle aux rimes d'Edo : situations difficiles, incarcérations, flics corrompus… tout ce qui fait le quotidien des quartiers difficiles est souligné avec obstination. Edo. G ne s'arrête pas en si bon chemin, il est l'étoile qui brille le plus sur son album et il le démontre encore une fois en écrasant Krumb Snatcha et Jaysaun sur 'Stop Dat' où il dégaine des phases du genre :
"restless, reckless, envy that necklace / that nigga on the guest list, so hungry (he) eats asbestos for breakfast / and you quick to spark / you'll get picked apart on 106th and park". Agressif et remonté, c'est comme ça qu'on aime notre bulldog de Roxbury. Pete Rock quant à lui nous fait entendre sa voix suave sur quelques refrains et vient rapper sur 'Right Now', une des compositions les plus soignée de l'album.
Même si apparaissent clairement quelques résurgences de son savoir faire ('School'em', 'Right Now', 'Stop Dat'), Pete semble parfois peiner à entretenir ses productions au niveau d'excellence qui les caractérisait autrefois. "Soul Survivor 2" nous avait déjà éveillé à cette baisse de régime, qui se confirme ici par une irrégularité faisant de cet album une semi déception au niveau musical. Mais attention à ne pas se méprendre, parce que Pete possède toujours cette "touch" qui le place au dessus des autres. Les quelques faiblesses qu'il laisse entrevoir sont des suffisances que l'on prendrait pour des qualités chez de nombreux autres producteurs d'aujourd'hui. On est simplement toujours plus sévère avec ceux qui nous ont habitué à être exemplaire. Que dire alors de Diamond D? Que reste-t-il de l'ancien "best producer on the mic"? Et bien pas grand-chose à l'écoute du morceau qu'il réalise ('Streets Is Callin') et qu'il illustre d'une manière aussi molle que sa boucle est peu inspirée. A l'écoute du refrain, on imagine trois mecs bourrés d'anxiolytiques avec une tension à 4 et qui se reposent l'un sur l'autre pour éviter de tomber d'ennui ou d'endormissement sur la moquette du studio. Heureusement, dans cette réunion de survivants de la "golden era" il y a un certain Masta Ace qui vient démontrer sur 'Wishing' que peu importe l'âge quand la passion vous anime, et qui ramène avec lui la fraîcheur qui fait souvent défaut à cet album. La production de DJ Supreme One n'est pas étrangère à la réussite de cette piste. Nostalgique et délicate, elle met en relief les flows et les lyrics des deux mc's, qui nous exposent ici leurs désirs pour une société meilleure :
"I wish Bush just get out of us / before he starts world war 3 and try to off us". Un excellent morceau.
Au final, "My Own Worst Enemy" n'est pas la pépite qu'on espérait mais simplement un album de bonne facture où l'expérience prime sur la fraîcheur et l'innovation. Enlevées les fausses notes, l'album est maîtrisé, concis et complet. Le nombre limité des pistes offre à cette collaboration une consistance qui se serait sûrement effilochée sur la longueur mais qui ici fait mieux que tenir la route. Toujours est il que, malgré ses défauts, ce projet a ses très bons moments et que le plaisir d'écouter un Edo. G toujours aussi éveillé lyricalement et un Pete Rock même en petite forme reste un moment plus qu'appréciable.
Finesse Décembre 2004