Il fallait bien que ça arrive. Il fallait bien que Bigg Jus commette un faux-pas qui gâche une discographie jusqu'ici exemplaire. "Imperial Letters Of Protection", le deuxième tome des aventures du duo NMS est un disque raté. C'est sans doute en grande partie à cause du comparse Orko (qui, semble t'il, a produit une grosse partie de l'album), mais peu importe après tout, Bigg Jus ne sera plus jamais Bigg Jus.
Quelques jours après avoir tristement constaté l'écueil, nous nous retrouvions avec un nouveau disque de Lune Tns entre les mains. Un album mis en son par un
beatmaker inconnu de nos services, basé à Atlanta (qui est aussi le nouveau lieu de résidence de l'ancien Co-Flow) et répondant au pseudonyme de DJ Gman. Autant dire que l'on ne savait pas à quoi s'attendre. Qu'on était pour le moins dubitatif à l'idée de cette collaboration inédite tant l'univers de Bigg Jus nous semblait incroyablement personnel. En tout cas, on ne s'attendait pas à ça. La grande force du travail de Gman sur ce projet édité par Mush Records réside principalement dans le fait que le monsieur ne s'est pas risqué à faire du Bigg Jus. Il n'y a donc aucun équivalent à 'Plantation Rhymes', 'Tongue Sandwich' ou 'Gafling Whips' sur ce "Poor People's Day". Qu'à cela ne tienne, l'intérêt du rap de Bigg Jus se résume à une équation simple : engagement politique passionné + émotion à fleur de peau.
Jusqu'ici, ces deux constantes étaient portées par des compositions multicouches toutes en rupture. Sur "Poor People's Day", les pamphlets de Justoleum sont enveloppés dans des écrins empreints de lyrisme ('Supa Nigga') et de gravité ('Halogen Lanterns'), où la boucle tient une place essentielle, où une ligne de piano bucolique se suffit à elle-même ('Night Before'). La musique est plus policée (sauf peut-être sur le court, intense et discordant 'Memories Of You'), les multiples mouvements mis en son sur "Black Mamba Serums" ont fait place à de jolies compositions qui permettent aux mots de résonner encore plus fort, aux réquisitoires de mieux se faire entendre. Certains morceaux soufrent néanmoins d'un travail de composition un peu trop connoté et suranné, mais nous permettent de retrouver le Bigg Jus de "Funcrusher Plus" - plus dans la
hell-spit diction que dans le registre mélancolique ('Illustrations Of Hieronymus Bosch…'). 'Anything You See Fit', dont l'armature repose sur des chœurs cléricaux aussi sinistres que sublimes, s'impose comme le meilleur moment du disque. D'une manière générale, et même si quelques abstractions subsistent, le discours est lui plus clair, plus intelligible, plus brut.
"We say the things no one else will say. We take responsibility to change the course no matter the consequences. 'Cuz once the word is out the population will know your distorted views. Money and power won't insulate you in your gated communities. We holding people in positions of power accountable for their actions. 'Cuz when you speak to these savages, you gotta speak to them in their own language. This is poor people's day."
Le
kingspitter n'a rien perdu de sa verve et de sa propension à honorer le beat sans jamais y coller. Le ton avec lequel il débite ses interminables strophes, tantôt chuchotées tantôt crachées à l'oreille, sonne toujours aussi vrai. La spontanéité y est palpable, les larmes ne sont jamais vraiment loins. Et l'on a déjà oublié "Imperial Letters Of Protection". Bigg Jus sera toujours Bigg Jus.
"So nowadays these rappers spit vagina monologues, cuz' most of them are way too pussy to say shit".
Kreme Avril 2006