Après avoir laissé la place à la nouvelle génération pendant quelques mois, les vétérans de la compagnie Galapagos 4 reviennent en force sur le devant de la scène. Dans la foulée du superbe "The Harvest" concocté par Qwel avec l'assistance de Maker et du second opus (pas folichon lui) des Typical Cats, c'est au tour du maître des lieux Offwhyte de reprendre possession du sceptre de commandant en chef des troupes G4. Pourtant, ne vous méprenez pas; c'est à un tout autre sceptre que le titre de ce EP inattendu fait référence. Celui qu'arbore avec arrogance Georges W. Bush à la face du monde. Le sceptre impérialiste d'une nouvelle république bananière (ou plutôt pétrolière) imposant sa loi souveraine à coup de guerres préventives, de puritanisme bon enfant et d'arguments hypocrites…
"Those who make war just to expand". Le sceptre d'une puissance néo-colonialiste laissant la majorité de ses citoyens évoluer dans une misère grandissante.
Dès l'ouverture de 'Bow To The Sceptor', le décor minimaliste déstabilise et reflète le tumulte et la frustration qui agitent l'esprit d'Offwhyte. Clavier étrangement sombre, nuée d'ondulations synthétiques en mouvement constant, rythmique hésitante… A la production, Kip Killagain ouvre clairement une nouvelle chambre qui tranche avec l'univers sonore auquel nous avait habitué Offwhyte par le passé. Cette étrange symphonie expérimentale, envoûtante
"like satanic organ players", est l'occasion pour le petit emcee aux origines philippines de livrer son message de manière changeante, tantôt sous la forme d'un spoken word distant, tantôt sous la forme d'un rap autrement plus énergique. Et Offwhyte en a gros sur le cœur:
"Politicians with corporate sponsorship celebrate the conquering of not-so-neighbouring city states / The streets are filled with vagrants, lunatics and missionaries / There's fear in the air, you can feel the fragrance". Intelligent, il évite les pamphlets simplistes et livre un texte à tiroirs où le symbolisme et les références à l'empire romain croisent l'extrait d'un discours du Dr. King.
Néanmoins, n'allez pas croire que ce court EP se veut uniquement le véhicule du ras-le-bol affiché par Offwhyte sur ce titre marquant (et déjà remarqué lors du "War on War Tour" l'été dernier). Loin de là. "Bow To The Sceptor" est plutôt l'occasion pour Offwhyte de faire un peu le point sur ses envies actuelles. D'un 'Kept' impressionniste où il se positionne en gardien d'un temple de plus en plus menacé à un 'Kid Is Raw' plus brut de décoffrage qui lui permet de revenir sur son parcours avec une fierté non dissimulée, il prouve qu'il ne compte pas restreindre son champ d'action. Avec toute l'aisance microphonique qu'on lui connaît, et l'avantage de l'expérience aidant,
"the witchdoctor of rhyme" navigue sur le beat comme un poisson dans l'eau, dessinant des arabesques envoûtantes. Tour à tour terrien, scientifique, offensif, intimiste, son vocabulaire s'adapte comme un caméléon au thème du jour, toujours véhiculé par ce timbre de voix unique et immédiatement reconnaissable. Offwhyte reste l'apôtre d'un rap réfléchi, mature mais aussi ludique et ambitieux…
Mais "Bow To The Sceptor" n'est pas qu'un disque solo. C'est aussi un bref état de lieux de l'écurie G4 nouvelle génération. Offwhyte invite ainsi le producteur récemment recruté Mike Gao pour un 'Kid Is Raw' à l'atmosphère froide et addictive. Drapé d'un certain voile de mystère avec son clavier hypnotique et les cuts stratégiques de Dr. Jones, le titre s'avère un exercice plus que concluant. Idem pour la participation d'un Meaty Ogre en pleine possession de ses moyens. Avec son break de batterie vivifiant et ses boucles de violons luxuriantes, son 'Kept' a le charme un peu rétro et faussement naïf des glorieuses années 50. Du coup, autant dire que les titres se suivent et ne se ressemblent pas. On ne s'étonnera donc (quasiment) pas de voir une plage offerte à Mestizo, nouveau chouchou de la Windy City depuis la publication son "LifeLikeMovie". Tant mieux pour nous à vrai dire ('Rival Ritual' est réussi); tant pis pour la cohérence du EP qui navigue du coup entre plages minimalistes et titres fouillés, entre classicisme et touches d'audace, sans avoir le temps de se poser. Mais, on ne s'en plaindra pas trop. En effet, en dehors d'un 'On Purpose' plombé par une production squelettique d'Off, l'ensemble s'inscrit sans mal dans la discographie solide de l'auteur de "Squints".
"We seek inspiration and chase it till where the sidewalk ends"… et Galapagos 4 continue d'aligner les trophées de chasse à un rythme bluffant. Si 'Bow To The Sceptor' n'aura pas atteint son objectif politique (cf. la réélection triomphale de W), ce court EP s'écoute comme une mise en bouche plutôt sympathique qui nous laisse découvrir les nouvelles orientations d'Offwhyte. Presque 3 ans après "The Fifth Sun", Offwhyte a encore des idées et de l'énergie en stock. En attendant la sortie annoncée pour la fin de l'année du troisième album d'Offwhyte "Mainstay", "Bow To The Sceptor" remplit sa mission sans heurt et nous permet de vérifier l'état de santé du co-fondateur de Galapagos 4. Pas franchement révolutionnaire, pas forcément cohérent, plus collage de titres que vrai projet réfléchi, ce EP surprise n'en reste pas moins un intermède plaisant dans le planning des sorties chargé du label chicagoan. Recommandable donc. Reste juste à voir le prix qui vous sera demandé à l'entrée pour cette petite vingtaine de minutes en compagnie d'Offwheezy...
Cobalt Février 2005