C’est à se demander si certaines ruptures ne sont pas provoquées à titre d’inspiration...
‘Hello there Miss! Can I ask you a drink Madam?’
‘Been there, done that, you’re wack and it’s all your fault (...) Feedback is everywhere. Feedback is everywhere.’
‘Girl, I know you’re looking so fine (...) you remove yourself from the aura and I stand up a little confused.’
‘Looking so fine today girl... Out of my mind! Blast off another ocean!’
Nous vous présentons k-the-i??? (drôle de nom). C’est un garçon indécis. Enjoué et torturé. Tout doux, dur de la feuille et dingo. Précis et sujet au vague à l’âme. Qui débute un disque comme précède et l’achève comme suit à quelques encablures d’un extrait de Portishead :
‘I keep my distance... my distances away from you.’
Un léger retour en arrière semble nécessaire à l’entame de cette notice. En l’an 2000, dans l’album des Mindclouders orchestré par Mums The Word et 2Mex – un lointain cousin-nounours de k-the-i??? – un titre s’articule autour de cette séquence dont la deuxième partie n’est dévoilée qu’à la fin :
‘It’s funny how I see things that you can’t see, like you loving me / It’s funny how you see things that I can’t see, like depedency’.
Il fallait que k-the-i???, originaire de la prestigieuse ville de Cambridge (où se situe Harvard), puisse un jour égaler un tel destin. Il signe pour ce faire sa Lettre au cœur brisé.
Celui qui nous intéresse ici a peut-être – et grand bien lui en fasse – du succès avec les filles. Mais en tout cas, il n’en a pas avec celle-là. Celle qu’il ne nomme pas vraiment, mais qu’il associe à Liza Minelli sans qu’on sache jamais vraiment si c’est du lard ou du cochon. Elle a, en tout cas, lardé le cœur du porcin k-the-i???. Comme le titre le suggère, une rupture l’a laissé exsangue. C’est pathétique et banal. Ou fascinant. Et c’est avec ce bénéfice du doute, il faut l’admettre, que l’on entre en premier sur les terres de l’individu. On est étonné par ces registres de voix très vite alternés, alors que rien de sérieux ne semble avoir commencé. Ou bien par ces cris tantôt comprimés, tantôt chuchotés, à peine crachés. Voire déclamés. Disons-le : on est tout d’abord plus surpris par « les mots pour le dire » qu’emploie k-the-i??? que par ce qu’il a à nous dire. Et du reste il ne faudra pas bien longtemps pour avoir confirmation que le propos du musicien est fielleux comme une rancœur incarnée ; comme un ressentiment qui ne passe pas. Notre intuition n’était donc pas trop mauvaise. Et puis il faut aussi ajouter cela : les notes qui accompagnent les premiers développement verbaux du disque, déjà incohérents donc déjà touchants, certes, sont malgré tout une sorte de mélasse peu digeste. Oui, entrer dans cet album n’est finalement pas chose aisée, mais une autre chose est sûre : c’est tout de même plus facile que d’en sortir. Vous verrez. Une pendule d’appartement sert de compagne à des riffs maladifs et des percussions de catatonie. Un orage couve qui n’éclate jamais. Piccolo et Saxo enragés, lâchés sur une piste de cirque.
Vu sur le dernier album de NMS (le combo du grand Bigg Jus), k-the-i??? est un quintal de poudre qui n’avait jusqu’ici pas vraiment convaincu (que ce soit sur ses précédents essais solos ou ailleurs). Mais le beau bébé – un bibendum balèze en gros plan Polaroïd – est une brute en charge rythmique. En outre, il brasse des larmes à la pelle, dans des feuilles noircies aux perles de parolier. Ce qui ne l’empêche pas moins, sur le morceau au beau titre 'Justified To Most Beautiful Moments', de laisser place à la douceur d’un petit frère de Sirtaki pour un passage instrumental, oriental en acoustique. Tabac à la pomme improbable, bientôt relayé par des tambours et la voix langoureuse d’un crooner d’emprunt. Vient alors sans nul doute un sommet de l’album, le très bien nommé 'You’re Not That Beautiful', cinq minutes passées à se convaincre que ce qui obsède chacune de ses pensées n’est rien, qu’il n’a, après tout, qu’à penser à autre chose. On sent assez vite l’empathie nous atteindre, à entendre cet homme blessé qui profite de ce long monologue de reproches pour se taire, pour en réalité rester seul. Etre sûr de rester seul, noyé dans les regrets peut-être, mais au moins à l’abri de l’avis d’autrui – ce dont il a encore la dignité de se contrebalancer. Pour finir, un exercice de DJ étend autant que faire se peut le mot désignant le plus vieux métier du monde. Qui, au passage, cumule les fonctions de juron et de fait social symbolique. A bon entendeur.
Si ce disque est difficile à oublier, c’est d’abord parce qu’il accorde peu de pauses dans la délectation. Passant sans cesse d’une idée musicale à une autre, du jazz à l’électro, superpositions de voix, combat de rythmes posés en arrière-plan, il est avant tout porté par l’unité de son thème, on l’a vu (magnifiquement relayé par des productions protéiformes enivrantes) mais aussi par la présence vocale du emcee. Là aussi, on n’aurait pas forcément cru être adepte au départ (d'aucuns seraient même allergiques à son phrasé). Mais force est de le constater : accélérant son débit ou décélérant dans la même portion de phrase, k-the-i??? est toujours très à l’aise dans les univers mobiles qu’il se concocte au détour de chaque minute. Sur le morceau 'Little Did She Know', il laisse une mélodie cuivrée accompagner seule le chagrin d’avoir perdu sa 'Mrs Buttersoft Skin', puis il insiste pour adjoindre le contrepoint d’un rap bientôt pleuré sur fond d’instrument bizarre. Le tout avait commencé sous des auspices dignes de Molko quand il ne mettait pas encore de boules quiès en studio. Et laisse place plus tard aux éructations curieusement sucrées d’un acolyte d’Evanescence non censuré, mais heureusement dépourvu de grelots gothiques.
k-the-i??? sait mêler les éléments les plus inattendus, car il a créé un liant singulier en fondant le cobalt de ses larmes dans une plume. Une plume intemporelle. Contre toute attente, celle d’un trouvère contemporain. Vous ne saviez pas bien quoi penser des roses : un conseil, écoutez ce disque et vous ne les verrez jamais plus de la même façon.
Billyjack Février 2007