S'il ne fallait voir qu'un film sur le hip-hop, ce serait sans hésiter "Wild Style". Pour une fois, les rédacteurs de The Source ne se trompaient pas lorsqu'ils l'ont élu en 2000 le meilleur film Hip-Hop de tous les temps. Jamais l'esprit de cette culture née des rues new-yorkaises n'a été aussi bien capté sur pellicule que lors de ce film à petit budget devenu légendaire. Si vous vous êtes demandés d'où venaient les sublimes interludes qui ponctuaient "Illmatic" de Nas, la réponse se trouve ici! Si vous vous êtes toujours demandé quelle pouvait être l'ambiance d'une hip-hop party aux premières heures du mouvement, c'est ici aussi... et plein d'autres réponses aux questions que vous vous posez depuis des années sur la génèse de cette culture devenue aujourd'hui dominante.

Tourné en 1981 et 1982, avant même que le hip-hop ait vraiment eu le droit a une exposition médiatique conséquente, "Wild Style" raconte l'histoire de Ray, plus connu sous le pseudonyme de Zoro dans la Big Apple (interprété par la légende du graff Lee Quinones), un jeune graffer portoricain qui assouvit sa passion de jour comme de nuit. On suit les pérégrinations de Zoro entre voyages nocturnes dans les entrepôts de train, soirées hip-hop et discussions avec ses amis. L'intrigue se centre autour de la relation amoureuse conflictuelle qui lie Ray à Rose, une graffeuse dont Ray n'approuve pas tous les choix et qui s'est éloigné de lui pour travailler avec un crew d'artistes monnayant leurs talents : The Union. A travers Ray qui doit assouvir sa passion sans le soutien de sa famille et qui se montre réticent vis-à-vis des institutions artistiques, le film soulève au passage les questions qui taraudent chaque créateur : quelles sont ses motivations, comment rester intègre tout en essayant de gagner sa vie avec son art, comment vivre la médiatisation, etc. Et en prenant pour héros un portoricain, le film montre aussi le caractère multiracial des activistes originels (contrairement à ce que certains voudraient faire croire).

L'un des secrets de la réussite de "Wild Style", c'est l'authenticité qui découle de la présence de nombreux pionniers du hip-hop dans leurs propres rôles. L'indéniable fraîcheur du jeu des "acteurs" apporte une honnêteté qui fait que nombre des dialogues sonnent totalement naturels. Mais en réalité, le principal intérêt du film n'est pas dans son scénario. Celui-ci est plus un liant qui permet à Charlie Ahearn de relier les séquences et de dresser un portrait complet des hip-hoppers en 81/82. De ce côté, autant dire que les scènes d'anthologie se succèdent. Que ce soit la séance de scratch privée de Grand Master Flash, le clash Cold Crush Brothers/Fantastic Five sur un playground du Bronx, le freestyle des frères de Double Trouble sur le perron d'une maison, les cercles de danse où le Rock Steady Crew brille, sans parler du formidable concert final, tout b-boy qui se respecte restera à jamais marqué par ce film à valeur historique. Il faut dire que dans tous les domaines, Charlie Ahearn a su réunir sur son tournage toutes les pointures de l'époque. Jugez un peu. Outre les artistes précités, on retrouve Busy Bee, Rammellzee, Grand Wizard Theodore, DST ou encore Dondi dans leurs oeuvres ! Vision extatique de jams sans fin où le DJ et les emcees mettent le feu tandis que les poppers et breakers incendient le dancefloor... Tentant de montrer le dynamisme de la scène, Charlie Ahearn essaie au maximum de retranscrire dans les séquences de live la spontanéité du moment à l'aide d'un montage alternant break, pop, rap et deejaying. Ainsi, "Wild Style" donne une vision exhaustive de l'ambiance du début des années 80 et des 4 éléments du hip-hop sans pour autant édulcorer la violence qui régnait dans le Bronx en parallèle (voir la scène du braquage et l'état de délabrement extrême des logements).

A travers le personnage de Phade (interprété par l'unique Fab 5 Freddy, co-scénariste du film), "Wild Style" rend aussi hommage à tous les entrepreneurs qui avec leur tchatche et leur volonté ont su faire bouger les choses en organisant des concerts et en établissant des contacts au sein des médias pour faire connaître le mouvement... A tous ceux grâce à qui, on le sait aujourd'hui, le rap (à défaut du hip-hop) est devenu la musique de toute une génération. Une part importante du statut légendaire de "Wild Style" est aussi imputable à sa bande-son entêtante concoctée par le même Fab 5 Freddy et par Chris Stein (de Blondie). Rythmant les voyages en métro de Ray, le thème principal reste un des instrumentaux quintessenciels du hip-hop.

En cerise sur le gâteau pour ce DVD, la copie du film a été restaurée et transférée en digital depuis les masters ce qui fait que l'image bénéficie d'une meilleure qualité que sur tous les supports vidéo précédents (même si cela reste assez brut). Le son a lui subi un vrai lifting avec le traitement Dolby 5.1, ce qui nous permet enfin d'apprécier pleinement la B.O. pendant toute la durée du film. D'autre part, les bonus sont nombreux et bien fournis. Outre une galerie photo très complète et instructive, on trouve une version clip du 'Subway Rap' de Grand Master Caz, une succession de vidéos de whole cars roulant sur les lignes new-yorkaises, une scène inédite de live où Chief Rocker Busy Bee partage le micro avec Lisa Lee pour un passe-passe superbe et des commentaires audio très intéressants. Bref, que du bonheur !

Premier film réalisé sur le hip-hop, "Wild Style" est aussi probablement le meilleur qui ait jamais été fait. Cette édition lui rend parfaitement hommage. Si vous êtes bilingue, ce DVD se doit de venir compléter votre vidéothèque. Si vous ne l'êtes pas, achetez-le quand même pour les séquences live ! Un film à voir et à revoir en boucle en s'imprégnant du moindre de ses instants et de la moindre note.

Cobalt
Février 2003