Glue
Catch As Catch Can

Sur le papier, ça n'aurait dû être qu'une rencontre sans lendemain, une de ces collaborations comme le rap en connaît tant, qui frappent un grand coup puis se désagrégent aussi vite qu'elles ont vue le jour… Pourtant, quelque chose dans "Seconds Away" nous disait déjà que ce trio-là ne pouvait pas se quitter de la sorte. L'alliance de Maker, Adeem et djdq était tellement évidente sur disque que l'aventure ne pouvait décemment pas en rester là. Puis, peu à peu, les tournées et les tour-CD's nous ont montré que Glue n'avait pas jeté l'éponge et n'avait certainement pas dit son dernier mot. Faisant fi de leur éloignement géographique, les trois compères ont su se faire une place au soleil. A force de concerts et d'acharnement, Glue a commencé à se faire un nom et à devenir bien plus que la réunion de trois entités reconnues (mais méconnues) de l'underground… Pour preuve, le second album du trio atterrit contre toute attente chez Fat Beats Records.

"Putting the rebellion in the glow of the spotlight / Shutting up the right with a left and street fight". Comme "Sunset Lodge" le préfigurait, la donne a changé pour Adeem, Maker et djdq. Au fil des ans, des tournées et des discussions, les trois compères se sont trouvés des points communs sur le plan politique et plus que tout, une vraie envie de changer les choses. Moins écorché, moins fragile, Adeem a trouvé dans son militantisme de quoi sortir du coma et oublier momentanément les blessures du passé. Ses textes reflètent comme il se doit sa mue en activiste de premier plan (tout en évitant le moralisme comme la peste). En mission, il prend la tête de la rébellion… remuant ciel et terre pour faire bouger les choses dans un pays où le niveau d'éveil politique frôle dangereusement l'encéphalogramme plat. "More people voted for American Idol than in the 2004 presidential election". Libéré et désormais plus habité par ses idées que par ses souvenirs, il attaque le micro avec un enthousiasme qui rappelle ses heures de gloire sur la scène du Scribble Jam. Habitué des imprévus et des ambiances électriques, il semble animé ici par un feu inextinguible, rebondissant sur le beat et se délectant jusqu'à plus soif des rythmiques fournies assemblées par Maker.

Visiblement, les expériences scéniques de ces dernières années lui ont donné l'envie d'injecter une sacrée dose d'adrénaline dans la formule du trio. D'emblée, Glue annonce d'ailleurs la couleur avec un 'Catch as Catch Can' en forme d'entrée en matière rentre-dedans. Une batterie euphorique, une basse épaisse, un refrain cuivré, un Adeem revigoré : la dynamique est amorcée. Et de nombreux titres du même acabit lui emboîtent le pas, taillés pour la scène. Décortiquant son processus de travail et sa vie ou se remémorant par endroits de sa découverte du rap dans le désert culturel du New Hampshire, Adeem multiplie surtout les déclarations d'intention et les appels à la mobilisation. N'allez pas vous fourvoyer cependant… Si le contexte a changé et qu'Adeem harangue parfois les foules, il ne s'est pas métamorphosé d'un coup. Bien que ses raps cathartiques et ses prises de position lui permettent désormais de trouver un équilibre et de ne pas sombrer dans la morosité, le leader de Dorian Three reste toujours sujet à la neurasthénie et aux crises d'anxiété.

Même s'il se soigne, il se rappelle encore de cet amour perdu qui a failli le perdre. "I'm rapping to get this tension right out of my chest […] We'll do anything in our power to forget the past / Or we sing songs to make the best moments last". Et heureusement pour nous, il n'a rien perdu de ses talents de conteur et d'analyste. Dans le genre, ses confessions pleines d'honnêteté sur 'Never Really Know' ou 'Stride' constituent à nouveau des temps forts du disque. Au rayon du storytelling, on pourra difficilement passer sous silence 'Vessel'. Sur ce récit cinématographique de 6 minutes (proche d'un "A.I"), Adeem est un androïde découvrant de manière impromptue sa nature de machine. Avec un sens patent de la dramaturgie, il nous fait ressentir une à une les émotions changeantes de son personnage… bien aidé dans sa tâche par un Maker qui fait monter la tension savamment, par petites touches, jusqu'à une explosion chaotique de guitares saturées.

C'est d'ailleurs une des constantes de "Catch As Catch Can" : l'énergie et l'envie d'Adeem débordent sur les productions de Maker qui se font plus dynamiques, plus rugueuses, mais aussi plus organiques, en se teintant de couleurs rock nettement plus marquées que par le passé. "We make hip-hop so y'all could appreciate / But then remixed it so rock kids can relate […] We caused mosh pits 'cause head nods get boring". Cette évolution pourra surprendre à la première écoute. Pourtant, tout est question de détails, car à bien y regarder, les ingrédients de base n'ont guère changé : batteries intenses et mouvantes, basses souples, riffs de guitare, soupçons de saxophone savamment dosés, samples de soul discrets… L'astuce, c'est que Maker sait que le rythme est à la base de tout ; que la percussion est l'instrument originel qui véhicule les émotions les plus intenses et transmue la parole en verbe. Alors, il trouve des breaks imparables (à l'instar d'un 'Glupies' où Maker jubile), augmente le tempo et fait vivre ses titres en leur donnant une saveur live plutôt rare en ces temps… Le résultat est paradoxal: minimaliste et riche, accrocheur et musical, notamment grâce à l'apport des instrumentistes conviés par Maker. Certes, le résident d'Aurora, Illinois, oublie parfois quelques ingrédients ou épices pour pimenter ses recettes (à l'image de 'Restless' et 'A Fly Can't Bird', qui ne parviennent jamais à prendre leur envol) et la monotonie pointe par instants le bout de son nez, mais ces rares faux-pas sont aisément pardonnables à l'écoute d'un 'A Lot To Say' en forme de hit évident.

Il faut dire que, dans sa tâche, Maker est bien secondé par un djdq omniprésent, qui joue un rôle nettement plus important qu'auparavant et nous pousse à tendre l'oreille à chaque mesure. Ici, ses apports s'avèrent en effet un des rouages les plus essentiels de la belle machine Glue. Il faut l'entendre embellir de ses manipulations vinyliques le magnifique solo de trompette de 'Never Really Know' pour mieux prendre conscience de son importance fondamentale dans le rendu musical du trio. Les mémorables plages instrumentales qui sont confiées aux soins de ses platines créent des espaces de respiration et d'émotion simple bienvenus dans le déferlement de percussions et les rafales de rimes agencés par Maker et Adeem… Impossible ainsi de rester insensible au violon déchirant et à la flûte aérienne d'un 'Someone Who Dares', pur moment de grâce turntablistique.

"Talking to myself, I say self, we need a change, the kind that gets you excited to face the new day". Avec le recul, "Seconds Away" était probablement l'apothéose de tout un genre un peu vite étiqueté emo-rap. Forcément, la succession d'un tel coup d'éclat s'annonçait difficile, cinq ans après. Pourtant, Glue s'y prend assez habilement en redistribuant les cartes et en refusant de ressasser le passé à l'infini. Le regard fixé vers l'horizon, Adeem, Maker et djdq sont désormais en mission et, même s'il ne dégage pas la même aura que le magique "Seconds Away", leur second jet long format constitue l'un des opus les plus passionnants de ces derniers mois. Si "Catch As Catch Can" prendra sûrement de court une bonne partie des auditeurs, c'est aussi qu'il constitue un disque viscéral et brut dont l'urgence et l'efficacité surprennent et prennent à la gorge, mais dont le perfectionnisme a peu d'égal dans le paysage sonore actuel. Au bout du compte, Glue avance, pas de doute. Il serait dommage de rester sur le bord de la route.

Cobalt
Octobre 2006
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Label: Fat Beats Records
Production: Maker, DjDq
Cuts: DjDq
Année: Septembre 2006

01. Catch As…
02. Stride [Anxiety Get Gone]
03. Beat Beat Beat
04. A Lot To Say
05. Restless
06. State Of The World
07. A Fly Can't Bird
08. Pan Stomp
09. Making A Mess
10. Belmont And Clark
11. Hometown Anthem
12. Glupies
13. In Between Her
14. Never Really Know
15. Vessel
16. Someone Who Dares

Best Cuts: 'Glupies', 'State Of The World', 'Never Really Know'.

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