La rumeur enflait. Emanant de source sûre, on avait appris l'an passé que le crew Hieroglyphics venait, à peine quelques mois après l'acquisition d'Encore, d'ajouter à son arsenal déjà bien garni une nouvelle arme potentiellement capable de détruire tout sur son passage et de remettre l'empire Hiero sur le trône de la Bay Area. Son nom était Z-Man. Derrière ce patronyme plutôt passe-partout se cachait selon les dires des informateurs un emcee au flow increvable doté d'un charisme fou. Mais d'où pouvait bien venir ce Z-Man? Tout le monde partit en recherche d'info. Les b-boys dotés d'une bonne mémoire se souvinrent alors que Zamon Christian avait déjà commencé à faire parler de lui en 1998 avec son apparition fracassante sur le titre 'Not Our House' de ses copains de Sacred Hoop (qui brillait sur la compilation "Cue's Hip-Hop Shop"). Les observateurs les plus assidus de la west coast underground ajoutèrent pourtant qu'en dehors de son affiliation au groupe de Luke Sick, Z-Man était avant tout un membre du collectif 99th Demention avec lequel il avait inondé les bacs californiens de K7 faites maison telles que "Self Titled" ou "RSP Student". Les mêmes experts évoquèrent de plus l'existence de quelques cassettes de Z-Man en solo, à l'image de "A Verse or Two" ou "4 Hours of Sleep". D'autres se rappelaient avoir prêté une oreille attentive au "Live From The Candy House" d'un certain Gingerbread Man (qui n'est autre qu'un alter ego de Z-Man). D'autres encore savaient que Zamon avait amorcé il y a peu un rapprochement avec les Sunset Leagues (Disflex.6 et leurs amis)… Beaucoup ne savaient rien de tout ça. Mais tout le monde attendait en tout cas avec fébrilité d'entendre ce fameux Z-Dazzle sur un disque portant le légendaire logo Hiero Imperium.
Cependant, promotion de "Full Circle" oblige, la sortie de l'album de Z-Man fut un peu décalée et tout le monde dû prendre son mal en patience. En guise d'apéritif, les pontes de Hiero lâchèrent au compte-gouttes le fruit de la collaboration entre Z-Man et les beatmakers des Sunset Leagues (Elon.is et Jason The Argonaut): "Anti-Nerd". Quelques titres qui avaient permis de se rendre compte que le jeune emcee dreadlocké a en effet de quoi faire tourner les têtes pour peu qu'on lui donne de bonnes productions. Du coup, on attendait de pied ferme son premier album officiel. Précédé de quelques semaines par le maxi 'Z-Mutiny!', voilà enfin que "Dope Or Dog Food" débarque en masse dans les bacs.
Dès le départ, Z-Man crève l'écran. Sa force la plus évidente réside dans sa large panoplie de flows qui lui permet de s'adapter à tout type de beat avec un naturel déconcertant. Il y a ce phrasé fluide, élastique et vif qu'il utilise à bon escient. Il y a aussi ce flow un peu plus lent et traînant qui fait merveille et où l'influence de l'idole Too Short transparaît clairement. Il y a encore ce flow modulé et clownesque du Gingerbread Man, sorte de Tekilatex californien sous hélium ('Lightning In A Bottle'). Il y'en a d'autres… tous croustillants. Les démonstrations de flows et de "breath control" sont donc légion. Une fois combinées, elles font de Z-Man un authentique personnage de cartoon, hors-normes et déjanté. Un personnage évoluant sous le soleil de San Francisco dans un univers de beuveries, d'usage de substances illicites et de débauche bon enfant. Même s'il reconnaît que les réveils se font souvent sous le signe de la gueule de bois, Z-Dazzle prône à longueur de textes une hygiène de vie jouissive à base du triptyque sexe/drogues/alcool… et tant pis si les soirées arrosées finissent souvent dans le fossé (à l'image d'un 'Buckle Up' qui confirme que la conduite en état d'ivresse réserve rarement de bonnes surprises). Dévoilant son goût inconsidéré pour les "booty" désormais généreux de certaines jeunes blanches peu farouches ('White Girls With Ass'), racontant sa jeunesse buissonnière, rendant hommage aux grandes figures du rap de la Bay Area (tendance pimp), Z-Man part dans tous les sens et saupoudre tous ses dires d'un humour cru et sans pitié. Authentique "je-m'en-foutiste", ponctuant ses textes de punchlines hilarantes, Z-Man érige les blagues potache, les diss de gamin et la provocation gratuite en art de vivre, tout en étant conscient de la violence de son environnement. Sur 'Two Bad Ass', il lâche:
"I rap about babies havin' babies, shootin' mad needles in my arm, bustin' up freaks that are barely legal" ; pour balancer un peu plus loin derrière le masque du Gingerbread Man :
"This is the nigga that raps about beatin' up fags, burnin' rainbow flags" . Lorsqu'il verse dans l'autobiographie, se rappelle de son enfance dans la pauvreté, dresse le portrait de l'Amérique pauvre, c'est encore avec une dose de second degré bienvenu (à l'image du refrain de 'Free Spirited' qui chantonne
"Born free, hungry, ugly with no money" sur un ton enjoué). On retrouve encore ce sens de la dérision lorsque Z-Man livre le fond de sa pensée sur Dieu le temps de 'God Is Watching'. Aussi à l'aise dans l'egotrip que dans le storytelling ('Domain') ou le non-sens à la chaîne, Z-Man est décidément un sacré client. Excentrique, irrespectueux mais aussi diablement attachant et talentueux.
Mais un grand emcee ne suffit pas à faire un bon album. Reste donc à savoir si Zamon a su bien s'entourer. Or, pour ce premier album officiel, Z-Man a décidé de changer la donne au niveau de la production. Ici, la participation de son ancien producteur de chevet Slim Goodworth est anecdotique et Elon.is est lui aussi réduit à la portion congrue. En lieu et place, comme sur le maxi 'Z-Mutiny!', c'est le canadien Moss qui prend en charge la majorité des productions de "Dope Or Dog Food". Etonnant et pas vraiment rassurant quand on sait qu'en dehors d'un sympathique maxi de Saj Supreme, ce résident de Toronto a surtout produit (moyennement) pour l'entourage de D-12 et pour un Obie Trice pré-Shady Records. Rapidement, nos soupçons se confirment… Aux yeux de Moss, produire un titre est une tâche rudement simple! A écouter ses confections, pour faire un instru, il suffit de laisser tourner un sample pas très inspiré pendant 4 minutes, sans tenter d'y apporter de réelle modification, de l'embellir ou d'y imprimer une quelconque touche personnelle. Ses productions se limitent souvent à un squelette rythmique basse/batterie dénué de génie et tout juste surmonté d'un sample ou de quelques notes de claviers. Parfois, lorsque les boucles frappent juste et qu'une mélodie entêtante prend forme, la simplicité des beats de Moss est payante. Lorsque les instrumentaux sont pétillants, Z-Man parvient ainsi à nous faire apprécier sans retenue quelques titres. Sur 'Come On Gurp With Me', hit en puissance à la rythmique impeccable et au refrain entêtant, la mélodie de clavier simple mais irrésistible dénichée par Moss se positionne en écho parfait du flow swingant de Z-Dazzle. Dans le même registre, la guitare chaloupée et les bruitages de 'Z-Mutiny!' frappent tout aussi juste. Avec sa guitare bluesy, ses quelques notes de clavier obsédant et son guiro, 'Buckle Up' respire à son tour le travail bien fait. Sur le dernier quart du LP, les flûtes triturées de 'UFO', les progressions de cordes de violons pincées de 'No Cure For Sugar', l'instru synthétique rutilant aux couleurs de jeu vidéo de 'Glued' ou encore 'Sleeping Pills' sous Tranxen remplissent enfin bien leur rôle. Mais l'écrasante majorité du temps, les productions de Moss sont vraiment indigestes (le piano esseulé de 'Free Spirited', l'inchangé 'Two Bad Ass' ou le sample indigeste de 'Party On') et on s'ennuie ferme. Certains s'en contenteront. Pas nous. Trop linéaires, pauvres et faciles, certains instrumentaux réussissent même à plomber les meilleurs phases de Z (voir 'Lightning In A Bottle' à ce sujet). En conséquence, à force d'instrus raplaplats, l'écoute des 70 minutes de "Dope Or Dog Food" entraîne immanquablement une surdose de médiocrité chez le hip-hopper normalement constitué. Sans pitié, Moss n'a même pas la décence de nous épargner le titre bounce raté de rigueur (l'infâme 'White Girls With Ass'). Bref, si Z-Man a beau s'évertuer à rebondir sans cesse sur le beat, ses efforts sont souvent vains et il reste prisonnier des "compositions" convenues et sans âme de son compère d'infortune.
Alors, "Dope or Dog Food"? Comme vous l'aurez compris, la prestation de Z-Man est incontestablement dope et justifie à elle seule son intégration au sein du prestigieux bataillon Hieroglyphics… Mais, malheureusement, on est loin de pouvoir en dire autant des productions de ce LP dont l'après goût se rapproche clairement plus de celui de vieilles croquettes Liddl racies que d'un met succulent et raffiné. S'il y a quelques authentiques réussites au menu, elles se comptent sur les doigts d'une main et la médiocrité de la majorité des productions empêche clairement "Dope Or Dog Food" d'être la claque que l'on espérait. Alors, on se prend à rêver de ce qu'aurait pu être ce LP avec un bon producteur aux manettes pour soutenir le déluge de rimes première classe de Z-Man. On imagine plein de choses, on s'emporte, on divague. Mais, dans l'état actuel des choses, il reste que "Dope Or Dog Food" laisse plus de regrets que de bons souvenirs… Dommage pour un Z-Man qui méritait mieux. Espérons que son projet à venir avec son partenaire Eddie K lui permette de rayonner sur de meilleurs beats.
Cobalt Janvier 2004