En une dizaine d'années de travail et de sorties diverses, M.Fusion est parvenu à imposer son style à part dans le paysage underground de la Côte Ouest américaine. Une formule mise au point dès 2000 via le maxi "Blue" : un subtil mélange d'influences new-wave évidentes, d'ambiances électrifiées, de nappes noise qui tapissent l'arrière-plan et de breakbeats hip-hop pour former une identité sonore qui délimite le personnage dans ce qu'il a de plus particulier. Un style original que l'on retrouve rarement parmi les producteurs que nous abordons régulièrement dans nos pages.
M.Fusion œuvre à la création de paysages sonores immersifs et oppressants; une constante dans les compositions de ce producteur originaire de Los Angeles. A mi-chemin entre l'angoisse véhiculée par un univers entièrement synthétique et inamical et un hommage sincère aux formes premières du hip-hop, il s'embarque dans la production de la totalité du projet "Dead Air" aux côtés de Die Young avant d'enregistrer "Expo '70", son album de référence à n'en pas douter, grâce auquel il entérine sa relation avec les Shape Shifters et son affiliation plus ou moins directe au crew.
Depuis, inutile de se le cacher, M.Fusion se cherche et tourne en rond sans emprunter une voie nouvelle satisfaisante. Sans être parvenu à donner une suite crédible à "Expo '70", M.Fusion a multiplié ces dernières années les sorties plus ou moins intéressantes selon les cas ; que ce soit pour One Cell Records via "LXXX" en 2006 (un assemblage de remixs et une poignée de nouveaux morceaux) couplée à une seconde mouture du projet Dead Air (abordé dans nos pages) ou le sympathique mais succint "The Goth Kid EP" (qui n'offrait finalement que peu d'inédits) pour Laitdbac Records l'année d'après.
Aussi, l'annonce à l'automne dernier d'un nouveau long format solo pour l'ami Keith Ceely ne pouvait que ravir les fans de la première heure qui peinaient à dénicher de nouvelles productions à se mettre sous la dent ces dernières années. "This Solution" apporte un vent de fraîcheur dans la discographie d'un M.Fusion qui commençait à tourner en rond, jusqu'à perdre le sens de la marche à suivre.
Sans rompre catégoriquement avec la formule qu'il a développé au fil des sorties dans les bacs, le producteur se laisse aller à l'élaboration d'un album avec sa propre logique, son propre univers peuplé de références personnelles qui ont façonné le personnage qu'est devenu M.Fusion. A commencer par cet étrange remix de 'The Passenger'; morceau composé en 1980 par le groupe de new-wave originaire de Los Angeles Wall Of Voodoo. Comme une révérence explicite à ce qui l'a construit, M.Fusion extirpe les paroles mystiques prononcées par Stan Ridgway et leur offre un nouvel écrin envoûtant et ésotérique. A l'image des propos du guitariste :
"A telepathic line to a shadow / On the wall, just a passenger and that is all / Taking off on a midnight flight / The airline ticket in his hand held tight / Polar route, destination: Oblivion..."
A l'instar de "Expo '70", M.Fusion livre un album autant personnel que dérangeant. Lorsqu'il laisse tourner près de la moitié de 'American Bandstand' avant de faire intervenir le premier breakbeat, M.Fusion tente avant tout de dépeindre des paysages monochromes, autoriser l'auditeur à identifier des formes et des décors avant même de l'agripper au col via la lourdeur du rythme et cette toile de fond noise à souhait, jusqu'à s'y noyer.
Cette absence de schéma routinier est ainsi répétée à plusieurs reprises le long des 45 minutes de l'album. A tel point qu'il se laisse aller complètement sur l'angoissant 'Freedom 1', où seuls quelques bruits de machines, la pesanteur d'une ligne de basse maintenue (évoquant le bourdon d'hypothétiques véhicules de surveillance au-dessus de la tête de l'auditeur), la voix robotique comme seul interlocuteur et, plus encore, comme seul élément vivant durant les 4 minutes du morceau, sont les seuls éléments à même de donner vie à ce morceau. Loin des routines instrumentales usuelles. De quoi en décontenancer plus d'un, peu habitué à ce genre de fantaisies lorsqu'il s'agit de hip-hop. Aussi désenclavé soit-il.
Mais cette formule ne va pas sans traîner son lot d'errances dans les compositions de ce "This Solution". A commencer par l'impression manifeste de lourdeur qui peut ressortir de l'écoute de l'album. 'Say Nothing', aussi évocateur soit-il, laisse effectivement l'auditeur circonspect lorsqu'il est pris à témoin de cet enchaînement de vagues de synthés sans autre forme de fioriture que la seule combinaison de ces claviers le long des quatre minutes du morceau.
De même, M.Fusion tente clairement d'alterner entre les ambiances prenantes, les rythmes galopants et saturés au possible et les horizons qui laissent l'auditeur songeur et pensif. C'est le cas lorsque l'on traverse à toute vitesse le très "drum-n-bass" 'The Brain' pour atterrir plus loin dans les environs apocalyptiques d'un 'The Record' de facture plus classique (servi par une combinaison "synthés / breakbeat" plutôt efficace) ; non sans s'empêtrer dans un 'The Fall' dispensable.
Le travail de M.Fusion, son savoir-faire pour la confection d'ambiances imagées, n'est pas sans rappeler le travail d'un compositeur d'une bande originale affairé à habiller un flot d'images avec un ensemble de musiques cherchant à répondre à une logique pré-établie. Pour "The Solution", ce sont les images qu'il a dans l'esprit que M.Fusion a tenté d'éclaircir via la manipulation de boucles, samples et autres breakbeats. L'intention est manifeste et aurait pu s'avérer un choix tout à fait judicieux dans d'autres circonstances. Ici, M.Fusion déborde parfois d'un trop-plein d'éléments, additionnant les couches là où il aurait peut-être fallu en soustraire une poignée, ou au contraire peine à faire entrer ses arrêts contemplatifs dans la logique d'ensemble de l'album.
"This Solution" semble,
in fine, desservi par ce rythme bâtard auquel on a du mal à vraiment s'accommoder. Pris un par un, les 13 morceaux qui composent l'album possèdent d'indéniables qualités. Mis bout à bout, ils peinent à démontrer une réelle cohérence dans le déroulé.
Et pourtant, sur des bases tout à fait chronologiques, la première partie de l'album est de qualité et démontre à qui veut l'entendre que M.Fusion n'est pas le premier producteur venu, loin s'en faut. Dans ce style personnel et caractéristique, il a mis au jour une série d'exercices de style à la manière d'un MC. Sur ses bons moments, "This Solution" livre des prestations ayant peu d'égal en matière de hip-hop instrumental aujourd'hui (si tant est que l'on puisse se contenter de qualifier ça de cette façon) : originales, variées et singulières lorsque M.Fusion fait parler ce style atypique. Derrière ses moments d'errance, ce nouveau LP, par ce trop-plein, semble cacher en vérité un manque de contenu et l'absence d'une simplicité dans la manière de présenter les choses.
"This Solution" est tout de même un retour aux affaires satisfaisant pour un Keith Ceely qui semblait petit à petit se glisser derrière les ombres et les voix distordues qu'il manipule sur disque pour disparaître lentement mais sûrement. Que nenni! Le producteur angelino pioche dans ses références new-wave et "indus" pour balancer un LP plutôt recommandable pour ceux qui le suivent depuis plusieurs années déjà ; offrant presque une formule satisfaisante éloignée de ses pratiques sur "Expo '70".
Dans un univers où le tragique prend le pas sur la légèreté et la candeur, M.Fusion livre pleinement sa vision monochrome d'une musique dont on ne soupçonnait qu'elle fut aussi lourde de sens et soumise uniquement à son propre diktat : le témoignage fidèle d'environnements inamicaux mais parfois captivants.
Newton Mars 2009