Les Escape Artists, c'est déjà pas moins de 3 albums officiels, une alliance de voix bien équilibré, un paquet de concerts, une poignée de CD-R's sympathiques, une presse plutôt sensible à leurs aventures sonores (en particulier "Plot Against Theme"), des collaborations avec des pointures de l'underground d'outre-atlantique (2Mex, Radioinactive ou encore Thesis Sahib), une vraie amitié avec Awolrus One et les zigotos de Cavemen Speak, une des femcees les plus enthousiasmantes de la foisonnante scéne angélino en la personne de la touchante Ahmuse… Et pourtant, il semble que la petite équipe californienne manque systématiquement la dernière marche ; celle qui lui permettrait de se faire définitivement un nom dans nos contrées pourtant friandes de gâteries de cet acabit.
Contre toute attente, c'est peut-être bien par la musique que ce dernier obstacle vient d'être franchi. Contre toute attente, parce que, chez les Escape Artists, les mots ont toujours été au centre des préoccupations. Normal pour un groupe née d'une passion commune pour la poésie et l'écriture… N'empêche qu'avec une telle approche certains avaient pu (et on ne leur en tiendra pas rigueur) passer à côté du talent de compositeur du discret Xczircles. Il faut dire que le maître d'œuvre et homme à tout faire des E.A. (emcee, beatmaker, ingé son et attaché commercial) a souvent opté pour des textures froides, des sons minimalistes et des compositions éthérées tout sauf démonstratives, dans le cadre de son travail avec Aamir, Ahmuse ou Amnesia.
Quoiqu'il en soit, en parallèle des morceaux parus sur les sorties du groupe et des Sons of Mammal, l'ami Xczircles a pris pour habitude de réaliser pour son plaisir (et ses trajets) de petits mixes à partir des dizaines d'instrus qui dorment dans ses machines, faute d'être parvenus à se frayer un chemin sur l'un des multiples projets dans lesquels X met son nez. Confidentiels jusqu'ici, ces petits patchworks instrumentaux ne devraient plus le rester bien longtemps… vu que l'un d'entre eux s'est retrouvé entre les mains d'Anthony Gilbert l'an passé. Ce dernier, alors en train de mettre sur pied Net31 Records, réincarnation du défunt label Beyond Space Entertainment (via lequel il avait déjà publié "EA3" en son temps), tombe sous le charme et décide d'en faire l'une des toutes premières sorties de sa nouvelle enseigne.
Voici donc "The Purge", agglomérat de beats et de samples de tout bord dont l'écoute évoque mille paysages différents ; réunion disparate de compositions nébuleuses assemblées par Xczircles depuis le début du millénaire, qui se trouve ici sertie d'un artwork classieux pour le moins réussi. Si l'on se base uniquement sur le format, sur la concision des différentes plages (une seule atteint la barre des 2'30) et sur le défilement des titres, "The Purge" a tout d'une mixtape. Pourtant il serait réducteur d'utiliser ce qualificatif, tant il se dégage une réelle personnalité de ce long fondu enchaîné en forme de plongée en eaux troubles.
Dès le départ, le décor est installé et derrière le calme apparent, on sent qu'une menace sourde plane au-dessus de nos têtes.
"A story about passion, bloodshed, desire and death… Everything in fact that makes live worth living". Flûte torturée, piano grave, basse enveloppante, nappes hypnotiques, extraits de films obscurs, craquement de vinyle, chants distordus, claviers intrigants, saxophones crépusculaires, batteries détaillées ballotées par des courants contraires… Au fur et à mesure que les minutes passent, une multitude de fragments sonores attirent successivement l'attention puis résonnent durablement dans les tympans. Au milieu des histoires (muettes) de possession où le malin est à l'œuvre, Xczircles s'autorise bien quelques moments de détentes, quelques montées d'adrénaline ou une brève incursion au pays des mille et une nuits (cf. piste 19), mais manifestiment les ambiances nocturnes dominent et ensorcellent, baignées d'une sorte de fatalisme, et versant à l'occasion dans une magnifique mélancolie. A l'instar de cette piste 33 où une nappe enivrante s'allie à une rythmique trébuchante pour donner corps à un monologue halluciné en forme d'oraison funébre.
"The sun goes down and comes up again / I can't remember where I've been / The Ferris wheel goes round and round / I wonder if I'll hit the ground / I almost do-- I almost do / But then somehow I've made it through!" C'est paradoxalement au beau milieu de ces midtempos obscurs (mais pas monochromes) que le sens inné du sampling du maître des lieux apparaît au grand jour. Tout y passe : folk religieux, musiques de films, électro étrange, blues, soul, curiosités sonores et surtout un jazz brumeux et cosmopolite… Les sources sont variées et pourtant, ce qui frappe, c'est bien la cohérence des orchestrations minimalistes proposées par Xczircles. Son procédé est simple mais payant, laissant les boucles faire naître les émotions d'elles-mêmes, les ornant simplement de quelques notes de claviers ou de basse. A l'occasion, les samples sont même livrés nus, sans le moindre ajout, dans leur plus bel apparat. Le californien a du flair et sait quand ce n'est pas la peine d'en rajouter.
Quand il détourne habilement la contrebasse de 'Somewhere Over The Rainbow', lui adjoignant simplement une batterie lancinante, quelques notes de piano et un soupçon de saxophone, le résultat est délicieux. Quand il sort de nulle part une mélodie d'accordéon cafardeuse, on frissonne... En une poignée de mesures, Xczircles parvient à installer une ambiance puis à la détourner habilement, sans qu'on s'y attende, à la faveur d'une subtile variation de lumière. Du coup, si "The Purge" est un vrai album d'atmosphères qui privilégie clairement les rythmes posés et l'introspection, il sait se montrer constamment différent et sombre rarement dans la monotonie (tout juste notera-t-on une demi-douzaine de titres passe-partout en cours de route), profitant adroitement de la briéveté de ses différents passages.
Eclairée par quelques moments de grâce, cet album instrumental atypique installe en tout cas définitivement Xczircles dans la shortlist des producteurs les plus doués d'une scène west coast underground toujours aussi foisonnante. "The Purge" s'écoute comme un voyage à l'intérieur de cet esprit ténébreux mais vagabond qui a su mettre en musique ses démons et ses passions. Xczircles signe là sans l'ombre d'un doute l'un des projets les plus réussis de ce début d'année (par ailleurs un peu morose). Sachant qu'il compte sortir ces jours-ci "Overpass Café" le second LP des Sons of Mammal (après le réussi "Memory Burn") et qu'il travaille actuellement sur le prochain Escape Artists et sur un autre projet solo, gageons que cette année devrait permettre au camp E.A. de sortir des coulisses pour prendre un peu plus la lumière. On ne s'en plaindra pas.
Cobalt Février 2007