Juste avant que "Ravipops" soit déposé dans les bacs du monde entier et officialise l'affiliation entre C-Rayz Walz et Definitive Jux, le Suncycle Emcee avait décidé de déposer un dernier album totalement indépendant dans les bacs des magasins spécialisés de la Grosse Pomme et sur le net afin de dévoiler certains titres qui résidaient dans ses archives depuis quelques mois. Intelligemment sous-titré "The Outroduction", "Limelight" sert donc de testament au C-Rayz Walz pré-Def Jukie.

Redoutable dévoreur de micros et de wacks, l'imprédictible enfant du Bronx nous sert une nouvelle dose de son mélange unique d'humour, de folie et de références Five Percent avec sa fougue habituelle. Le festival de punchlines est constant. Rien que sur 'Post Up', on peut relever un nombre impressionnant de hip-hop quotables en puissance : "I can't stand y'all, I should make y'all sit down / I'm an asshole!? Well, let me drop this shit now", "I'm all over the net/ Like a clumsy insect"… Mais C-Rayz a eu assez de jugeotte pour varier un peu les thèmes et éviter de rester en pilotage automatique comme il l'a trop fait sur "Ravipops" par exemple. Evoquant à plusieurs reprises sa jeunesse délinquante et la violence inhérente à son mode de vie passé ('Everything', 'Life Time Bid'), il évite de tomber dans les clichés de la glorification facile et garde toujours son humour à portée de main. Ainsi, sur 'We Don't Spend' (malheureusement handicapé par un instrumental indigeste), il prend le contre-pied de la mode bling bling en pondant un hymne à la gloire de tous les hip-hoppers fauchés. La variété des thèmes, des flows et des ambiances fait plaisir à entendre.

Mais la comparaison avec "Ravipops" donne encore l'avantage à "Limelight" sur bien des points. Et en particulier au niveau de la production. Si C-Rayz Walz s'est aussi entouré de plusieurs producteurs ici, l'effectif est moins pléthorique mais aussi plus réputé. De plus, le temps a été laissé aux collaborations de prendre forme. Ainsi, le talentueux acolyte de DJ JS-One, Dub-L, se voit confier 3 titres (dont 'Sun Rise Setting'); Calcutta a le droit à 2 réalisations et l'immuable Plain Pat se fend de 4 productions de qualité. Pour l'anecdote, on remarquera que derrière le pseudonyme d'A.Ranger et la production du solide 'Life Time Bid' se cachent l'ancien producteur du gouffre devenu depuis acteur oscarisé : Adrien Brody ('Le Pianiste'). Evidemment, il y a une poignée de titres plats qui viennent faire baisser la pression compte tenu de la multitude de participants. Mais si on a le droit à quelques ratés par endroits ('Street Talk', We Don't Spend'), les alliances évoquées maintiennent le niveau et fournissent les meilleurs moments du LP. Du coup, l'album se montre bien plus homogène et constant que "Ravipops". Ironie du sort, il se montre même plus cohérent tant au niveau musical que lyrical alors qu'il résulte principalement d'une compilation de titres sans rapport entre eux…

Comme souvent, c'est au cœur de l'alchimie avec Plain Pat que sont taillés les plus beaux diamants de ce "Limelight" Sans être un producteur particulièrement original, Pat sait indéniablement mettre en valeur C-Rayz et coller à son style. Il sait aussi en extraire ses meilleurs textes. De l'exercice de style 'Sports Ville' (egotrip parsemé de références sportives de tout bord) au pamphlet haineux à forte teneur politique 'AWOL' en passant par le paranoïaque 'The Outroduction' ou un 'Balance' abordant l'ambivalence requise par la vie de rue, les alliances entre les 2 compères sont mémorables et mises en musique de belle manière tantôt à l'aide de guitare acoustique, tantôt à l'aide d'une boucle d'harmonica mélancolique et parfois avec un sample vocal angélique.

Globalement le bon l'emporte donc et, si vous êtes adeptes du crew Stronghold mais que vos poches sont peu garnies après un été de dépenses, préférez l'original underground "Limelight" à la grosse production Def Jux aux couleurs ternes. Plus cohérent, mieux balancé et tout simplement meilleur, il devrait satisfaire l'appétit insatiable des adeptes de boom-bap new-yorkais et de emceeing excentrique. Sans avoir la fraîcheur, l'inventivité ou la force de "The Prelude", cette outroduction rassure quant au talent de la tête d'affiche de Stronghold et constitue un achat bien plus recommandable que "Ravipops".

Cobalt
Août 2003