Quatre ans se sont écoulés depuis que Vaughn Robert Squire a mis un point final à la première partie de sa carrière. Le label "The Psyche Years" désormais accolé à cette période vit l'avènement des 1200Hobos, le passage éclair de la comète Sebutones modifiant dans son sillage l'axe de la planète rap underground de la fin des années 90, ou encore une participation active à la naissance de la fourmi anticonienne qui allait enfanter par la suite une ruche grouillante d'expériences musicales inédites...
Le canadien moustachu multipliait les expériences et les albums trônant désormais avec prestance dans les collections des quelques cratediggers déjà tournés vers le Canada à l'époque. "Duration", "Songs I Hate...", "50/50 Where It Counts"... autant de disques qui ont contribué à forger le son 6-2 reconnaissable entre mille et à faire de leur géniteur une référence incontournable pour de nombreux beatmakers. Une icône de l'underground nord-américain, à n'en pas douter. Mais ces
psyche years appartiennent désormais à un passé qui, peu à peu, disparaît des bacs des disquaires pour entrer dans la petite histoire d'une scène canadienne avant-gardiste et en constante effervescence.
Car voilà, oeuvrant dans une relative clandestinité depuis 1994 et "Superstar Props", il était indispensable que le faiseur de sons d'Halifax réussisse à s'extirper de ce statut afin de lancer une carrière pour le moment confinée aux ruelles annexes, difficilement éclairées par la ferveur de quelques activistes passionnés. Surtout que Sixtoo se voyait inévitablement comparer avec l'envol réussi de son comparse des débuts (Stinkin' Rich aka Richard Terfry aka Buck 65) signé depuis quelques années sur Warner Music Canada et jouissant d'une réussite et d'un succès critique inégalés chez les anciens d'Halifax...
Après l'aventure Mush et le remarquable "Villain Accelerate", c'est en 2004 que la carrière de Sixtoo prend ainsi un tournant lorsqu'il se fait débaucher par Matt Black et Jonathan More (oeuvrant par ailleurs sous le nom de Coldcut), les fondateurs de la structure Ninja Tune. Auteur d'un seul album à ce jour sur le label anglais (le mitigé "Chewing On Glass & Other Miracle Cures") et d'une poignée de 12", ça n'est que trois ans plus tard que Sixtoo nous offre la suite de ses aventures avec cet énigmatique "Jackals And Vipers In Envy Of Man". Trois années durant lesquelles Sixtoo a oeuvré sur différents fronts pour s'extirper du carcan sonore dans lequel il avait vu sa renommée grandir. Ainsi, il semblait logique d'obtenir de la part du canadien un grand écart musical, la découverte de nouveaux horizons et, accessoirement, un projet un peu plus excitant que son premier effort solo chez les ninjas britanniques.
Ce nouvel album était donc logiquement attendu au tournant. Pourtant... Cueillis en plein vol par une poignée de désillusions; voilà le sort qui semble réservé aux quelques espoirs placés en ce nouvel opus au titre déconcertant. Car peut-on vraiment qualifier ce "Jackals And Vipers In Envy Of Man" d'album en bonne et due forme? Composé de treize parties anonymes et innommables autrement que par leur place dans la file d'attente, cette nouvelle livraison ressemble plus en réalité à une compilation de sets joués durant de nombreuses prestations live dans des clubs et autres salles. Transposés sur une pléthore de machines en studio, un lifting sonore a été opéré pour offrir un son plus proche des standards attendus pour un album digne de ce nom.
Mais s'égrenant les uns après les autres, tous les morceaux se contentent d'une place prédéfinie, confortablement installés dans des cases pré-remplies et propres sur elles. Cette impression que rien ne déborde semble être collé avec force sur la petite quarantaine de minutes de musique ici offerte par Sixtoo. De cet album, il ne se trouve pas grand chose à redire. Le maître d'oeuvre ne semble pas vouloir mener l'auditeur vers un but précis, préférant faire montre d'un catalogue de sons électro redondants, parfois sans âme, dont on sait Ninja Tune capable de temps à autres et qui tend à relativiser la place actuelle du label (qui fut cependant, lors de la décennie précédente, l'un des chefs de file de tout un mouvement britannique qui allait imposer sa marque de fabrique sur la musique mondiale).
Le plus impressionnant reste cette sensation étrange, invariablement drainée par les rythmiques quelconques, les samples épuisants et les filtres qui semblent venir d'une autre époque que celle où s'activent avec mollesse les 13 parties de l'album déroulées au creux d'oreilles circonspectes... Qui pensait Sixtoo capable de fournir un album qui peine péniblement à décoller des machines dont il est issu? Inévitablement, cette question en appelle une autre: qu'est devenu Vaughn Rob Squire au cours de ces années?
La réponse se trouve encore et toujours derrière les décors de grandeur que semble offrir Ninja Tune. En sous-marin, Sixtoo est porteur d'une multitude de petits projets enthousiasmants et porteurs d'un réel intérêt musical (pour lesquels nous nous sommes d'ailleurs souvent enthousiasmé). Au premier rang desquels Megasoid. Dernier projet en date, ce crew formé avec Hadji Bakara (membre du groupe indie-rock Wolf Parade) fait transpirer les dancefloors de Montreal et voit Sixtoo explorer plus loin que les frontières qu'il s'était fixé; que ce soit en club où sous un pont, les machines bien campées sur la camionnette transformée pour l'occasion en un sound-system dégueulant tout ce qu'il peut.
Plus connue par les amateurs du beatmaker canadien, sa collaboration avec Marco, oeuvrant lui aussi chez Ninja Tune mais surtout fondateur de Bully Records; un petit label indépendant vecteur d'un hip hop instrumental représenté de la plus belle des manières par le projet "Next" ou les différents maxis de très bonne tenue sortis à ce jour (à travers, entre autres, l'avènement de Six Vicious, alter-ego musical de Sixtoo le temps d'une poignée de morceaux; véritables héritiers de ce qui fut). Ainsi, rien ne semble plus évident que l'existence d'une double identité à travers ce grand écart conceptuel.
"Chewing On Glass..." était le point de départ de cette nouvelle vie musicale sur Ninja Tune, une transformation qui tourne malheureusement en déconfiture puisque ce "Jackals And Vipers" entérine certainement l'installation de Sixtoo dans un décor en carton-pâte orné d'une électro-trip-hopesque bon enfant, bon public et trop peu excitante pour qu'elle soit montrée du doigt comme une mutation du meilleur acabit. Vers où Sixtoo a-t-il décidé de se diriger? Il paraissait indispensable d'obtenir une réponse ferme de la part de ce nouvel album de l'ex-Sebutones. Il n'en est rien. En lieu et place, une musique à mi-chemin entre tout, compromise à quelques cafouillages et balbutiements caricaturaux. Une musique anonyme, à l'image du peu de cas fait des patronymes des treize mouvements de cet album.
De la platitude des breaks utilisés, c'est avec une impression d'inachevé que nous quittons ce monde artificiellement sombre et torturé, repeint à la va-vite par l'ancien graffeur, l'esprit ailleurs, armé d'une bombe noir bon marché et d'une sévère panne de créativité.
Newton Septembre 2007