Dur de donner suite à un album de la trempe de "Let's Get Free". Car ce premier opus du duo a su fédérer sous la bannière du groupe tous les amateurs d'un hip-hop ultra-politisé mais qui n'a pas oublié que le rap est avant tout une musique. Avec ses ambiances acoustiques et ses textes explosifs, dead prez (en minuscules messieurs) s'est imposé comme un îlot d'intelligence au milieu d'une scène new-yorkaise gangrenée par le matérialisme. Une sorte de P.E. mélodique agrémenté d'une imagerie Red, Black & Green. Les déboires administratifs de Loud ont ralenti le groupe dans la confection de son second LP et c'est pourquoi le label Holla Black sort ce mois-ci en indépendant un disque rassemblant quelques raretés, des titres bien connus et une flanquée d'inédits de Sticman et M-1 enchaînés sans fioritures et sans réel mixage (contrairement à ce que laisse entendre le titre).
On a la joie de retrouver quelques-uns des meilleurs titres de dead prez qui auront échappé à ceux qui se sont arrêtés à "Let's Get Free". Dans cette catégorie on citera en premier lieu l'excellent 'Sellin' D.O.P.E.' qui déplore l'injustice d'un système qui condamne les jeunes du ghetto à l'engrenage du deal et de la prison. 'Food, Clothes + Shelter Pt. 2' reste lui aussi toujours aussi bon. La production superbement minimaliste et hypnotique sert parfaitement les flows des 2 emcees qui rejettent violemment la culture matérialiste et hypocrite qui domine la vie des américains. Une constante du duo que l'on retrouve sur quasiment tous leurs titres. D'ailleurs, le temps de l'interlude 'Hit Me Hit Me', ils appellent sur un écrin de tambours les plus riches noirs américains à lâcher quelques sous pour la cause... entre humour et militantisme. Ils se montrent intraitables envers les agissements obscurs de l'État américain et de la police. Leurs remarques dénotent d'une vraie analyse des problèmes mais ils tombent souvent dans un manichéisme primaire qui nuit à leur clairvoyance. Que penser en effet du refrain de 'Know Your Enemy' :
"George Bush is way worse than Ben Laden is!". Tout n'est pas rose mais quand de là à franchir un tel pas... En tout cas, on ne peut que reconnaître que les dead prez restent fidèles à leur ligne de conduite et à leurs appels à la révolte ('We Need A Revolution', 'Get Up') et les en féliciter. Sortant des sentiers battus, dead prez reprend aussi à son compte quelques titres phares du rap de Brooklyn pour des versions politisés réussies. Ainsi 'That's War' utilise l'instru du 'Whoa!' de Black Rob tandis que 'B.I.G. Respect' rend hommage à Notorious en recyclant les rythmes de 'Juicy'.
La petite déception de l'album vient du fait que la plupart des productions sont ici bien moins travaillées que celles de "Let's Get Free". Tahir (qu'on soupçonne d'être responsable d'une bonne partie des productions) imprègne les inédits de rythmes bounce. Si cela amène un réel dynamisme à des morceaux comme 'Turn Off The Radio' et 'We Need A Revolution' (où elles se trouvent alliées à une boucle de violon intrigante), ces notes bounce synthétiques un peu simplistes desservent vraiment 'Know Your Enemy' ou le remix inutile de Hip-Hop qui tombe dans un fouillis sonore total. On a aussi parfois la fâcheuse impression que ce projet parallèle à été utilisé comme un tremplin pour les affiliés du groupe.. ce qui nous gêne un peu, vu que leurs disciples sont loin d'avoir leur charisme et leur talent ('No Love', 'Soulja Life Mentality'). Le bilan est donc mitigé...
Contenant de pures perles mais aussi des titres de remplissage, "Turn Off The Radio" dresse un portrait très juste de dead prez mais est un album un peu bâtard qui manque parfois de cohérence. L'ensemble est pour le moins hétérogène. En conclusion, il sera un parfait complément pour ceux qui veulent en connaître un peu plus sur le passé et l'actualité de Sticman et M-1 mais il risque de ne pas combler les attentes des fans de longue date qui trouveront que les (vrais) inédits de valeur sont peu nombreux.
Cobalt Décembre 2002