Dès ses débuts vinyliques avec le EP "Premonitions" en 1999, il était clair que Jehst irait loin. Son flow, sa diction particulière, la profondeur de ses lyrics malgré son jeune âge: tout concourrait pour faire de lui l'un des grands espoirs du hip-hop britannique. Dès lors, depuis qu'il a rejoint les rangs du très recommandable label Low Life, l'histoire de J-Star se rapproche à s'y méprendre au récit d'une ascension inéluctable. Affirmant son talent sur son second EP "The High Plains Drifter" en 2001, récoltant des louanges à chaque nouveau maxi, volant la vedette à chacun de ses hôtes successifs (qu'ils se nomment Task Force, Braintax, Universal Soldiers ou encore Lewis Parker), enchaînant les concerts sans coup férir, Jehst est peu à peu devenu un personnage incontournable du rap d'Outre-Manche. Du coup, avant même que son premier album "Falling Down" ne débarque sur Low Life, certains n'hésitaient pas à lui accorder d'emblée le titre de meilleur emcee anglais! Maintenant que "Falling Down" débarque dans nos contrées après avoir collectionné les remarques élogieuses dans la presse anglaise, à notre tour de le mettre à l'épreuve et de voir de quoi il en retourne. Lumières...
Jehst, c'est avant tout un emcee qui sort du lot: un phrasé nonchalant qui se rend maître de n'importe quel rythmique, un accent et un argot londoniens assumés, une redoutable expertise des jeux de mots et des contretemps, une voix claire, un vocabulaire recherché et un magnétisme rare. Un sens du rap inné en quelque sorte. Avec son ambiance aurorale, l'implacable introduction de l'album devrait suffire à convaincre ceux qui ne connaissent pas encore Jehst du talent du jeune prodige. Sur un lit de violons sublime, un clavier caressant et quelques cuivres, Jehst y livre d'une traite un texte en forme d'autoportrait parsemé de métaphores flamboyantes, de références british et de phases mémorables. Entrelaçant les thèmes à coup d'egotrips truffés de réflexions sociales bien senties et d'images évocatrices, Jehst peint son quotidien et sa personnalité au fil de l'album. Livrant ses idées noires sur 'Die When U Die' (
"I hold hope for the globe in a closed palm, locked in a gold heart"), se faisant l'écho des poisons insidieux de notre époque sur 'Falling Down' ou évoquant sa relation amoureuse torturée le temps de 'ESP' (
"The cause of my pain and the remedy"), il sait se montrer volatile et à l'aise dans tous les registres. Ainsi, sur la basse chaloupée et la rythmique écrasante du captivant 'China Shop Taurus', il nous invite à une visite guidée nocturne dans les quartiers londoniens sous tension tandis que, dans un joyeux chaos, 'Manimals' nous invite plus loin à faire un tour métaphorique dans la jungle qu'est notre monde. Avec son côté anti-establishment et sa belle panoplie de thèmes,
"The rebel with a cause without pause for thought" a plus d'une corde à son arc.
Dès lors, on commence mieux à comprendre l'enthousiasme que suscite ce jeune emcee à la volonté inflexible.
Mais Jehst, ce n'est pas que ça. C'est aussi un producteur plutôt doué qui déniche des samples simples mais bien trouvés qu'il surligne de rythmiques mixées en avant et à l'occasion de lignes de basses épaisses. Classiques mais efficaces, subtilement inventives et souvent ponctuées des cuts précis de DJ IQ ou Mr. Thing, les productions de notre cher William Shells sont des rampes de lancement solides pour ses rimes. Le premier maxi issu de l'album nous l'avait déjà montré. Avec ses percussions trébuchantes, sa guitare orientale, sa basse mugissante en arrière-plan et ses bruitages discrets, le minimaliste 'Run Hard' installe en effet une ambiance proche de l'expérience psychédélique qui devient vite addictive une fois sertie du flow off-beat de Jehst. Agissant à un autre niveau, les nappes planantes de l'hypnotique 'Monotony' (qui se trouve être le second maxi) font au moins autant d'effet. Produisant tout le premier tiers de l'album, le Drifter cède ensuite les manettes à quelques-uns de ses beatmakers favoris, dont ses collègues de Champions of Nature et YNR. En dehors de 'Move Back' et 'Die When U Die' qui pêchent par trop de linéarité, ces apports extérieurs se montrent à la hauteur, sans jamais nuire à la cohérence de l'album. LG est particulièrement au diapason. Sa composition atmosphérique ponctuée de boucles fantomatiques pour 'ESP' et la complainte déchirante de 'Falling Down' invoquent des images en accord avec les mots. Si la majorité des producteurs évolue dans le même type d'ambiances minimalistes et froides que celles affectionnées par Jehst, Lewis Parker se démarque. Déboulant avec quelques vinyles poussiéreux, il fait une fois de plus forte impression. Une ligne de basse irrésistible, un clavier saisissant, un soupçon de cuivres atmosphériques et voilà que l'état des lieux militant 'Brimstone Rock' devient un des sommets du LP avec son ambiance jazzy enfumée. Servi par une contrebasse entraînante, la réunion Klashnekoff / Lewis Parker / Jehst qu'est 'Give It Here' pénétre elle aussi rapidement notre esprit. Bref, Lewis Parker amène un plus indéniable à "Falling Down" en lui insufflant un peu plus de chaleur et en lui donnant au passage quelques-uns de ses meilleurs moments. De quoi rassurer ceux qui avaient pu être déçus par "It's All Happening Now".
Au final, on peut dire avec assurance que Jehst a bel et bien réussi son entrée dans le grand bain. A l'écoute, "Falling Down" se démarque par une belle unité et une vraie personnalité. Plutôt balisé au niveau sonore, ce premier opus longue durée de Jehst est un album de caractère, dense, solide, stylé et rudement bien mené qui s'impose logiquement comme une des meilleures sorties anglaises de ces dernières années. Réellement empreint d'une identité anglaise, éclaboussé par le talent de Jehst, "Falling Down" vient sans mal rejoindre (et même dépasser) le remarquable "Biro Funk" de Braintax au rang des albums Low Life à ne pas manquer. Il serait vraiment dommage de faire l'impasse.
Cobalt Avril 2004