Avec "Masquerades & Silhouettes" premier mini-album singulier au charme envoûtant, Lewis Parker avait su séduire la critique et s'imposer d'emblée comme un des rappers anglais les plus passionnants. Producteur, rapper et DJ, il offrait déjà un univers sonore très abouti où une poésie indéniable le disputait à une science des beats personnelle. Mais depuis ce coup d'éclat en 1998, le jeune homme s'était fait discret ne produisant qu'avec parcimonie pour des membres de son entourage... "Its All Happening Now" annonce enfin son retour au premier plan toujours sur Melankolic, le label de Massive Attack.
Lewis Parker, c'est avant tout une empreinte sonore mémorable où des mélodies éthérées se mêlent à des beats rugueux pour créer un déséquilibre enchanteur. Toujours armé de sections rythmiques vigoureuses, Lewis sait alterner avec discernement des ambiances mélancoliques ou brutales à l'aide de samples sortant de l'ordinaire. Piochant aussi bien des violons, que des harpes, des pianos, des xylophones, des claviers, des cuivres, des triangles ou des samples vocaux, il met en place des bandes originales toutes en subtilité comme seul un vrai crate digger sait le faire. Une passion de la musique qu'il évoque sur 'Mum's The Word', sorte de guide du crate-digging à l'usage des novices porté par un riff de guitare acoustique renversant. Au rayon évolution, ce nouvel album voit Lewis Parker utiliser un découpage plus dynamique de ses boucles. Quoi qu'il en soit, on continue de bouger la tête tout en s'extasiant sur la beauté des mélodies. Les refrains scratchés qu'il utilise souvent se démarquent encore par l'originalité des sources et évitent de sonner comme du sous-Premier.
Le flow de Lewis est, comme sa musique, fait de déséquilibres. Son phrasé articulé mais rapide sonne comme un freestyle tandis que ses lyrics poétiques s'avèrent complexes et intelligents. Sur 'Communications', il nous livre aux côtés de Jehst une réflexion sur l'omniprésence de la technologie dans nos vies et sur le renfermement sur soi qu'elle a entraînée. Un titre qui trouvera on l'espère un écho particulier chez tous les web addicts de notre sorte... et nous invitera à sortir un peu. Sur 'It's All Happening Now', c'est à un état des lieux des dérives et des abus qui noyautent notre société à tous les niveaux (finances, musique, médias...) que Lewis Parker se consacre. 'Incognito' aborde aussi sans équivoque la course effrénée vers la monnaie qui régie la monde. 'What The Ancients Part 2', qui met en exergue la nécessité de se rappeler les bases du hip-hop pour mieux avancer, est lui empreint d'une relative nostalgie. Mais Lewis s'est cette fois autorisé une vision plus optimiste des choses... autant que faire se peut en tout cas. A côté des textes à thèmes précités, les egotrips sont donc légions... non sans que Lewis y intégre une certaine dose de conceptualisation pour ne pas trop se fondre dans la masse. C'est peut être l'influence de son crew C.O.N. (Jehst, Profound, Klashnekoff, Supa T & Apollo) qu'il invite allègrement le long des 23 plages de son album. Lewis se paye même le luxe de convier une autre pointure du rap britton en la personne de Blade sur 'The Chase'. Cette pléthore de collaborations ne nuit pourtant pas du tout à la cohérence du Lp comme Lewis a sû garder le contrôle de tous les aspects de ses morceaux. On dénote même un gros travail sur les enchaînements. Les titres se suivent en effet sans heurts et gardent souvent des liens entre eux sans que le maestro ait à utiliser des interludes "parlotte" inutiles : une qualité rare et sous-estimée aujourd'hui.
Bref, sous tous les aspects et même si tout n'est pas parfait ('Movement & Rhythm' par exemple), vous l'aurez compris "It's All Happening Now" est hautement recommandable et s'adjuge aisément le titre de meilleur album anglais 2002. Il confirme la polyvalence, la clairvoyance et la profondeur de son auteur qui, toutes scènes confondues, reste un personnage hors-mode original et attachant.
Cobalt Novembre 2002