Depuis l'époque des 1200 Hobos et le trio Presage, Dose One a fait beaucoup de chemin. Toujours présent dans les projets anticoniens de référence (cLOUDDEAD, Deep Puddle Dynamics, Them...), s'ouvrant régulièrement aux influences extérieures à la stricte sphère hip-hop (13&God aux côtés de The Notwist, la collaboration avec Boom Bip pour le déconcertant "Circle" sur Mush), Adam Drucker s'est bâti une carrière bariolée et le plus souvent enthousiasmante, à l'image de ses volées de rimes hallucinogènes et parfois incompréhensibles pour l'auditeur moyen. Cette voix si particulière et cette dextérité linguale (ses marques de fabriques) vont être transposées à l'identique lorsqu'il s'établit en 2002 en tant que frontman du sextet Subtle.
Formation riche originaire d'Oakland, groupe unique à l'univers onirique et décalé, Subtle mérite amplement l'engouement qu'il suscite déjà depuis plusieurs années. Autour de Dose One s'agitent son compagnon de l'époque Anticon et beatmaker attitré, Jel, mais aussi Dax Pierson (déjà présent pour Themselves ou 13&God), Jordan Dalymple, Marton Dowers et Alexander Kort. Formé courant 2002, le groupe s'attelle rapidement à la confection de ce qui va devenir les quatre "Season EP" avant de signer chez Lex Records pour un premier LP "A New White" en 2004. Ce premier long format intronisait l'entrée d'un personnage qui fera régulièrement apparition par la suite dans les travaux de Subtle. Nommé
Hour Hero Yes, ce dandy chauve au visage strié de noir et de blanc va servir de fil conducteur tout au long du chemin séparant ce premier LP du dernier album du groupe "For Hero For Fool" (publié l'an passé et chaudement recommandé) ; chemin ponctué par une collaboration avec Astralwerks (subdivision électronique d'EMI et label de Fatboy Slim, The Chemical Brothers ou encore Air).
En marge de ces sorties long format, et comme pour prouver l'ouverture musicale dont est capable Subtle, "A New White" avait fait l'objet en 2006 d'une relecture musicale, via un album jumeau regroupant des remixes de certains de ses morceaux ainsi que des participations de Mike Patton, du guitariste-songwriter de référence Beck ou encore d'Andrew Broder (Fog, ancien collaborateur de Why? pour "Hymie's Basement" en 2003). Cette année, Subtle a réédité l'initiative, offrant son dernier LP en date aux mains expertes d'invités triés sur le volée : Why?, Dan Boeckner (du groupe de rock Wolf Parade), Tunde Adebimpe (des enthousiasmants TV On The Radio), Markus Acher (du groupe allemand The Notwist), Andrew Broder, Dosh (beatmaker signé sur Anticon) et Chris Adams (alias Bracken et membre du groupe Hood). Du très beau monde offrant aux oreilles des plus curieux une représentation élargie de ce dont est capable le groupe lorsqu'il laisse davantage s'exprimer ses penchants extra-hip-hop.
Reprenant une sélection de morceaux de "For Hero For Fool", le travail effectué sur chaque titre se révèle plus ou moins complet et digne d'intérêt, en fonction des participants convoqués pour l'occasion. D'une manière générale, l'objectif affiché par Dose One était de débloquer tout ce qui pouvait participer à la signature musicale du groupe pour ouvrir le panel de sons aux influences recherchées aux alentours. On retrouve donc Why? s'adonnant au chant pour une fausse reformation de cLOUDDEAD (cette annonce ayant enthousiasmé brièvement les fans de la première heure avant qu'ils se rendent compte de l'absence d'Odd Nosdam) sur 'Falling'. Un beat électro entraînant pour accueillir les flows experts, un refrain du même acabit ; le tout nous renvoyant par bribes à certains des morceaux les plus pop, période "Ten", du trio suscité. De même, si la collaboration avec un membre de TVOTR (Tunde Adebimpe que l'on retrouvait déjà sur le dernier album de High Priest cette année ainsi que sur le dernier LP d'El-P) avait de quoi réjouir les amateurs de "Return To Cookie Mountain" sorti l'année passée, la discrète participation à la mise en son du pourtant très bon 'Deathful' (le flow tout-terrain de Dose One n'étant pas étranger au résultat final) nous ferait regretter une collaboration plus poussée.
En tendance, les morceaux proposés sur ce "Yell&Ice" font la part belle à une reformulation plaisante de l'univers de Subtle (lorgnant pourtant toujours vers ces gouffres électro-downtempo hip-hop), à ces envolées lyriques pop, aux raps furieux déclamés à toute allure par l'un des meilleurs MC's en activité. Dans l'ensemble, les morceaux les moins intéressants sont à vrai dire ceux qui n'ont pas fait l'objet d'une intervention extérieure. Que ce soit le sympathique 'Cut Yell', 'Islandmind' ou encore 'Not' (et sa rhétorique religieuse affirmée le long du morceau à coups de
"Thou shall not...". Exception faite de 'Sinking Pinks' et de la session de beatbox de Chris Adams qui s'avère plutôt fastidieuse durant les trois premières minutes du morceau avant que n'intervienne une salutaire participation vocale de la part du groupe hôte.
En 2006, Subtle a mis au point un concept intéressant offrant, par des chemins détournés, une extension illusoire de l'univers que le groupe tente de développer au travers des histoires alambiquées centrées autour de Hour Hero Yes, ce personnage issu des classes moyennes aspirant à s'établir aux yeux de tous comme un artiste-poéte-rappeur de premier ordre. "Yell&Ice" parfait ce projet de déborder les carcans que Subtle tente de briser et de laisser pour presque sans vie après son passage.
Sur ces terres éloignées du territoire hip-hop natal, beaucoup se sentiront perdus; comme abandonnés par celui qui représentait l'alternative évidente au début de ce millénaire et qui flirte aujourd'hui avec ces majors qu'il semblait décrier hier. Pour d'autres, Subtle s'affirme encore un peu plus, avec ce projet, comme un groupe de hip-hop audacieux, à l'imagination débordante et au style caractéristique... Un groupe qui s'offre ici avec "Yell&Ice", en guise d'anti-chambre du prochain LP en préparation pour 2008, un arrêt sur le bas-côté afin de partager tout ceci avec ces compagnons étranges venus des lointaines contrées rock-pop. Ces derniers inévitablement débarqués sur ce disque en pliant la courbe de l'espace-temps pour rapprocher les genres et finir par les confondre puis s'y perdre.
Newton Novembre 2007