Après les déconvenues contractuelles avec Lex Records, la sortie confidentielle de l'ambitieux "Robot Dreams" et le semi-échec de ses side-projects (PBS), plus d'un groupe aurait déjà mis la clé sous la porte et aurait rangé les micros et les MPC's au placard. Mais pas Disflex.6. Lazerus Jackson et Jason The Argonaut sont faits d'un autre bois! Certes, ils ont sûrement raté le coche, et ils le savent bien.
"I'll never make enough noise just on these sounds, right?" Mais plutôt que de se morfondre et de maudire tous ceux qui leur sont passés devant, plutôt que de pester à n'en plus finir contre les décisions stratégiques de Lex, les californiens continuent d'y croire et de mettre tout en œuvre pour trouver une petite place au soleil. "
You have to fight for the world when it's already yours […] We don't choose to be broke, but like a man, I want to fix it".
Oh, bien sûr, au fil des ans, ils ont un peu revu leurs ambitions à la baisse, mais c'est qu'ils ont retenu les leçons de leurs erreurs passées. Cette fois, D6 a donc pris son temps (c'est le moins qu'on puisse dire) pour dévoiler son très attendu "Slow Burn" dans des conditions moins chaotiques que celles des sorties estampillées du sceau Sunset Leagues. Heureusement, ce travail a porté ses fruits au travers d'un deal modeste mais solide avec le plus que recommandable label suédois Twentyfourseven Records (souvent vanté dans nos pages). Un deal qui devrait permettre à la musique de D6 de dépasser un tant soit peu le cercle des habitués…
"Still believe we make fresh shit, even if those markets don't expect it".
En parallèle, au fil des mois, le groupe a visiblement pris de la bouteille. Fruit de cette gestation à rallonge, l'écoute de "Slow Burn" réserve donc quelques surprises évidentes.
"Life is a journey and not a destination"… D'emblée, Laz et Jason annoncent la couleur. Finies les compétitions de flows, les embardées à toute vitesse sur des instrus aux consonances électro minimalistes. Finis (du moins en surface) les univers futuristes peuplés de robots asimoviens… Place à des compositions laid-back, à des aspirations raisonnées, à des flows apaisés (mais pas assoupis pour autant) et à des échanges de rimes plus décontractés.
Alors, Jason et Elon.is nous font voyager au sein de ce "Slow Burn" au gré de productions simples mais soignées, détaillées et nettement plus mélodiques que par le passé. Du travail bien fait ; à l'image d'un 'They Say' qui met dès le départ l'album sur les bons rails. Tout y est fait en douceur, sans esbroufe mais avec un sens aigu des ingrédients les plus adéquats pour créer l'ambiance souhaitée : une guitare acoustique effleurée, un cantique fantomatique, une rythmique posée mais décidée, quelques notes d'accordéon et une calebasse délicate… Tout au long de l'album, Jason et Elon.is fournissent des partitions qui, derrière une gravité de façade, parviennent à envoûter et à faire hocher la tête nonchalamment. Dans le genre, la harpe enchanteresse de 'Already Yours', le charme langoureux du triste 'In Motion', la petite mélodie de piano au parfum d'inéluctable diffusée par 'Afterlife' ou encore les quelques notes de flûte traversière et les violons ouatés de 'Far Away' sont autant d'éléments qui s'incrustent dans un coin de la tête et y trottent volontiers pendant quelques heures…
S'adaptant à ce nouveau décor franchement plus intimiste qu'avant-gardiste, les textes proposés se font l'écho de cette maturation phonique. Si l'on sent bien poindre un brin de mélancolie derrière certaines rimes et que quelques références SF sont bien dispersées ça et là, Laz et Jason donnent avant tout l'image de deux gars simples et sans prétention, dans la force de l'âge. Sans s'épancher (le format court de la majorité des titres est là pour en témoigner), à travers une introspection constante mais discrète, leurs échanges dressent en filigrane un autoportrait honnête et donnent à entendre quelques leçons de vie ainsi qu'une pincée d'états d'âme et de réflexions douce-amère… Et puisqu'il faut s'accommoder de ce que la vie nous offre, autant profiter de l'instant présent et tracer sa route, sans pour autant mettre de côté ses convictions.
"It's too short to hold back […] We all have to make the most today".
Il faut dire que, même si la vie les a amené à réviser certaines de leurs conceptions un peu figées de l'existence, ils restent tels qu'en eux-mêmes. Ainsi, la complémentarité entre Lazerus (doué pour les figures de style et toujours enclin à parler en métaphores) et l'argonaute (plus terre-à-terre et intelligible) continue d'en faire l'une des associations les plus engageantes des souterrains de la Bay Area. Et partout d'ailleurs, la passion viscérale du rap qui habite D6 est sous-jacente, comme un postulat qui chapeaute la moindre de leurs actions…
"That's why I work so hard, the look on your face is the reward". A ce titre, les souvenirs d'anciens combattants (et oui, l'air de rien, D6 est là depuis un petit moment déjà!) partagés sur 'Far Away' et les quelques egotrips proposés constituent une occasion rêvée pour les deux compères d'échanger quelques rimes au naturel, tout en envoyant quelques piques aiguisées à l'encontre des wacks ou des haters de tout bord.
Pour autant, "Slow Burn" est loin d'être exempt de tout reproche. Ainsi, certains pourront (à juste titre) noter que l'album connaît un sérieux essoufflement quand vient l'heure d'accomplir les derniers tours de piste. Pour preuve, on citera ici un 'Deep Slang' longuet et maladroit, surtout lorsque certains protagonistes ont la mauvaise idée de gâcher ce grand barbecue vocal en s'en prenant aux méthodes des forces de l'ordre avec leurs gros sabots (
"fuck the cops" et tout le tralala). Mais dans le fond, ce qui limitera surtout l'impact de ce nouveau D6 auprès d'une poignée d'adeptes de la première heure, c'est que d'aucuns pourront être décontenancés par la posture mesurée adoptée par Disflex 6 sur ce nouvel essai. Après tout, au sortir d'un "Robot Dreams" pour le moins audacieux (qui venait concrétiser de belle manière une constante montée en puissance du groupe depuis "1984"), on était probablement en droit d'attendre un disque un peu plus imaginatif ou déraisonnable que ce "Slow Burn".
Cependant, quoi qu'on en dise, quelque chose dans ce nouvel album à la sincérité évidente, à la force tranquille et à la qualité soutenue force la sympathie. S'il n'invente rien de neuf et qu'il ne changera pas la face du monde, "Slow Burn" sait bel et bien se rendre réellement attachant pour peu qu'on lui laisse vraiment une chance. Pour obtenir les effets désirés, on vous conseillera donc de suivre à la lettre les instructions d'utilisation dispensées par Lazerus et Jason, qui connaissent visiblement bien le mode d'action de leur mixture à infusion lente :
"When listening to this cd for the first time, allow it to burn for 2 hours, then extinguish. After cd has cooled, repeat this step several times".
Cobalt Juin 2007